livre des tendances 2026
le livre des tendances 2026
 

    Portrait d'Elsa Da Costa, Directrice Générale d'Ashoka

    elsa da costa

    Elsa Da Costa est membre de L’ADN Le Shift, le collectif du média L'ADN, son prolongement humain.

    Si vous deviez raconter votre parcours en quelques lignes… quel fil rouge relie vos différentes vies professionnelles et personnelles ?

    E.D. : Si je devais raconter mon parcours, je dirais qu’il est né d’un désir très simple : comprendre le monde pour mieux y agir. Adolescente, je rêvais d’être journaliste. Raconter les vies, les élans, les fractures. Mais ce rêve a été frustré, et je me suis retrouvée en prépa HEC. Sur le moment, j’ai pensé que je renonçais à quelque chose d’essentiel. Avec le temps, j’ai compris que j’apprenais autre chose : comment les systèmes fonctionnent, comment les décisions se prennent, comment l’économie façonne le réel.

    Attirée par la modernité, j'ai cherché à comprendre comment elle pouvait servir le progrès humain. Le numérique, alors naissant, m’a fascinée : une promesse de liberté, de création, de nouveaux liens. J’y ai vu un terrain pour agir. J’ai été marketeuse, entrepreneure, dirigeante… mais au fond, il s’agit toujours de la même quête : contribuer, à ma mesure, à ce que le monde avance du bon côté. Vers plus de justice, plus de soin, plus de sens.

    On me dit souvent que mon parcours est « non linéaire ». Je crois qu’il est simplement vivant. J’ai suivi les endroits où je pouvais être utile. J’ai appris à ne pas choisir entre efficacité et engagement. Je porte encore le rêve de la journaliste en moi mais aujourd’hui, je ne raconte plus seulement le monde, j’essaie de le transformer.

    Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous occupe l’esprit ou vous fait vous lever le matin (en dehors du café) ?

    E.D. : Ce qui me fait me lever le matin, c’est un sentiment d’urgence mêlé d’espoir. L’impression très forte que nous sommes à un moment charnière, et que chacun de nous peut faire un pas pour réorienter le monde. Je me lève avec cette question : comment rallumer ce désir de contribuer, de prendre soin, de ne pas laisser les choses filer ?

    Dans À cœurs vaillants, je plaide pour une necessaire culture de l’engagement dès le plus jeune âge. Pas l’engagement héroïque, spectaculaire ou épuisant. Mais celui qui commence très simplement : se sentir concerné. Se sentir relié. Se dire que ce qui arrive aux autres nous touche.

    Mon obsession est de remettre l’intérêt général au centre de nos vies et de nos décisions. Comment faire en sorte que nos entreprises, nos institutions, nos politiques publiques se pensent à nouveau comme des lieux au service du commun. Comment rouvrir des espaces où l’on peut se parler avec nuance, avec écoute, avec respect dans un monde qui a pris l’habitude de se durcir, de se diviser, de se fermer.

    Je défends cette idée tenace qu’un autre rapport à l’engagement est possible. Et qu’il commence dans la manière dont nous choisissons de nous relier les uns aux autres. Et ça me donne de l'energie pour toute la journée.

    Y a-t-il une rencontre, une date ou un moment qui a changé votre manière de voir le monde ?

    E.D. : Une date oui. Les 13 novembre. Celui de 1985 a été un choc pour moi. J'avais 9 ans, et j’ai vu dans ma télévision, chaque soir pendant 3 jours le visage d’Omayra Sánchez, cette jeune fille de 13 ans prise au piège d'une coulée de boue après l’éruption d'un volcan en Colombie. Son regard calme, sa dignité au milieu du désastre, m’ont bouleversée sans que je sache encore l’expliquer. J’ai compris, ce jour-là, que l’injustice pouvait être insoutenable et qu’on ne pouvait pas détourner les yeux. Mon engagement vient de là : de ce refus intime de l’indifférence, de cette conviction qu’il nous revient de prendre soin du monde et des autres.

