Portrait d'Eric Garandeau, directeur des affaires publiques chez TikTok France

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    Eric Garandeau est membre de L’ADN Le Shift, le collectif du média L'ADN, son prolongement humain.

    L'ADN Le Shift est né de la volonté de vous inviter à vivre ce que nous vivons en tant que média. 

    Qui êtes-vous ? Quelques mots sur votre parcours

    E.G. : Côté parcours j’ai été officier de Marine (service militaire), énarque, inspecteur des finances, conseiller d’un Ministre de la culture, d’un Président de la République, président du Centre national du Cinéma (CNC), développeur du projet Intelligence Campus aux côtés du Général Christophe Gomart aux Armées, consultant pour la modernisation des studios de cinéma de Bry-sur-Marne et de la Victorine à Nice, consultant de Kering pour lancer le programme Women in Motion au festival de Cannes, créateur de la société du pass Culture pour les jeunes de 18 ans, et depuis trois ans directeur des affaires publiques de TikTok en France. J’ai aussi créé en 2004 un orchestre symphonique avec David Grimal, Les Dissonances, qui comprend une Autre Saison pour les sans abris et une académie musicale, Lumières d’Europe, et j’ai participé avec David Defendi et Louis Manhès à la création de Genario, une start-up en intelligence artificielle pour les auteurs. Enfin j’ai publié deux romans aux éditions Albin Michel, Tapis Rouge et Galerie des Glaces1.

    Je ne sais comment je me retrouve dans cet « ADN le Shift » mais ça doit correspondre à mon ADN ! Quand je reçois un appel à l’aventure j’ai tendance à dire oui, surtout quand je ne connais pas le sujet et que je n’ai rien fait de similaire... « Shifter » m’a permis de travailler avec des politiques, des militaires, des Mélanésiens, des notaires, des promoteurs, des geeks, des ingénieurs, des universitaires, des banquiers et surtout des architectes et des artistes: l’art est finalement ce qui permet d’imaginer des réponses à la première question que vous posez : qui sommes-nous? D’où venons-nous? Où allons-nous? Je fais partie de ceux qui ne savent pas mais qui cherchent, et qui préfèrent l’inconfort de la question au conformisme de la solution; c’est pourquoi je me méfie des idéologies et rejette tous les -ismes à l’exception de l’isthme qui conduit au vaste océan...

    3 dates qui ont provoqué votre déclic climatique ?

    E.G. : Histoire de jouer à l’ancien combattant, j’avais trois ans pendant la grande sécheresse de 1976 et j’en garde le souvenir : des poiriers suffocants dans l’air épais, le sol craquelé, le vrombissement des insectes sur les fruits pourris - mes parents venaient d’emménager dans une maison au milieu d’un verger. Ma mère était professeur de biologie-géologie, elle m’a transmis sa passion pour la nature - même si je refusais de mémoriser les noms des plantes qu’elle s’obstinait à m’inculquer, je préférais jouer du piano... On faisait aussi beaucoup de vélo, de montagne, du kayak sur la Loire (j’adorais pagayer sur les routes inondées), et à 14 ans je traversais le Golfe de Gascogne avec mon grand oncle sur son voilier. J’en ai gardé l’amour des fleuves, de la mer - la vie loin de l’eau serait une erreur, comme une vie sans musique...

    Le deuxième déclic est une autre mer, la Mer de Glace. Je suis revenu sur le glacier 20 ans après que ma mère avait fait l’ascension du Mont Blanc et il fallait désormais descendre des échelles métalliques interminables avant de toucher le fond - c’est le cas de le dire... une vraie mer de pierres... La mort lente des glaciers est un indicateur incontestable du dérèglement climatique, on voit aussi les montagnes qui s’effondrent l’une après l’autre, le pilier Bonatti des Drus... des paysages millénaires se modifient à grande vitesse, je l’ai vu aussi en Himalaya. Les guides de Haute Montagne sont les sentinelles d’un patrimoine qui tombe en ruine...

