Lydia, SNCF, Spotify… Avons-nous besoin de tous ces récaps de fin d'année ?

Non, merci. 

En ce début d’année, l’appli SNCF Connect m’a gentiment appris via sa fonctionnalité "Rétrainspective" que j’étais de la « team Normandie » avec plus de 6 000 km parcourus en 2024, majoritairement sur le trajet Paris-Rouen. Super. Mon collègue Pierre m’a indiqué que grâce à Lydia, il savait qu’il avait effectué plus de 13 versements au même ami. Et la même appli de paiement a permis à mon autre collègue Benjamin de savoir qu’il avait fait pas moins de 24 dépenses dans la catégorie « boulangerie et supermarché ». Cette année, les applis s’en sont donné à cœur joie sur les « récaps » de l’année écoulée. En plus de Lydia et de la SNCF, les VTC Bolt, YouTube Music, Deezer, Apple Music, Twitch ou encore Nintendo proposent des statistiques annuelles personnalisées élaborées à partir de vos achats et usages sur l’année écoulée. Inutile ? Complètement.

La BO de sa propre série

C’est Spotify qui a fait office de modèle en la matière. Son « Spotify Wrapped » est devenu depuis quelques années une sorte de tradition (assez infernale) sur les réseaux sociaux, où chacun partage ses titres et artistes les plus écoutés. L’enjeu est si énorme pour certains (les fans de Taylor Swift notamment), que lorsque ce récap est parasité par un bug ou un hack, c’est le drame. Toutes sortes d’apps essaient donc de reproduire cet effet marketing, un classique qui devrait être enseigné dans toutes les écoles de commerce, dixit Jon Carden, directeur marketing d’une entreprise de la fintech, interrogé par le média américain Axios. 

Pourtant la plateforme de streaming n’est pas la première à avoir pensé à ce format. Axios rappelle que Strava, l’appli de running, le proposait dès 2013. Mais Spotify a eu la bonne idée (ou mauvaise, à vous de juger) de le rendre facilement partageable – en optant pour de la vidéo verticale – à partir de 2019.  

Le format du récap raisonne particulièrement bien avec l’appétence des internautes à devenir le personnage principal et le narrateur d’une version romancée de leurs vies. Comme en témoigne la tendance « main character syndrom » (syndrome du personnage principal). Derrière ce hashtag populaire, on trouve des millions de vidéos de créateurs de contenus racontant leur vie sous forme de mini-scènes cinématographiques. Wrapped, Spotify vous offre donc la B.O. de cette série incarnée et écrite par vous-même. Et si votre algorithme de recommandation est ruiné par les choix musicaux de votre enfant de 3 ans, c’est tant pis pour vous. Spotify a poussé le narcissisme un peu plus loin cette année en plaçant ses utilisateurs dans une catégorie de personnages selon leur type d'écoutes – "vampire" pour ceux qui écoutent les mêmes chansons en boucle, ou "alchimiste" pour les fans de playlists.

Spotify vous rappelle à quel point l’appli vous est utile

Pour Spotify, le récap est surtout une publicité gratuite – qui dure plus d’une minute. Elle peut potentiellement donner envie à d’autres internautes de s’inscrire pour avoir eux aussi leur Wrapped l’année suivante. En 2020, l’application avait noté un boom de téléchargements, en partie liée au lancement de la campagne de fin d’année. Par ailleurs, le résumé de Spotify est efficace car il montre aux utilisateurs à quel point l’appli leur est utile tout au long de l’année, et que donc, leur abonnement vaut le coup. 

Mais toutes les applis ne réussissent pas ce coup marketing. Le récap de la SNCF a été salué par quelques utilisateurs sur les réseaux sociaux, notamment car il donne bonne conscience, en rapportant le nombre de tonnes de CO₂ économisés au cours de l’année en ayant privilégié le train à la voiture ou l’avion. Mais c’est aussi pour d’autres un moyen de railler l’entreprise, pointe le Huffington Post. « Trop cute le wrap de la SNCF, maintenant baissez les prix » ou encore « 10 312 km parcourus : j’aurais pu mieux faire si les trains n’étaient pas toujours en retard ou hors de prix », peut-on par exemple lire sur X. 

Par ailleurs, l’appli semble avoir inventé des données. Elle m’assure par exemple que j’ai écouté la même chanson en boucle pendant des heures – sans que je sache de quelle chanson il s’agit et où exactement l’appli est allée chercher cette information. Quant au récap de Lydia, il est très maigre, et montre surtout que l’appli ne parvient pas à avoir l’envergure qu’elle recherche. « Ce n’est pas très intéressant », note Pierre, contemplant son résumé en chiffres de l’année 2023. Lui n’utilise pas Lydia pour faire des achats en ligne. Son récap se résume donc aux tops 3 des personnes qui lui versent le plus d’argent, et ceux à qui il fait le plus de virements. 

Par ailleurs, comme le note la newsletter Tech Trash, cette pratique du « récap » à tout va montre que nous nous sommes pleinement habitués à être traqués dans les moindres détails par nos applis. Sans que cela ne nous dérange plus que ça, puisque pour les remercier de ce suivi, nous partageons ces statistiques sur les réseaux sociaux. 

« Dating wrapped »

Ce partage d’infos personnelles est si bien accepté, que certains se réapproprient les codes marketing des applis pour créer leur propres « wrapped » de l’année 2023. Ainsi, sur TikTok, des utilisateurs partagent le résumé de leurs vies amoureuses sous forme de « dating wrapped » (parfois ironiquement rebaptisés « crying wrapped ») faisant défiler des PowerPoints kitsch et bien documentés sur leur nombre de premiers rendez-vous, d'affaires conclues, d'applis et de lieux de rencontre favoris... Le hashtag en question compte 147,5 millions de vues sur la plateforme chinoise. Bien plus amusant, il faut dire, que les décomptes de nos virements sur Lydia.