
Organisation de l’espace, attentes des Z, soft power pavillonnaire… Si la maison continue d’être un refuge, ses transformations n’échappent pas aux enjeux du monde extérieur.
Si vous pensiez échapper aux bouleversements du monde en vous réfugiant dans vos pénates, regardez-y à deux fois : ils sont bien là. Dans ce bureau que vous avez aménagé dans un coin de salon pour télétravailler, dans votre rêve de vous éloigner d’une mégalopole devenue par trop anxiogène, et pourquoi pas dans ce pavillon de banlieue à l’esthétique très « suburbia », dans cette facture d'électricité qui vous fait lever les yeux au ciel, dans le remplacement de votre batterie de cuisine téflon par des cocottes en fonte tellement jolies et bien moins toxiques, dans cette appli sur votre smartphone qui vous permet de contrôler votre maison à distance, dans ce barbecue rutilant qui heurte votre ado activiste, etc.
Qualité de logements dégradée
Crise sanitaire, urgence écologique, pollution, révolution numérique, polarisation de la société… L’époque s'invite dans les foyers et nos maisons cristallisent bien des problématiques contemporaines, de la plus intime à la plus politique. La pandémie a servi de détonateur : confinés entre quatre murs, beaucoup ont appris dans la douleur qu’en matière d’habitat, surface, lumière et accès à l’extérieur ne sont pas de vains mots. Ce n’est pourtant pas le sens pris par l’évolution récente des habitations. L’Idheal (Institut des hautes études pour l’action dans le logement) s’est attelé à l’étude des permis de construire en Île-de-France, entre 2000 et 2020. De ce travail effectué sur 1 200 plans de logements neufs le think tank tire des conclusions sans appel : en deux décennies, la qualité des logements s’est dégradée.
Dans l’étude Nos logements, des lieux à ménager, on apprend que la surface moyenne des logements collectifs neufs a été réduite de 70 à 57,73 mètres carrés jusqu’en 2017. De 2017 à 2020, la moyenne remonte aux alentours de 60 mètres carrés. Les séjours, par exemple, sont passés de 21,49 mètres carrés sur la période 2003-2012 à 18,70 mètres carrés sur la période 2013-2020. Les cloisons sont de plus en plus fines, altérant le confort acoustique.
Pièce Do not disturb
Quant à la hauteur sous plafond, elle a perdu 27 centimètres dans les appartements français en soixante-quinze ans, passant de 2,67 mètres avant 1945 à 2,40 mètres aujourd'hui, selon une étude Qualitel Ipsos. Notons que les Français ont eux grandi d’environ 10 centimètres en un siècle, les hommes et les femmes de notre pays mesurant respectivement 1,76 et 1,62 mètre en moyenne, sans parler des enjeux de circulation de l’air pour lutter contre la pollution intérieure. En janvier 2023, un projet de décret avait même ouvert la possibilité de louer des biens de 1,80 mètre sous plafond, contre 2,20 mètres minimum actuellement, avant d’être retiré sous la pression des associations – la Fondation Abbé Pierre en tête.
L’organisation de l’espace a aussi changé. À mesure que le mètre carré se faisait rare, l’entrée a eu tendance à disparaître, la cuisine est devenue américaine ; quant à la salle à manger, elle appartient à un autre temps. Le salon s’impose comme la « pièce à vivre » ou plutôt la pièce à tout faire « absorbant cuisine, salle à manger, parfois chambre des parents, un peu comme chez les prolos d’antan », raille Marianne. Le salon est-il pour autant le cœur battant de la maison (pour parler à la manière d’un magazine déco) ? Pas sûr : l'hebdomadaire remarque que « chaque membre de la famille revendique sa pièce Do not disturb, où il exprime sa créativité délirante (...), avachi sur son lit, le dos courbé sur son smartphone ».