    Une troisième date ? Peut-être le film d’Al Gore, The Inconvenient Truth. 2006. La démonstration était brillante et convaincante, hélas ça n’a pas suffi à faire changer les comportements, malgré le parti pris intelligent de jouer sur les données autant que sur les émotions. Il faut aller sur l’ISS ou sur la Lune pour mesurer physiquement l’extrême fragilité de notre planète.

    Les 3 romans, essais, bd, film, série, documentaires… qui vous ont retourné ?

    E.G. :

    Melancholia, de Lars von Trier, au festival de Cannes, projeté - coïncidence ? - le jour du centenaire de la mort de Gustav Mahler, le 18 mai 2011. Je l’ai vu et revu dans un état d’épuisement et d’hébétude le dimanche matin en même temps que The Tree of Life de Terrence Malik qui venait de recevoir la Palme d’Or. En sortant de la salle, un soleil chaud brillait sur la mer au milieu des palmiers, or on venait d’assister au début et à la fin de la vie sur Terre, à travers la vision de ces deux artistes monstrueux, deux génies qui s’étaient posé les mêmes questions au même moment, pour y apporter des réponses diamétralement opposées mais également sidérantes. C’était un moment unique. Je crois au pouvoir du rêve, de la vision et certaines formes de vérité auxquels on accède par le travail créatif lui-même ou comme spectateur de ces œuvres. Un processus similaire au voyage chamanique présent dans toutes les proto-civilisations.

    Une autre expérience fondatrice a lieu un an plus tôt à l’été 2010, quand je descends dans la grotte de Lascaux. La vraie. L’unique. Pour préparer la visite du Président de la République, commémorer les 70 ans de sa redécouverte et annoncer la création de la Maison de l’Histoire de France et du Centre international de l’art pariétal. C’était l’aboutissement de trois ans de travail, moyennant quoi ces projets ont été supprimés par le gouvernement suivant, mais Lascaux III et IV ont survécu... Comme je n’avais rien demandé, je pensais qu’on me montrerait la réplique de la grotte, Lascaux II. Quand je suis descendu dans la « vraie » grotte, j’ai eu comme une révélation. En m’approchant des fresques j’ai senti une présence très forte derrière mon épaule, c’était comme si je les voyais à travers les yeux des hommes, qui les avaient tracées vingt mille ans plus tôt, en se posant les mêmes questions, je sentais quasiment leur souffle. Tous les hommes sont frères depuis toujours mais c’est vertigineux d’en prendre conscience physiquement. Lascaux - l’art pariétal en général - nous ouvre les portes du temps pour nous mettre en communication avec nos ancêtres mais aussi avec une vérité supérieure, on touche au grand Mystère... Même émotion à Chichén Itzá.

    Vous me direz que j’ai répondu à côté car ça n’a rien à voir avec l’écologie. Et pourtant si. Pour moi l’écologie se conçoit à l’échelle cosmique, et c’est le propre de l’homme moderne d’avoir éteint les étoiles avec ses néons urbains. J’ajouterai quand même l’oeuvre de Claude Lévi-Strauss, découvert à l’adolescence, qui m’a convaincu d’aller en Amazonie à plusieurs reprises. Les documentaires Connaissance du Monde vu avec mes parents ont aussi contribué à forger une conscience écologique. Plus récemment : El Abrazo del Serpiente, de Ciro Guerra, à voir en résonance avec la belle exposition Ayahuasca au Quai Branly, en écoutant des chants Shipibos...

    L’engagement que vous avez réussi à tenir ?

    E.G. : A très petite échelle, je fais tous mes trajets urbains en vélo depuis 30 ans...

    Sinon, à l’Elysée j’ai eu la chance de lancer auprès du Président de la République Nicolas Sarkozy, le Grand Pari(s) des Architectes, une consultation internationale qui m’a permis de rencontrer les plus grands architectes, Jean Nouvel, Rudy Ricciotti, Winy Maas, Richard Rogers, Thom Mayne, Bernardo Secchi, Zaha Hadid, Christian de Portzamparc, Dominique Perrault.... et la nouvelle garde, Jean-Christophe Quinton, Djamel Klouche et tant d’autres ! Il y a eu des guerres ministérielles, des gens ont voulu casser la démarche, au final on a eu dix propositions géniales pour créer enfin le grand Paris, une métropole durable, écologique, humaniste, poétique... Hélas le grand dessein s’est perdu dans le mille-feuilles institutionnel et les bisbilles politiciennes, mais l’esprit est resté et les réalisations se sont multipliées, à plus petite échelle. Il faut être modeste quand on fait de la politique et de l’urbanisme. Ou bien s’appeler Napoléon et renverser la table.

