
À la croisée de la science-fiction et du design, le design fiction permet de se projeter dans un quotidien futur à partir d’objets spéculatifs. Une discipline adaptée à notre ère de permacrises et d’incertitudes.
Comment se déplacer, se loger, se vêtir, se nourrir, se soigner, se déplacer, communiquer, s’informer, se divertir en 2053 ? C’est la question que posait Strate, École de Design, en septembre dernier aux 1000 stratos des campus de Paris et de Lyon de cette école réputée. En collaboration avec le cabinet de conseil fondé par Jean-Marc Jancovici, Carbone 4, quatre imaginaires liés aux pressions exercées sur les ressources planétaires leur étaient proposés. Les élèves étaient ensuite invités à concevoir des artefacts qui s’intègrent dans ce quotidien projeté. Une mise en pratique du design fiction, méthode qui met en œuvre objets et scénarios fictionnels pour incarner des récits futuristiques parfois étonnamment proches de notre réalité.
L’objet, artefact venu du futur
Parmi les créations étudiantes, des graines de plantes médicinales distribuées à la population pour réapprendre l’autosuffisance médicale, des emballages plastiques biodégradables et comestibles, des garde-robes virtuelles pour avatars ou encore un permis de circuler à pieds pour pallier à la surpopulation en centre-ville.
Au cœur de la démarche, on trouve un scénario déterminé à partir de signaux faibles. Et surtout : un objet. « L’objet est une interface de notre quotidien. Il est commun, connu et rassurant. C’est ce qui permet au scénario d’être mieux entendu », explique Lucas Lorigeon, designer et coordinateur pédagogique à Strate.
Il permet également d’éviter de tomber dans le piège d’une projection trop conceptuelle. « L’objet est une manière de rendre tangible ce qui pourrait être totalement hors sol » , pose le designer. « Comme un artefact trouvé par un archéologue, déterré pour nous aider à comprendre le futur d’où il vient » , expose quant à lui le studio de design spécialisé dans cette méthode, Near Future Laboratory. Le pouvoir transactionnel de l’objet nous permet de s’interroger : à quoi sert cet objet, comment est-il utilisé, pourquoi a-t-il été rendu nécessaire ?
Une méthode qui accompagne l’évolution du design
Si les objets conçus grâce au design fiction interrogent, c’est parce que c’est le but même de ce concept. Né au début des années 2000, il est « attribué tantôt à l’auteur de science-fiction et essayiste Bruce Sterling, tantôt au designer Julian Bleecker », retracent les designers Nicolas Minvielle et Olivier Wathelet, dans la revue Futuribles. Les designers britanniques Anthony Dunne et Fiona Raby, et leur ouvrage de référence Speculative Everything : Design, Fiction, and Social Dreaming (2013, The MIT Press), sont également des pionniers et des pointures du domaine.
Mais si la discipline a désormais plus de 20 ans, son intégration dans les processus des organisations se fait petit à petit. « Son évolution accompagne la compréhension du design par les entreprises et les institutions, analyse Lucas Lorigeon. Le regard global sur le design a changé : il entre dans les prises de décision et en amont de choix fait par les collectivités, les villes, les entreprises et de nombreux acteurs et actrices de nos quotidiens. »
Et ça tombe bien : le design fiction est particulièrement adapté à notre époque de crises multiples et de bouleversements. « C’est une discipline de l’incertitude, qui l’accepte et propose des choses au sein de celle-ci. Elle permet d’avoir une posture où on envisage le futur, de dépeindre des milliers de scénarios – parmi ceux-là, il y en aura peut-être un qui aura du sens dans 10 ou 20 ans. C’est un formidable travail de projection. » Ainsi, cette méthode est une brique particulièrement utile pour comprendre comment une organisation peut pivoter au regard de critères donnés : les limites planétaires, les normes européennes, les variations politiques, les besoins des consommateurs et consommatrices… Des interrogations qui traversent de nombreuses institutions, « démunies face aux défis qu’elles vont avoir, et ont déjà, à relever », observe Lucas Lorigeon.
Un rôle de prospective et, surtout, de catalyseur de dialogue. « Construire un artefact, c’est comme discuter avec quelqu’un, estime le designer. C’est une façon de présenter un point de vue. » Un rôle de « poil à gratter » essentiel : « l’objectif est de susciter la réflexion, l’imagination, de poser des questions sur l’implication sociale, culturelle, technologique associée à ces artefacts. »
Parmi les exemples les plus célèbres, celui de la Red Team Defense, une équipe composée d’auteurs, de scénaristes et de dessinateurs de science-fiction chargée d’imaginer des scénarios de menaces du futur pour le ministère des Armées, le catalogue Ikea du futur, par le studio Near Future Laboratory ou encore les projets du studio français Design Friction, comme les funérailles de données ou la mise en scénario d’un régime de « poly-communisme » .
Enseigner l’esprit critique
Aussi populaire que soit cette discipline, pour les écoles, « c’est un défi, reconnaît Lucas Lorigeon. Ça demande aux étudiants d’avoir une maturité de réflexion, un esprit critique, d’être capable de croiser ses sources, de vérifier une information donnée, de se référencer, de comprendre les nuances d’une culture à une autre, les limites ethnographiques, les ressorts de nos interactions sociales… ».
À Strate, cet apprentissage du raisonnement se forme pendant les trois premières années du cursus avant que les étudiants ne puissent se confronter au réel grâce aux nombreux partenariats entreprises. Un véritable fil rouge au cœur du projet pédagogique de l’école avec, à la clé, un changement de paradigme pour les futurs professionnels, peu importe leurs ambitions. « Tous les designers ne feront pas du design fiction, mais il est important que ceux qui s’orientent vers des systèmes parfois radicalement opposés aient conscience que les choix qu’ils feront auront un impact et une influence sur le quotidien de nombreuses personnes. »
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Pour en savoir plus sur le workshop organisé par Strate, c'est ici : https://www.strate.design/actualite/rentree-exceptionnelle-workshops-conceptualiser-futur
très intéressant le design redonne alors toute sa place à la création artisanale
Cela fait penser aux nouveaux récits, @fresque des Nouveaux Récits @assemblée citoyenne des imaginaires @festival atmosphere
Article très instructif! Le Design redonne de l'humanité ,il crée des objets qui ont du sens, et sont en adéquation parfaite avec les différents usages.Dans cette fiction, le Design rassure!
J’aime bien le côté ré découverte, depuis plus de 70 ans les auteurs de SF ont montrés le chemin , amusez vous bien les personnes en état modifié de conscience peuvent vous décrire autre chose , la simulation actuelle est limitée, bien à vous