« Bedroom as a home » chez les Z
Cette idée d’une chambre comme un royaume, on la retrouve aussi – dans un registre moins grinçant – chez le magazine d’avant-garde Dazed. Dans une étude sur le rapport des Z à la maison, on apprend que la chambre est, pour 64 % des 18-24 ans interrogés, l’espace le plus important de la maison. Il s’agit de la tendance « Bedroom as a home » – ou « une chambre à soi », façon Virginia Woolf, moins l’indépendance financière... Car dans un monde post-Covid, de plus en plus dur et contraint, il n’est plus rare pour un jeune adulte de retourner vivre chez ses parents. La chambre devient le refuge où l’on mange, regarde des vidéos, communique avec sa communauté, fait l’amour – même si cette génération est de plus en plus abstinente. Pour 35 % d’entre eux, la colocation entre amis est d’ailleurs la configuration de vie idéale, devant la vie de couple (32 %).
La chambre est aussi un lieu de travail, ainsi que l’illustrent des phénomènes culturels comme la bedroom pop – « une chambre, un micro et le logiciel GarageBand », selon Libération –, devenue genre musical à part entière. Ou comme l’association londonienne The Bedroom Artists Collective, soutenant les artistes qui n’ont pas les moyens de se payer un atelier. Pour la Gen Z, se sentir à la maison est un concept fluide : un sentiment (48 %), une communauté (20 %), une identité (15 %), et enfin seulement un lieu (13 %). Plus que la propriété au sens strict, qui pour 40 % des jeunes interrogés par Dazed tient du doux rêve, c’est l’accès à des services – tels Netflix ou Amazon, que l’on paie comme on paierait une traite ou un loyer – qui caractérise le foyer. Quoi de plus logique pour la génération liquide ?
Les millennials passent chez le notaire
Certains de leurs aînés ont eux réussi à passer chez le notaire. Et, bien décidés à remettre leur acquisition au goût du jour, ils n’y vont pas avec le dos de la truelle. Des rénovations largement documentées sur les réseaux sociaux, mais qui ne recueillent pas l’unanimité, si l’on en croit le site américain Vice. Dans un papier titré « Les millennials achètent enfin des maisons… et les rendent moches », on apprend qu’outre-Atlantique, 48,6 % de cette génération est propriétaire, mais aussi que l’uniformisation à l’œuvre sur leurs chantiers est tirée par la télévision : la « HGTV-ification » des maisons à travers les États-Unis s’inspire nettement des rénovations de vieilles bâtisses « multi-diffusées » par HGTV (Home & Garden Television), propriété de Warner Bros. Discovery. Une esthétique qui élimine les bois chauds, papiers à motifs, façades en briques, pour les remplacer par des bardages en bois, des accessoires en acier brossé et des kilomètres de parquet flottant gris – constituant selon Vice un nouveau « Mc Mansion chic », du nom (péjoratif) donné à ces maisons de nouveaux riches construites à la chaîne dans les banlieues américaines.
Si l’on peut discuter des goûts et des couleurs, un aspect de ces rénovations semble faire consensus : les matériaux utilisés, généralement de qualité moindre, posent la question de leur pérennité, de leur durabilité. Surtout quand ces rénovations sont faites par des investisseurs, qu’ils soient bailleurs ou house flippers (ceux qui achètent une maison, la rénovent et la revendent dans la foulée) : le média The Atlantic remarque que dans les annonces, ces aménagements sont qualifiés d’update (mise à jour), un terme évoquant une approche plus sommaire qu’un upgrade (amélioration), et note qu’un tiers des maisons vendues aux États-Unis en 2021 l’ont été à des individus qui n’avaient pas l’intention d’y vivre.
« Soft power pavillonnaire » en France
En France aussi, l’idéal de la maison individuelle est endurant, malgré les critiques. D’abord conspuée par les intellectuels dans les années 1960 et 1970 pour son côté « petit-bourgeois », selon les mots de Jean-Marc Stébé, professeur en sociologie et auteur avec Hervé Marchal de l’essai Le Pavillon, une passion française, elle concentre aujourd’hui les griefs pour son impact écologique – on se souvient de la vive polémique née des propos d’Emmanuelle Wargon en 2021, alors ministre du Logement.
