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Content Warning, le jeu qui mêle creepypasta, influenceurs avides et espaces liminaux

© Content Warning

Le jeu vidéo vous glisse dans la peau d'un créateur de contenu qui arpente des usines abandonnées pour capturer des images flippantes au péril de sa vie.

« Il faut aller dans ce vaisseau, filmer des trucs cool pour notre communauté, mettre la vidéo en ligne, et ensuite faire des vues pour faire de l'argent, pour faire encore plus de vues et plus d'argent », pépie un personnage un peu exalté, vêtu d'un scaphandre et d'une combinaison d'astronaute. Le tout, sans mourir sous les coups d'un ectoplasme ou autre créature bizarroïde. Le jeu Content Warning s'appuie sur une supposition simple : les influenceurs sont prêts à tout pour capter l'attention de leur communauté. Même à infiltrer caméra au poing des vaisseaux spatiaux ou baraquements désaffectés emplis de monstres un peu grotesques pour en rapporter de croustillantes images. Ces dernières seront ensuite mises en ligne sur SpookTube, un YouTube fictif où les contenus horrifiques permettent de faire des vues et de micro-doser la célébrité. Ou comme le dit le mantra inspiré du célèbre « Get Rich or Die Tryin' » du rappeur 50 Cent : « Devenez célèbre ou mourez en essayant ».

Interview de crevette géante et chien à mitraillettes

Ingérer 10 000 calories d'un coup, prétendre racketter un passant dans la rue, armé d'un couteau de boucher, se coller la lèvre supérieure à la Super Glue, filmer le corps d'un homme suicidé dans une forêt japonaise, ou encore tirer sur son conjoint au Desert Eagle, en espérant que la balle sera stoppée par une encyclopédie... L'histoire montre que de nombreux créateurs de contenus sont prêts à tout pour faire des vues. Avec Content Warning, un RPG riche en jump scares, les créateurs du jeu vidéo ont poussé cette logique à l'extrême. « Le jeu s'inspire de la culture des influenceurs, de la difficulté de créer du contenu et de vaincre les algorithmes pour obtenir des vues », confie Petter Henriksson, l'un des concepteurs, au New York Times.

Lancé début avril, le jeu d'horreur en coopération explose sur Steam. Deux semaines après sa sortie, il avait déjà été vendu à plus d’un million d'exemplaires. Très vite, Content Warning s'impose comme l’un des plus grands jeux d’horreur de l’année. Une surprise pour le studio suédois Landfall, connu aussi pour Totally Accurate Battle Simulator, jeu de simulation de bataille sorti en 2019. Comme ce dernier, Content Warning propose un mode utilisant le physique rag doll, un classique du genre : lorsque les personnages et PNJ meurent, ils tombent mollement à la manière d'une poupée de chiffon (rag doll) et s'agitent au sol, bien comme on aime. Cela donne le ton.

La palette de couleurs n'est pas toujours pas sombre, les entités meurtrières sont un peu loufoques. On croisera par exemple des escargots géants, un chien robotique armé de mitrailleuses, ou encore un fouet tueur... Depuis la sortie du jeu, Internet s'est retrouvé envahi de clips un peu foldingues. Sur YouTube, les joueurs partagent leur course contre la montre. Sur TikTok, ils exposent leur tentative pataude d'interviews de monstres pâlichons évoquant vaguement la crevette géante. Pour forcer la parodie, un internaute a proposé sur Reddit d'ajouter une option à Content Warning : le partenariat commercial. « Vous recevez un petit gadget d’une marque que vous devez commercialiser dans l’univers. Obtenir un clip avec le produit dans le cadre avec suffisamment de vues vous rapporte un bonus en espèces. »

Backrooms et catastrophes climatiques

La force du jeu réside en partie dans son univers. Ce dernier mise sur les espaces liminaux, lieux de transition (une cage d'escalier, une entrée de parking...) souvent abandonnés, qui exploitent une esthétique du malaise et confèrent un sentiment d'irréalité. Content Warning évoque aussi les backrooms. Il s'agit d'une creepypasta, une légende urbaine diffusée en ligne (ici sur le forum 4chan) décrivant un espace dérangeant, composé d'une enfilade sans fin de pièces vides, à mi-chemin entre la dimension parallèle et l'hallucination cauchemardesque. On retrouve par exemple cette esthétique dans la série télé SF Severance, ou le jeu vidéo Lethal Company qui se déroule dans un monde post-apocalyptique à l'imagerie rétrofuturiste. Pour ajouter à l'atmosphère oppressante, la communication entre les joueurs se passe sur chat vocal « spatialisé » : plus les joueurs s'écartent les uns des autres, moins ils peuvent s'entendre.

Le jeu doit aussi son succès à l'insertion d'éléments à la fois cocasses et anxiogènes liés à la culture Internet, comme la présence d'une créature-cage qui oblige les joueurs à remplir un Captcha pour s'échapper, ou encore l'activation d'une fonctionnalité qui imite les livestreams en agrégeant à la partie de faux commentateurs qui réagissent aux vidéos des joueurs. Si le lore du jeu n'est sciemment pas très complexe, Wilhelm Nylund, le CEO du studio suédois, a toutefois tenu à ce que l'histoire se déroule dans un monde où l'air devenu dangereusement pollué contraint les Humains à déambuler dans le « Vieux Monde » en arborant des combinaisons de plongée. Une solution présentée comme légère et optimiste à un enjeu dramatique passé au second plan, qui jure astucieusement avec la mission frivole des joueurs.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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