
Les Nations Unies ont fait appel à CulturePulse pour élaborer un double numérique de la région de la Palestine et d'Israël afin d’expliquer certaines causes du conflit, et explorer des pistes de solution.
Après l’intelligence artificielle pour corriger nos mails, aider les radiologues, assister la justice, voici bien sûr l’IA à la rescousse du conflit israélo-palestinien. En août dernier, l’ONU a fait appel à l’entreprise CulturePulse pour développer un modèle informatique afin de mieux comprendre la situation, nous apprend Wired. Des mathématiques pour régler un problème vieux d’un siècle : la nouvelle a de quoi faire lever les yeux au ciel. Et LeRon Shults et Justin Lane, les deux fondateurs de cette entreprise également spécialisée dans la publicité ciblée, le reconnaissent.
Une simulation de la population
« Le modèle n'est pas conçu pour résoudre la situation ; il s'agit de comprendre, d'analyser et d'obtenir des informations sur la mise en œuvre de politiques et de stratégies de communication », précise LeRon Shults à Wired. L’ambition de CulturePulse est d’identifier les différentes causes du conflit et de, tout de même, explorer différentes pistes de solution.
Pour ce faire, l'entreprise entend reproduire un « jumeau numérique » de la zone du conflit. Cette technologie permet de simuler un objet complexe – ici une région géographique et sa population – afin de reproduire in silico des évènements réels, et de comprendre leurs causes, voire tester certaines décisions (un changement politique, par exemple), et prédire certaines évolutions. À terme, l’idée est de réaliser une simulation précise de la population de la région, en tenant compte des « valeurs morales » des individus et de leurs confessions religieuses. Chacun des « agents » représentés par le système de CulturePulse peut avoir jusqu’à 80 caractéristiques : colère, anxiété, personnalité, famille, amis, finances, racisme… « En gros, c’est comme si vous avez à disposition un laboratoire artificiel, avec lequel vous pouvez jouer sur un PC, d'une manière que vous ne pourrez sans doute pas faire dans le vrai monde, pour des raisons éthiques », explique LeRon Shults. CulturePulse avance que les prédictions élaborées par le modèle s’avèrent réelles dans 95 % des cas.
Des données « terrain » venues d’Israël, de Cisjordanie mais pas de Gaza
Les données utilisées pour renseigner ces caractéristiques ne sont pas totalement claires. Wired explique que leur modèle est nourri grâce à des bases de données rassemblant des articles de presse, mais aussi par des informations collectées directement sur le terrain par l’entreprise. LeRon Shults et Justin Lane ont donc passé une semaine en Israël et en Cisjordanie à discuter avec des représentants d’ONG, visiter des villages. Mais ils n’ont pas obtenu la permission de se rendre à Gaza, précise Wired. Les exacts paramètres retenus par l’entreprise pour créer son modèle ne sont pas donnés.
L’ONU n’a pas souhaité répondre aux sollicitations de Wired. Justin Lane explique que l’organisation a noué un partenariat avec son entreprise tout simplement parce qu’ils « avaient besoin de tester quelque chose de nouveau, innovant, de réfléchir en dehors des sentiers battus ».
Utiliser l’IA dans la gestion de conflit n’est pas une si grande nouveauté, rapporte Wired. Depuis les années 1990, des modèles mathématiques permettent de prédire des zones de conflit ou faire des choix logistiques. CulturePulse est déjà intervenu dans d’autres zones de conflit en Irlande du Nord (cette application avait fait l'objet en 2018 d'un article publié dans une revue scientifique), au Soudan, dans les Balkans, et en Grèce pour la gestion des réfugiés syriens.
« Ce type de connaissance est déjà accessible chez les experts »
Sur les réseaux sociaux, le partenariat entre cette société et l’ONU n’a pas convaincu certains chercheurs spécialistes de l’intelligence artificielle ou de géopolitique. « C’est une utilisation intéressante de l’intelligence artificielle. Mais au premier regard, je dirais que ce type de connaissance est déjà accessible chez les experts. Je ne suis pas sûre que nous ayons besoin de l’IA pour nous livrer une analyse. Le problème n’est pas le manque de connaissance mais la gestion politique », explique par exemple Branka Marijan, chercheuse canadienne spécialiste des applications militaires des nouvelles technologies.
Par ailleurs, l’utilisation d’algorithmes pour régler des problèmes sociaux et géopolitiques complexes s’avère rarement concluante. Cela s’explique notamment par le fait que les données sur lesquelles ils sont entraînés sont forcément biaisées, ou que leurs prédictions n’apportent rien de très neuf. En matière de justice par exemple, une récente enquête (de Wired et The Markup) montrait que la capacité de l'IA Géolitica – utilisée pendant plusieurs années par les commissariats américains – à prédire un crime était quasi nulle.
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