Pourtant, selon Jean-Laurent Cassely, on assiste depuis le Covid à « une sorte de soft power pavillonnaire, même chez les citadins qui ne juraient que par la ville dense ». Pour le coauteur de La France sous nos yeux, si l’étalement urbain appartient à un modèle obsolète, plutôt que de le fustiger, il faut s’interroger sur la façon dont ces zones pavillonnaires, construites dans la deuxième moitié du xxe siècle, vont évoluer. Interviewé par Marianne, l’essayiste évoque « une deuxième génération pavillonnaire », ces millennials aisés qui rachètent les pavillons des lotissements des années 1980, contribuant à une forme de « gentrification du pavillonnaire ». Il imagine « des potagers en permaculture dans des maisons Kaufman & Broad, avec des populations en télétravail qui importent une culture plus “citadine” en périphérie, avec des lieux de vie et de sociabilité ». Mais aussi, de l’autre côté du spectre, des lotissements à l'abandon et des friches pavillonnaires, pour les constructions n’ayant pas trouvé preneur ou succession. « Moins minérale que la ville dense », et donc mieux armée contre les vagues de grande chaleur, la zone pavillonnaire a toutefois des carences, souligne l’essayiste, l’automobile y demeurant indispensable, et le manque de lieux de sociabilité y étant criant.
Réinvention collective de l’habitat
Tout converge donc pour une réinvention de nos habitats. Même si, par nature, la maison est le lieu de l’intime, la dimension collective des solutions est une évidence à plusieurs titres. Créer du lien social, tandis que la solitude fait des ravages et qu’il faudra bien se préparer au vieillissement de la population, avec du coliving, de l’habitat intergénérationnel ou des coopératives d’habitation… Mais aussi apprendre à gérer avec intelligence des ressources qui se raréfient ou à mutualiser des besoins communs – certains immeubles s’équipent par exemple d’espaces dédiés à la livraison de colis.
C’est l’un des cas cités par le bureau de design industriel NCI Studio dans « Le Confort moderne, espoirs et perspectives, des années 50 à nos jours ». Dans cette étude qui interroge la portée politique du confort, on notera la couverture lestée comme l’un des objets distinctifs de notre époque, s’inscrivant dans « une tendance à la consolation et à la resocialisation via l’objet ». Et pourquoi pas, demain, des maisons faites de matériaux recyclés, de meubles de récup, de réparations à domicile via une imprimante 3D, des textiles aux coloris neutres ? – non parce que la télévision l’a décidé, mais parce que la teinture est dangereuse pour les hommes et l’environnement.
Cet article est paru dans le Livre des Tendances 2024 de L'ADN. Pour vous procurer votre exemplaires, cliquez ici.
La première condition pour "créer une multinationale dans un garage", c'est … d'avoir un garage. Hewlett-Packard (renommée depuis Agilent, pour sa partie innovante) a été créé dans un garage (celui de Bill Hewlett, je crois…). Les parents de Steve Jobs se sont vus éjectés de leur garage pour y héberger les câbleurs "au noir" de leur grand fils. Il y en a eu des centaines d'autres qui n'ont pas eu le même succès ni la même pérennité.
Pour Madame Wargon, fonctionnaire et châtelaine, il s'agit d'un comportement inimaginable (en tant que fonctionnaire, elle ne créera jamais rien…), donc à interdire…
Un autre aspect, qui révulse une partie de l'état profond, c'est que, au sud de Nantes, si vous avez 20 ou 30 m2 au sol de jardin bien exposé (et "permaculté" car c'est compatible), si vous évitez d'utiliser l'électricité là où c'est stupide (chauffage, cuisson, motoculteur…), il vous suffit de mettre une vingtaine de batteries de voitures dans une citerne enterrée (donc pas de risque d'incendie de la maison ni de détection par l'aviation fiscale) pour dire "adieu" à l'EDF, à ses taxes et à ses grèves.
Il y a bien d'autres possibilités, qui dépendent de l'imagination des habitants…
Avoir sa maison (même s'il s'agit d'un "coron de luxe") sur son bout de terrain, c'est une amorce de liberté. Je comprends que ça puisse déplaire à certains.
POUR yuropp :
"En tant que fonctionnaire elle ne créera jamais rien" : merci pour ces millions de gens qui se démènent pour essayer de faire tourner ce pays ! Et la création n'est pas réservé aux gens du privé : renseignez sur les métiers de la fonction publique.
Quant aux batteries de voiture enterrées, je doute que celà soit d'une grande légalité et pour quid de la nocivité pour l'environnement ?
Pour mettre son imagination en oeuvre, encore faut-il avoir les outils et être propriétaire mais celà ne donnent pas tous les droits chacun doit son dû à la collectivité.