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Les matériaux de demain seront-ils tous issus du recyclage ?

Avec CITEO
© Pexels

En 2018, l’Union européenne avait fixé à ses États membres un objectif de recycler 55 % des déchets municipaux et 65 % des déchets d’emballage à l’horizon 2025. En 2019, Emmanuel Macron promettait quant à lui d’atteindre 100 % de plastique recyclé pour cette même date avec l’application de la loi AGEC. Mais au-delà des belles intentions, un monde totalement recyclé est-il vraiment envisageable ?

Des mégots de cigarettes transformés en dossiers de chaise, en cendriers ou en mobilier urbain. Des carcasses de réfrigérateurs reconvertis en plastique recyclé rigide et des coquilles de mollusques issus de la consommation humaine réemployées sous forme de matière composite en décoration, en tables, en étagères. Des panneaux muraux acoustiques créés grâce à des peluches et des vêtements. Est-ce la description d’un monde univers de science-fiction ? Non. Ce sont des exemples actuels de matériaux recyclés que les visiteurs du salon Maison & Objet ont pu découvrir en septembre 2023 grâce à une installation pédagogique réalisée par MatériO’, un service de veille mondiale sur les innovations matières de tous ordres fondé par Quentin Hirsinger. Une espèce de matériauthèque éphémère qui présentait à la fois ces nouveaux matériaux - répondant aux doux noms de Plastigo, Fristyrène, Istrenn ou encore Pierreplume - et les déchets à partir desquels ils avaient été fabriqués, pour le plus grand plaisir des curieux de passage.

Les matériaux recyclés, une tendance qui doit encore trouver son modèle économique

Il faut dire que les nouvelles matières issues du recyclage sont devenues tendance, car elles promettent de répondre aux préoccupations environnementales du public, mais satisfont également son besoin de nouveauté. Pour se faire connaître, les jeunes start-up du secteur rivalisent donc d’ingéniosité, ici en recyclant les algues en meubles ou accessoires, là en confectionnant des briques de textile recyclé, ailleurs en fossilisant les déchets non recyclables pour en faire des pierres utilisables dans le BTP. Bien souvent, les propriétés de ces nouveaux matériaux les rendent surtout pertinents dans les travaux de construction, plus rarement pour du design. Dans tous les cas, l’innovation s’adresse soit à un public d’élite, capable de s’offrir des objets rares et coûteux, soit à des industriels désirant investir dans une nouvelle technologie.

Au-delà des belles intentions affichées, rares sont ceux qui parviennent à passer à l’échelle et beaucoup doivent déchanter en route, à l’image de Scale Vision, une entreprise française qui transformait les écailles de poisson de l’industrie piscicole en un matériau appelé “Scalite”. Le discours publicitaire évoquait tout un éventail d’usages potentiels : bardage, meubles, accessoires de déco… Après 5 années de développement, Scale Vision a dû mettre la clé sous la porte en 2023, faute de débouchés réels, mais aussi d’approvisionnement local. Pour fabriquer la Scalite, l’entreprise faisait en effet venir les écailles de poisson… d’Asie ! Or, pour être rentable, une filière de recyclage a besoin d’un gisement de déchets peu coûteux à récupérer en grande quantité. C’est pour cette raison que les industriels qui réussissent le pari du recyclage sont ceux qui ont intégré à une large échelle des matériaux historiquement recyclables et recyclés depuis longtemps : d’après les chiffres de Citeo pour les emballages, l’acier est d’ores et déjà recyclé à 100 %, le verre à 88 %, le papier et le carton à 72 %. Dès les années 1970 et même avant, ferrailleurs, cartonniers et verriers pratiquaient le recyclage, si bien que pour ces filières, un monde fabriqué en déchets n’est pas une utopie, mais bien une réalité.

Le plastique, l’épine dans le pied du recyclage

Selon un rapport de l’OCDE, entre 2000 et 2019, la production de plastique a plus que doublé dans le monde. Un saut quantitatif, mais aussi qualitatif, car le plastique n’est pas un déchet comme les autres : il impacte durablement l’environnement et se recycle difficilement. En France, on estime le taux de recyclage des emballages en plastique à 30 % seulement (23 % selon la méthode de calcul européenne). Le reste du monde ne fait guère mieux, avec une moyenne évaluée à 9% des déchets plastiques recyclés, bien loin de l’économie circulaire tant vantée.