    La résolution que vous avez du mal à mettre en place (mais vous ne désespérez pas) ?

    E.G. : J’essaie de maintenir la température à 19 degrés chez moi mais je suis en minorité... La jeunesse d’aujourd’hui est prête à renoncer à l’avion mais veut vivre en T-Shirt au cœur de l’hiver. Mes parents laissent la température tomber à 16 degrés, ils portent pull, bonnet et bouillotte. La recyclerie vaut aussi pour les bonnes habitudes du passé...

    Il y a un rêve que je caresse parfois : reprendre une exploitation agricole, retourner à la terre, ou partir dans le grand nord canadien en kayak, into the wild... L’exclusion du monde animal des grandes villes est inhumaine, de même qu’on a littéralement tué les Inuits en les empêchant de chasser le phoque. Récemment j’ai été bouleversé par le film Le Règne Animal de Thomas Cailley, qui est un hymne à la nature autant qu’une ode à la singularité, la différence. Une réussite totale. Walden réveille-toi...

    Vos 3 secrets pour soigner votre solastalgie ?  

    E.G. : Plutôt qu’une anxiété écologique je souffrirais plutôt d’une mélancolie existentielle face à une vie absurde par nature, puisqu’on arrive dans une histoire dont on ne connaît ni le début ni le sens et dont on ne verra pas la fin... Cela n’entame en rien l’émerveillement, l’enthousiasme, qu’il s’agisse des beautés sidérantes de la nature ou de l’ingéniosité incroyable de l’être humain, quand l’individu se met au service du collectif. L’aventure du téléscope James Webb est proprement inouïe, et les missions Artemis soulignent en miroir l’épopée démentielle du programme Apollo, qui n’a eu d’égale que les expéditions de Christophe Colomb et de Magellan...

    Il faut être optimiste jusqu’au désespoir aurait dit Malraux, et pour se consoler de la folie incurable de l’être humain (puisqu’il est aussi capable du pire), l’écriture et le piano sont deux remèdes intéressants. Le piano pour la beauté pure et le langage de l’ineffable, quand le bavardage désastreux cède le pas à la musique des astres. L’écriture : même démarche. S’approcher du Mystère. Depuis trois ans je me documente sur les origines et les mécanismes de la vie, l’astronomie, l’exploration spatiale, l’intelligence artificielle, pour les besoins d’un roman d’anticipation, c’est nourrissant et exaltant. On a souvent l’impression d’être né « trop jeune dans un monde trop vieux », mais c’est parce qu’on regarde dans le rétroviseur...

    La solution ou la personnalité qui vous a le plus inspirée…

    E.G. : Récemment j’ai écrit un texte pour la monographie de Manal Rachdi, architecte et biologiste, c’est un compagnonnage depuis dix ans et je vous renvoie à ce texte qui parle aussi d’anthropocène, intitulé L’arbre et la balançoire, édité par David Rosenberg. J’échange aussi régulièrement avec Rudy Ricciotti dont j’aime la faconde, c’est un poète bâtisseur et c’est rare.

    J’ai de l’admiration pour tellement de personnalités qu’il est impossible d’en dresser la liste, depuis Mark Twain, Blaise Cendrars, Umberto Éco, Werner Herzog, David Lynch, Thelonius Monk... En ce moment j’aime échanger avec l’astrophysicien Patrick Michel, qui envoie des sondes se crasher sur des astéroïdes, et avec l’artiste Adel Abdessemed qui envoie des troupeaux de moutons ruiner son atelier parisien tout en travaillant sur le Saint François d’Assise de Messiaen pour l’opéra de Genève, on s’amuse ensemble avec de l’IA générative. J’aime aussi le génie exploratoire et créatif de James Cameron et j’admire indistinctement tous les grands scientifiques, astronomes et astrophysiciens, depuis Anaxagore, Thalès, Pythagore... jusqu’à Hubert Reeves et Avi Loeb, et puis en ce moment je lis les biographies des astronautes, nouveaux aventuriers des temps modernes...

