Des employés de grand magasin

Qui sont les ALICEs, les nouveaux pauvres américains ?

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Ils travaillent, ne peuvent plus payer leur loyer ou remplir leur chariot de courses, et passent entre les mailles des filets de sécurité du pays.

Si vous gagnez juste ce qu'il faut d'argent pour ne pas avoir droit aux aides sociales, mais pas assez pour manger tous les jours tout en payant votre facture d'électricité, alors félicitations, vous pouvez réclamer le titre d'ALICE, acronyme créé par le centre de recherche américain United For ALICE. D'après l'organisation, les ALICEs sont « asset-limited, income-constrained, and employed » : ils sont employés, mais bénéficient d'actifs et de revenus limités. Pourtant, « ils passent entre les mailles du filet de sécurité du pays », observe Business Insider. Le néologisme décrit donc les Américains qui vivent au-dessus du seuil de pauvreté (15 060 dollars pour une personne seule, 31 200 dollars pour une famille de 4), mais galèrent à couvrir leurs dépenses quotidiennes.

Les ALICEs, toujours plus nombreux

Tous les mois, les ALICEs doivent arbitrer et hiérarchiser leurs paiements : loyer ou panier de courses, garderie ou rendez-vous chez le médecin. En d'autres termes, les ALICEs ne peuvent pas investir dans leur avenir. Selon l'American Community Survey, 13 % des ménages américains vivent au-dessous du seuil de pauvreté, une proportion en diminution dans le pays. Une bonne nouvelle, a priori, sauf que pour Stephanie Hoopes, directrice de United For ALICE, le calcul du seuil de pauvreté est obsolète. Il ne tient par exemple pas compte des différences régionales et de l'évolution de la proportion des budgets consacrée à l'alimentation. D'après le centre de recherche, environ 29 % des ménages américains sont des ALICEs. Un pourcentage à la hausse, notamment dans le Montana et l'Idaho. Entre 2010 et 2021, la part des Américains vivant au-dessus du seuil ALICE a diminué dans presque tous les États, à l’exception de la Floride et de l’Utah, qui ont tous deux attiré un afflux de résidents plus riches depuis le confinement. Combinées à l'inflation, les réductions d'accès à des prestations sociales comme le SNAP (programme alimentaire fédéral donnant par exemple accès aux fameux food stamps) précarisent depuis la pandémie une part croissante de la population.

Trop pauvres pour bosser

Sans surprise, certaines populations sont plus durement frappées que les autres. « L'impact est disproportionné sur les ménages noirs et hispaniques ; les personnes handicapées, les ménages plus jeunes et plus âgés sont plus susceptibles d'être en dessous du seuil ALICE, tout comme les ménages monoparentaux avec enfants par rapport aux parents mariés », résume Stephanie Hoopes. Loin de systématiquement prémunir contre la pauvreté, travailler peut aussi contribuer à aggraver la situation financière de certains. Au Royaume-Uni, de plus en plus de jeunes se retrouvent contraints à refuser un emploi faute d'argent, rapporte le Prince's Trust. D'après l'enquête menée par l'organisation caritative, un jeune au chômage sur dix a dû refuser un emploi en 2023 en raison des coûts (vêtements, transport, équipement...) engendrés par la prise de poste. Un phénomène qui, selon Barry Fletcher, directeur général de la Youth Futures Foundation, pourrait forcer les jeunes à maintenir leur statut de NEET (pour Not in Education, Employment or Training, sans études, emploi ou formation).

Le rapport montre aussi que la pression financière accentue les disparités sociales préexistantes. Depuis la pandémie, l'écart de réussite scolaire entre élèves favorisés et défavorisés britanniques se serait creusé de 3,6 % à 6,7 selon leur âge. En parallèle, le recours aux applications « buy now, pay later » (acheter maintenant, payez plus tard) se multiplie dans les pays anglophones : un Américain sur quatre et 30 % des Britanniques ont opté au moins une fois pour ce système de paiement. Et ce n'est plus seulement pour s'offrir de petits extras. Il s'agit désormais de payer PQ et pain de mie.

*Source : le rapport « The Prince's Trust Natwest Youth Index 2024 » est basé sur une enquête YouGov menée auprès de 2 239 jeunes âgés de 16 à 25 ans.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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commentaires

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  1. Avatar Anne dit :

    Merci pour l'article, et pour la visibilité qu'il donne aux personnes en situation de pauvreté.

    Si accepter un emploi c'est perdre de l'argent c'est très triste. Ça pose la question de la valorisation du travail et de la reconnaissance sociale de certains métiers. Apporter des réponses c'est ouvrir la boîte de Pandore des inégalités de rémunération. Comme le dit Baptiste Mylondo, dans son livre « Ce que nos salaires disent de nous », ouvrons cette boîte et imaginons ce à quoi pourrait ressembler un partage plus juste et équitable des revenus.

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