    Les œuvres (romans, films, expositions, séries, BD, musiques…) qui vous ont retourné·e ou que vous glissez volontiers dans les mains de vos amis ?

    E.D. : Dans mon panthéon culturel, Romain Gary & Bell Hooks trônent en majesté. L'un pour "Clair de femme" qui est pour moi LE roman de l'amour dans son universalité, ses silences d'âme à âme tout cela dans une langue dont Gary a le secret. Puis la volonté de changer de Bell Hooks qui m'a enfin donné un lieu d'accueil à mon féminisme que je peinais à reconnaître dans les courants actuels. J'aime sa douce intransigeance et son regard humain sur les rapports de domination. Sans indulgence, elle explique pour émanciper. Pour les films, America History X, Boyz in the Hood, Erin Brokovitch et la Haine me retournent encore. En série, je voue un culte à Friends et Peaky Blinders que je peux revoir indéfiniment, et plus récemment Mon petit Reine ou Adolescence qui m'ont percutée tant par la réalisation que le propos ou Stranger Things : j'aime quand la jeunesse gagne !

    Mutation ou transformation : quel grand changement (sociétal, technologique, culturel…) vous semble le plus déterminant pour votre secteur ?

    E.D. : Le changement le plus déterminant, pour moi, concerne notre rapport au numérique. J’ai toujours été fascinée par ce que les données révèlent de nos comportements collectifs c’était déjà le cas quand je travaillais dans le marketing : les chiffres racontent des histoires, ils disent comment une société bouge, ce qu’elle désire, ce qu’elle craint. Le numérique n’est pas neutre : il peut enfermer, isoler, polariser nous le voyons chaque jour. Mais il peut aussi accélérer l’impact, éclairer nos choix, démocratiser l’accès à la connaissance, et surtout remettre du commun là où il y a de la dispersion.

    Je crois profondément que l’économie sociale et solidaire a un rôle clé à jouer ici. Si l’ESS s’empare du numérique, non pas comme un outil de performance, mais comme un outil de relation, de coopération et d’évaluation du réel, alors nous pouvons transformer la technologie en levier de progrès social. Mesurer l’impact, partager les savoirs, rendre visibles les réussites, ajuster nos actions collectives : tout cela peut redonner de la vigueur à nos liens, de la confiance à nos alliances, de la clarté à nos décisions.

    La grande mutation à venir, c’est celle-là : apprendre à faire du numérique un espace de reliance plutôt que d’isolement. Et cela dépend de nous.

    Une collaboration, un projet ou une initiative dont vous êtes particulièrement fier·e ?

    E.D. : Les collaborations dont je suis fière sont celles qui s'inscrivent dans le temps. Dans une fidélité renouvelée, une confiance éprouvée et une capacité d'alignement sans faille. Pour cela, nous avons la chance de travailler avec les équipes de EDF ou de Schneider Electric depuis des années sans nous installer. J'aime cela. Puis, plus récemment, le fonds pour le progrès humain constitué par Axa a choisi Ashoka pour détecter, accompagner, structurer des innovateurs sociaux sur le champ de l'éducation pour les 3 années à venir et dans 7 pays du monde. Une initiative portée par la France dont le rayonnement dépasse les frontières hexagonales dans un domaine essentiel à la transformation de notre société.

    Votre manière d’innover : comment cultivez-vous la curiosité ou la créativité dans votre quotidien professionnel ?

    E.D. : Notre manière d’innover commence par rester connectés au pouls du monde. Nous croyons que la créativité naît du regard que nous posons : observer les comportements, les signaux faibles, les décalages, les fractures. Nous pratiquons l’écoute la vraie, celle qui prend le temps de comprendre ce qui se joue à l’intérieur des gens, dans les organisations, dans la société.

    Nous innovons en croisant les mondes : le privé, le public, les médias, les entrepreneurs sociaux, les citoyens. C’est dans ces frottements, dans ces regards qui ne se rencontrent pas habituellement, que surgissent les idées neuves. Nous travaillons aussi beaucoup par analogie : aller chercher une solution dans un domaine pour l’appliquer à un autre. Cela permet de déplacer les lignes sans forcer, d’ouvrir des perspectives là où l’on pensait être au bout.

