une fille tenant un bocal de lucioles

Énergie : peut-on adapter notre consommation à une société post-carbone ?

En complément de la transition vers un mix énergétique propre, la sobriété apparaît désormais comme l'autre levier pour accélérer la décarbonation. Mais comment faire évoluer nos habitudes de consommation ?

Sociologue du climat et coordonnateur scientifique du GIECo (Groupe International d'Evolution du Comportement), Stéphane La Branche travaille depuis 2005 sur la compréhension des freins comportementaux qui ralentissent le changement vers une société post-carbone. Expert reconnu au niveau international, il a notamment participé à la rédaction du cinquième rapport du GIEC et au projet de loi sur la transition énergétique.

De quoi parle-t-on exactement quand on parle de sobriété énergétique ? Pour beaucoup de gens, cela revient à s'éclairer à la bougie...

Stéphane La Branche : Dans les représentations sociales d'une partie de la population, la sobriété signifie en effet se serrer la ceinture. De manière globale, on parle en tout cas bel et bien d'une diminution de la consommation. Cependant, il faut faire la différence entre sobriété et gestion efficace de l'énergie. Le fantasme de l'efficacité, c'est de considérer qu'il n'y a pas lieu de faire évoluer les usages, car l'innovation permet de réduire les émissions de CO2. La sobriété, quant à elle, renvoie précisément à des changements de comportement. Ne pas augmenter le chauffage, mettre un pull quand il fait froid, prendre des douches plutôt que des bains, faire cuire moins longtemps les aliments... Certains de ces changements sont faciles à opérer, d'autres demandent beaucoup d'efforts, et notamment des efforts cognitifs. C'est pour cette raison que quand on regarde les grandes enquêtes qui renseignent sur ce que les gens font pour lutter contre le changement climatique, la réponse qui arrive en tête est le tri des déchets, ce qui n'est ni difficile à faire ni réellement efficace. 

Nous avons tous grandi dans un monde où l'énergie était disponible à l'infini et facilement accessible, ce qui a modelé nos comportements de consommation. Est-ce que cela signifie qu'il faut enclencher une révolution culturelle pour tendre vers la sobriété ?

S.L.B. : En grande partie, oui. Et il y a encore du chemin à parcourir pour y arriver... Cependant, certains signaux encourageants sont en train d'émerger... Aujourd'hui, si vous achetez un appartement, vous investissez dans la pierre mais aussi dans un système énergétique qui sera plus ou moins vertueux. L'efficacité thermique des bâtiments est devenue un critère à part entière dans l'acquisition d'un bien. Ce n'est pas juste un effet de la réglementation. C'est plus subtil. C'est de l'ordre du subjectif. Il y a donc une évolution. Malgré tout, le principe d'une énergie disponible à l'infini reste profondément ancré dans la façon d'organiser nos vies, sans compter que cette énergie est encore majoritairement fossile. C’est pourquoi on reste toujours loin d'une révolution culturelle.  

Certains pays, notamment ceux du nord de l'Europe, ont fait le choix de rendre l'énergie beaucoup plus chère pour en limiter la consommation. Est-ce que c'est une bonne solution ? 

S.L.B. : Oui et non. Le prix a incontestablement un effet sur les consommateurs. On fait évidemment davantage attention quand le coût augmente. Pour autant, descendez dans la rue et regardez le nombre de voitures qui ont leur moteur allumé alors qu'elles sont stationnées depuis plusieurs minutes... Apparemment, le pétrole n'est pas encore assez cher. Le problème, c'est que les études en sociologie, en psychologie, voire en marketing, montrent que le prix n'est qu'un facteur parmi d'autres dans la décision d'achat. On ne peut donc pas tout miser là-dessus. Nous ne sommes pas uniquement des « homo economicus ». Nous sommes aussi des êtres humains qui recherchent le plaisir, qui travaillent, qui ont une vie de famille... 

Par ailleurs, l'augmentation des prix creuserait inévitablement les inégalités. En parallèle d'une mesure de ce type, il faudrait mettre en place un système de compensation pour que les populations précaires ne souffrent pas de cette hausse, alors qu'elles ont déjà les plus grandes difficultés pour boucler leurs fins de mois. Humainement, socialement et éthiquement, ça ne tient pas la route. Et politiquement, pas davantage. On risquerait de se retrouver face à un mécontentement massif qui pourrait entraîner un rejet des efforts de transition. Ce serait hautement contre-productif.

Avec la guerre en Ukraine, un risque de coupure des approvisionnements est apparu fin 2022, ce qui a entraîné une baisse de la consommation d'environ 10 %. Est-ce que cela veut dire que la menace grandissante du réchauffement climatique pourrait à terme infléchir les comportements ?

S.L.B. : Ce sont surtout les entreprises qui ont fait un effort de sobriété, car arrêter un processus de production revient généralement plus cher que le coût de l'énergie. En comparaison, la diminution a été très légère chez les ménages, de l'ordre de 3 ou 4 % au maximum. Il faudrait d'ailleurs voir quels ménages ont baissé leur consommation... Est-ce que ce sont des gens qui sont sensibilisés à l'écologie ? Est-ce que ce sont des générations plus vieilles qui ont connu la guerre et les privations ? Il faut rester prudent. Rappelons-nous que le Covid était censé amener une révolution des mentalités et faire émerger un monde post-consommation. Ça n'a duré que deux mois... 