     

    Vos raisons d’espérer ?  

    E.G. : Dès lors qu’on appréhende le cosmos dans son entièreté insaisissable, il n’y a aucune raison d’espérer ou de désespérer, puisque rien n’est à l’échelle de l’humain. Non seulement la Terre n’est plus le centre du monde mais elle ne compte pour rien. Vraiment rien de rien de rien de rien. Rien de ce qui peut lui arriver et rien de ce que nous pouvons faire n’aura d’incidence sur l’Univers... sinon à notre échelle infinitésimale. Par ailleurs la mort - individuelle ou collective - est la condition de la renaissance. L’univers est un cycle de dévoration-résurrection permanente, il faut écouter les sagesses orientales ou amérindiennes - ou les Grecs - ou Hubert Reeves : nous sommes des poussières de vieilles étoiles mortes, qui revivent à travers nous, et on ne meurt jamais : pour preuve, un cadavre est d’abord dévoré de l’intérieur, notre corps abrite des milliards de petits êtres vivants.

    Et qui sait si la vie sur Terre n’est pas d’origine extraterrestre? Le consensus scientifique évolue plutôt dans cette direction, déjà tracée par l’intuition d’Anaxagore de Clazomènes, après avoir vu tomber une météorite sur terre : c’est la théorie de la panspermie. La mission Osiris-REx de retour de la ceinture des astéroïdes va peut-être nous apprendre des choses fabuleuses à ce sujet... Il est aussi probable que la vie se développe sur d’autres planètes que la nôtre, puisque le nombre de planètes habitables détectées n’en finit pas de croître, de manière exponentielle, et que la vie est apparue plutôt tardivement chez nous. Enfin, quoi qu’on fasse, la vie disparaîtra sur Terre dans un milliard d’années, le soleil enflera, les océans s’assècheront, ce sera cuisson-vapeur pour tout le monde...

    Ce n’est pas une raison pour baisser les bras, mais il faut avoir conscience que notre combat écologique est égoïste : on se bat pour la survie de notre espèce, c’est très bien, il faut le faire et il faut aussi tenter de coloniser d’autres planètes, la Lune, Mars et envisager l’exploration des exo- planètes au-delà du système solaire. Mais si l’on parle de la vie elle-même, de la « Création », je suis très serein sur son avenir à l’échelle cosmique : la vie n’a jamais eu besoin de | ’homme... Rien que sur Terre il y a eu cinq extinctions massives d’espèces animales et la vie résistera à tous les ravages de l’anthropocène, apocalypse nucléaire incluse, jusqu’au bouquet solaire final : à brève échéance c’est plutôt l’homme qui a du souci à se faire...

     

    Vos projets pour ces prochaines années ?

    E.G. : Voir grandir mes filles et mes beaux fils, cultiver l’amour et l’amitié, discuter avec mon chat dont la philosophie de vie ne cesse de m’impressionner, finir un troisième roman, continuer à jouer Bach et Monk, vivre de nouvelles aventures humaines, musicales, professionnelles... Voyager, aller sur la Lune si possible. Sinon, se contenter de la houle du large et de la voûte du ciel étoilé sur les hautes montagnes.

    Si vous deviez résumer votre raison d’être ?

    E.G. : Aucune raison d’être, comme tout un chacun. C’est la beauté de la chose.

    ... et s’il faut conclure, j’adore observer le progrès de la science et des techniques mais je préfèrerai toujours aux délires technologistes la sagesse antique des Grecs, leur sens de la mesure, partagé avec de nombreuses civilisations qui n’ont pas brisé leur lien intime avec la Nature - ce mot même est pour eux incompréhensible puisqu’ils en sont partie prenante. Renouons avec notre Pachamama, éteignons les réverbères pour renouer avec le Cosmos tout autour de nous, et restons modeste: « le Monde a commencé sans l’homme et finira sans lui »

     

     

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