Plusieurs freins structurels lourds expliquent cet énorme retard sur le verre, le carton ou l’aluminium. Tout d’abord, le tri à la source des déchets a longtemps péché par manque de clarté, d’où une extension récente des règles de tri à tous les emballages plastiques dans le bac jaune. À cela, il faut ajouter la diversité et la composition complexe des types de plastiques, qui ne peuvent pas tous se recycler. Certains sont susceptibles d’avoir une seconde vie, mais avec une qualité médiocre ou pour un prix non compétitif par rapport à la matière vierge d’origine fossile, comme les pots de yaourts recyclés aujourd’hui pour fabriquer des cintres ou des pots de fleurs. Pour un industriel, recycler le plastique signifie aussi changer une grande partie de sa chaîne de production. Mais de nouvelles filières se développent rapidement sous l’impulsion de la loi AGEC et de Citeo : les barquettes en PET utilisées pour emballer les fruits et légumes ou les viennoiseries seront recyclées en France dès 2025. Idem pour les emballages en polystyrène comme les pots de yaourt, qui pourront bientôt être recyclés dans l’industrie alimentaire en respectant les normes d’hygiène.

Certaines marques sautent le pas pour des raisons d’image ou pour anticiper les réglementations qui imposent de plus en plus un taux d’incorporation de plastique recyclé dans les bouteilles en plastique. Exemple avec Coca Cola qui a lancé ses premières bouteilles en plastique totalement recyclées en 2022 et vise 100 % de bouteilles fabriquées ainsi en 2030, ou encore Apple, qui met en avant le fait que le capot et la paroi du connecteur de son nouveau Mac Mini sont constitués à 60 % de plastique recyclé. Dans le cadre de divers partenariats, Veolia fournit du plastique recyclé à des marques désireuses de fonctionner en boucle fermée : plastique issu d’emballages cosmétiques pour des produits L’Oréal, plastique en provenance de frigos pour des cartes SIM fabriqués par Thalès. Mais pour voir émerger un véritable business model du recyclage du plastique, il faudra certainement attendre l’évolution prochaine de la législation. Une directive européenne de 2019 fixe ainsi un taux d’incorporation du plastique recyclé dans les nouvelles bouteilles de type PET à 25 % minimum en 2025, puis 30 % pour toutes les bouteilles en plastique à compter de 2030. 

Les défis du plastique recyclé, entre éco-conception et solutions locales

Avec cette loi et l’extension des règles de tri, les industriels vont devoir répondre à une nouvelle demande de recyclage des plastiques et relever un défi technologique immense, puisque beaucoup de ces matières contiennent des résines ou des films très compliqués à recycler. Pour y parvenir, l’éco-organisme Citeo mise sur plusieurs éléments complémentaires : d’une part, l’association des technologies mécanique et chimique afin d’optimiser le recyclage et permettre un retour du plastique recyclé dans le circuit alimentaire. D’autre part, le développement de l’éco-conception en amont de la chaîne industrielle. L’éco-conception vise à allonger la durée de vie des produits et à simplifier leur recyclabilité en favorisant des emballages monomatière. Exemple ? En concertation avec Citeo, le groupe MOM a réussi à concevoir des gourdes et des bouchons de Pom'pot avec uniquement du polyéthylène, ce qui les rend facilement recyclables. L’enseigne annonce aussi avoir réduit de 20% la quantité de plastique de l’emballage. Interrogé par la revue de l’École Polytechnique, Franck Aggeri, professeur de management à l’école des Mines, estime que l’éco-conception n’est pas qu’un relooking du packaging de nos produits, mais qu’elle permet de “miser sur une circularité forte, fondée sur des principes de sobriété et d’allongement de la durée de vie des produits et des infrastructures”. Sans elle, impossible de faire face à la croissance de nos besoins de consommation.

À côté de ces défis relevés à l’échelle nationale, voire européenne, d’autres enjeux plus locaux se tissent autour de la question du recyclage des déchets. Dans les départements, régions et collectivités d’Outre-mer, la trop faible quantité de déchets empêche le développement d’une filière industrielle du recyclage, qui ne serait pas rentable. Malgré des contrastes selon les territoires, le manque de moyens est criant : 67 % des déchets ménagers sont enfouis contre 15% à l’échelle nationale, et la gestion des déchets ménagers coûte 1,7 fois plus cher que dans l’Hexagone, car ils sont souvent exportés. Face à cette situation dramatique, Citeo a lancé un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) pour accompagner le développement de solutions locales de valorisation des matériaux issus de la collecte sélective. 10 projets ont été sélectionnés à La Réunion, Mayotte, en Guyane et en Martinique, et Citeo prévoit d’investir 3 millions d’euros via le financement d’équipements et d’études complémentaires. Parmi les programmes retenus, le projet Habit’Âme a déjà démarré à Mayotte le lancement de son unité de recyclage ​​de toutes sortes de plastiques : bouchons de bouteilles, pots de yaourts, récipients… en vue de réaliser du mobilier urbain, des fresques décoratives, des meubles design, des kits scolaires, etc. Les architectes à l’origine du projet n’excluent aucune piste à l’avenir. Comme ils le disent eux-mêmes : on peut “refaire avec du plastique recyclé tout ce qui est déjà en plastique”. 

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