De manière générale, il faudrait que nous arrivions à tirer des leçons de la guerre en Ukraine, de la pandémie et du réchauffement climatique... Les réactions à ces phénomènes sont souvent ponctuelles. Quel rôle peut jouer une crise dans l'adoption de nouveaux comportements ? C'est une question importante. 

Dès lors, comment faire évoluer les comportements ?  

S.L.B. : Il y a déjà énormément de pédagogie communicationnelle. Ce qu'il nous faut désormais, c'est de la pédagogie opérationnelle. Il faut pouvoir aider les gens à changer quelque chose dans leur quotidien. Il faut des préconisations utiles. Pour convaincre quelqu'un de devenir végétarien, il ne suffit pas de lui dire qu'il faut manger moins de viande. Il faut lui donner l'envie et les moyens de le faire. Il faut du concret et du pratique. 

Aujourd'hui, quelle est la position des énergéticiens par rapport aux enjeux de sobriété ? Peuvent-ils accompagner ce changement vers une moindre consommation ? 

S.L.B. : Dès 2012, la plupart des grands groupes avaient compris que le marché allait changer, et qu'ils risquaient de gagner moins d'argent. Dès lors, ils se sont montrés très imaginatifs en développant de nouvelles offres de service, accompagnement des entreprises vers une optimisation de leur consommation, amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments... Ils sont toujours dans cette logique. Certains parviennent à tirer leur épingle du jeu mieux que d'autres. Ce qui les inquiète depuis deux ou trois ans, ce sont les nouvelles réflexions sur le changement climatique et l'impact que celui-ci va avoir sur leur capacité à produire de l'électricité, car s’il n'y a pas assez d'eau dans les barrages ou si elle est trop chaude, cela peut mettre à l'arrêt les centrales nucléaires. Autre défi qui se présente devant eux, le dérèglement de la logistique mondiale va fortement influer sur le transport de l'électricité. Aujourd'hui, trouver une réponse à ces problèmes est l'enjeu majeur de ces grandes entreprises. Au niveau international, certaines compagnies de gaz et de pétrole commencent cependant à comprendre que la tendance à la diminution des énergies fossiles est irréversible. 

En proposant une électricité nettement moins polluante, les énergies renouvelables pourraient-elles être un frein à la sobriété ? Risquent-elles d'inciter les consommateurs à faire comme avant et à ne rien changer ?

S.L.B. : Cela pourrait en effet être le cas. Il y a même un risque réel de surconsommation. C'est ce qu'on appelle l'effet rebond. Par exemple, les gens vont avoir tendance à laisser plus facilement allumée une ampoule basse consommation... De la même manière, la voiture électrique pourrait légitimer un usage plus intensif du véhicule individuel, y compris chez des personnes qui sont écologistes. 

En matière de sobriété, à quelles évolutions peut-on s'attendre dans un avenir proche ?  

S.L.B. : En 2005, les politiques climatiques, énergétiques et territoriales formulaient de grands principes en étant centrées sur le partage des bonnes pratiques au niveau local. Les enseignements qui en étaient tirés remontaient ensuite au niveau national, puis devenaient des lois. C'était du bottom-up avant d'être du top-down. Aujourd'hui, les mesures politiques sont de plus en plus contraignantes et viennent de moins en moins du terrain. Elles ne s'appuient plus sur la concertation démocratique préalable. Pour faire évoluer les comportements, il faut remettre le dialogue au centre du jeu. Pour autant, de façon générale, la diminution de la consommation de viande, la montée en puissance des mobilités douces et la formation à la transition écologique à l'école et dans l'enseignement supérieur sont incontestablement des signaux positifs. Il y a une évolution, mais elle est encore trop lente. 

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commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    une phrase qui ne veut rien dire : encore une spécialiste en rien !
    Autre défi qui se présente devant eux, le dérèglement de la logistique mondiale va fortement influer sur le transport de l'électricité.

  2. Avatar Louis dit :

    Changer nos comportements :une évolution permanente! Pourtant nous peinons à consommer moins. C'est vrai pour la consommation énergétique. La sobriété est considérée comme effet de choix personnels, ce qui n'est pas faux mais ceux-ci ne résultent-ils pas aussi des formatages qui conditionnent notre culture, nos comportements. Formatages issus de notre éducation , de notre environnement culturel conditionné de plus en plus par le marketing et la publicité qui incitent à consommer plus!
    Ceci devrait conduire à un contrôle plus rigoureux sur les contenus publicitaires !Tâche improbable puisque celle-ci constitue la ressource essentielle de la presse, des médias...Qui oserait?

  3. Avatar Armand dit :

    Bonjour à tous quel serait le bilan carbone de la planète si nous vivions en paix, combien d'années d'efforts devrons nous faire pour compenser la production de CO² des conflits mondiaux ? La solution à nos difficultés serait avant tout une gouvernance acceptée et apaisée dans nos différents pays. Sans compter bien sur sur la dépense en carbone de nos propres conflits internes liés à l'éternelle confusion entre l'intérêt général et la somme des intérêts particuliers (voir la mise en place d'une ligne TGV rendue impossible entre Marseille et Nice)

  4. Avatar Eric dit :

    Un pensum pour les renouvelables dont on ne prend que les impacts qui nous intéressent, la faillite de l'energiewende Allemande devrait nous interpeller.
    Des renouvelables il en faut mais probablement pas plus que ce qu'il faut pour s'acclimater à des étés plus chauds. Commençons par faire établir des plans plutot que de faire voter des représentants qui ne savent pas calculer les enjeux

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