    Innover, pour nous, ce n’est pas inventer quelque chose d’extraordinaire : c'est réparer l'existant.

    Une personnalité ou un courant de pensée qui influence votre manière de voir le monde du travail ?

    E.D. : Mes enfants. La responsabilité qu'ils m'imposent inconsciemment, Leur façon d’être au monde, me rappellent chaque jour ce qui compte l'essentiel.

    Ils me montrent qu’on ne peut plus se contenter d’un travail qui use, qui isole, qui déconnecte du sens. Ils posent des questions que nous avons parfois appris à ne plus poser :
    Pourquoi on fait ça ? À quoi ça sert ? Est-ce que ça rend quelqu’un plus heureux, plus libre, plus vivant ?

    Leur regard m’oblige à rester honnête. À ne pas me réfugier derrière les habitudes, les contraintes ou les évidences. À chercher des organisations plus humaines, plus équilibrées, plus justes.

    Ils sont mon courant de pensée le plus exigeant et le plus intransigeant.

    Vous faites partie de L’ADN Le Shift, ce think tank un peu hors-norme : qu’avez-vous envie d’y trouver, ou d’y apporter ?

    E.D. : Ce qui m’a donné envie de rejoindre L’ADN Le Shift, c’est précisément la diversité des profils qui s’y rencontrent. Quand on vient du monde associatif et de l’ONG, on n’a pas toujours accès à ces espaces où se croisent dirigeants d’entreprises, créatifs, chercheurs, acteurs publics… Et pourtant, c’est dans ces mélanges que naissent les vraies transformations.

    Ce que j’ai envie d’y trouver, c’est un lieu où l’on peut penser ce qui vient, sans être uniquement dans la réaction ou la gestion de l’urgence. Un espace pour regarder loin. Pour se préparer à un monde qui change vite, parfois brutalement.

    Et ce que j’ai envie d’y apporter, c’est cette culture du collectif et du sens propre à l’ESS : l’idée que l’intelligence n’est jamais solitaire, qu’elle se construit dans la rencontre, l’écoute, l’expérience partagée. J’aimerais contribuer à former des groupes de réflexion vivants, qui ne craignent pas le désaccord mais qui s’en nourrissent, pour faire émerger des chemins possibles.

    Votre ambition ou vos rêves pour demain : quel impact aimeriez-vous avoir sur votre organisation, votre secteur ou la société ?

    E.D. : Mon ambition pour Ashoka : que l’organisation reste pionnière dans la manière d’adresser les grands changements de société. Et c’est aussi pour cela que je suis au Shift : pour nourrir cette capacité d’anticipation en dialoguant avec des mondes différents, en observant ce qui émerge, en se préparant à ce qui vient.

    Plus largement, mon rêve est de réhabiliter l’intérêt général dans nos gestes quotidiens. Que l’engagement redevienne quelque chose de simple, partagé, évident. Pour cela, j'appelle à faire se lever une armée de cœurs vaillants des personnes ordinaires qui choisissent d’agir, de relier, de prendre soin.

    Si j’ai un impact à souhaiter, c’est celui-ci : Que l’engagement ne soit plus un acte héroïque ou marginal, mais quelque chose de normal, banal, enraciné dans nos organisations et dans nos vies.

    Enfin, si vous deviez résumer votre raison d’être en une phrase, une maxime, une réplique culte ou même une punchline… Ce serait ?

    E.D. : Que danse une armée de coeurs vaillants sans complaisance avec la désillusion.

     

     

    Vivez des expériences imaginées par L’ADN, et construisez votre réseau d’acteurs du changement.

    Vous souhaitez rejoindre le collectif L’ADN Le Shift ?
    Découvrez le programme de l’année et écrivez-nous ici pour nous faire parvenir votre candidature !

    commentaires

    Participer à la conversation

    Laisser un commentaire