Ce qui est à moi est à moi : la fin du compte commun

Plus que les autres générations, les millennials sont enclins à ne pas intégralement fusionner leurs finances avec leur partenaire.

Même après s’être mariés ou avoir emménagé ensemble, les moins de 35 ans préfèrent de plus en plus tenir leurs avoirs bien séparés. Un récent sondage mené aux États-Unis montre que près de 70 % des millennials conservent au moins quelques comptes personnels.

Une évolution des rôles dans la famille

Une proportion qui tombe à 64 % chez les Z, et à 50 % pour la génération X et les baby-boomers. « C'est vraiment une évolution des rôles dans la famille », a déclaré Jacky L. Petit-Homme, conseiller financier à Philadelphie en Pennsylvanie, au Philadelphia Inquirer. « Il fut un temps, seul l'un des partenaires travaillait et l'autre pas. Il n'y avait donc pas de finances à combiner. » Et tous les comptes devaient être conjoints pour que tout le monde puisse aussi accéder à l'argent, rappelle-t-il. Or, depuis les années 70, le pourcentage de femmes mariées hétérosexuelles gagnant autant, voire plus que leur partenaire, a triplé, indique le Pew Research Center. Pour certains couples, ce n'est pas tant la décision du compte commun qui pose problème, mais celle de la répartition des dépenses communes : faut-il opter pour le 50-50, ou pour un ratio proportionnel au salaire de chacun ? Bien souvent, la première option se joue au détriment des femmes.

Prendre le contrôle sur son argent

D'après la journaliste Lucille Quillet autrice de l'ouvrage Le Prix à payer, Ce que le couple hétéro coûte aux femmes (2021), le couple leur reviendrait en effet bien cher. En décortiquant l'économie la plus intime, celle du couple, la journaliste note que 72 % des tâches domestiques sont couvertes par les femmes, dont les salaires, inférieurs de 20 % en moyenne à celui des hommes, sont absorbés par la couverture des dépenses courantes. À l'inverse, les hommes profitent de leur salaire pour investir, faisant ainsi fructifier leur capital tandis que les femmes s'appauvrissent. Citant la sociologue enseignante à Princeton Viviana Zelizer, Thomas Dodman, historien et spécialiste de l'évolution de nos sensibilités, expliquait déjà en 2021 à L'ADN : « Les revenus et patrimoines de la femme et du mari sont généralement inégaux, non seulement en quantité, mais aussi par leur statut et leur utilisation dans les budgets familiaux. Le revenu du mari est considéré comme le revenu principal, qui paye les tâches essentielles au maintien du foyer, tandis que celui de la femme comme un complément, un appoint, presque de l’argent de poche. »

Un avis partagé par la gestionnaire de patrimoine Héloïse Bolle, autrice des essais Les bons comptes font les bons amants (2019) et Aux thunes citoyennes (2023), pour qui reprendre la main sur ses finances revient à reprendre la main sur son agentivité. Dans son cabinet parisien, la créatrice de la page Instagram Oseille et Compagnie reçoit une majorité de femmes, victimes d'après elle « d'inégalités ordinaires ». Au micro du podcast Thune, elle se penche sur la condition financière des femmes et sur la manière dont ses dernières administrent (ou pas) leur argent plus ou moins activement pour tenter de répondre à une question : pourquoi les femmes ont-elles tendance à se négliger dès qu’il s’agit de sous ?