
« Une marque est une promesse, une grande marque est une promesse tenue », confie Luc Speisser, Président de Landor France et Suisse. Portrait d’une agence qui réinvente les marques dans un monde qui change.
Après ses études au CELSA, Luc Speisser se prend de passion pour un sujet d’importance : le SIDA. « C’étaient les années 90. Je suis bilingue français – allemand, et j’ai été frappé par la différence de communication sur le préservatif entre ces deux cultures ». Alors qu’en Allemagne, on rentre dans le vif du sujet en montrant des sexes sur lesquels ont met des capotes, en France on adopte des slogans plus gentils : « le préservatif aujourd’hui, tout le monde dit oui ». Le rapport à la responsabilité est différente, explique-t-il : « en Allemagne on faisait peur pour responsabiliser, en France on responsabilisait pour ne plus faire peur ». Il part à San Francisco faire du volontariat et travaille pour plusieurs associations avant de rejoindre le Comité Français d’Education pour la Santé. « Nous étions arrivés à un tournant historique : il fallait arrêter l’hypocrisie qui consistait à dire que le préservatif était un super produit de consommation pour expliquer qu’il permet de protéger du SIDA ». Les communications mettent alors en scène des situations à risques. « On a parlé de toutes les positions sexuelles possibles, pour la première fois on parlait de l’homosexualité dans les media grand public ». Plutôt que de faire de la communication de masse, Luc Speisser croit à la communication spécialisée, plus précise. En s’adressant à la population maghrébine pendant le Ramadan, ou les habitués du Journal du Hard avec des films de réalisateurs tels que Cédric Klapisch, Jacques Audiard ou Gaspar Noé, le propos est mieux appréhendé par la cible.
« Mais mon cœur était quand même du côté de l’agence ». Après 10 ans aux côtés du SIDA, il se retrouve chez Australie, avant de rejoindre Lowe & Partners puis BETC. « A l’époque, on me reprochait de ne pas avoir bossé sur des sujets de lessive ». Il se frotte donc à cette culture anglo-saxonne des grandes marques qui lui manque.
En 2005, Nathalie Varagnat lui propose de rejoindre l’aventure. « En France, on ne connaissait Landor que comme une agence de pack, alors que Walter Landor a inventé le branding ». A l’international, l’approche de l’agence est à la fois business et créa : il a fallu mettre Paris au même niveau que le réseau. « J’ai créé un département stratégique, capable d’avoir de la hauteur sur des sujets de marques aussi bien grande conso que corporate ». Luc Speisser découvre le brand engagement, l’architecture et les promesses de marques. « Une bonne promesse de marque doit être différente et pertinente. Elle doit se retrouver dans les produits et les services, les lieux qu’ils soient virtuels ou réels et les gens. Avant, quand on demandait aux gens leurs marques préférées ils se référaient à la pub. Aujourd’hui, ce qui compte, ce sont l’expérience, le produit ou le service ».
Chez Landor depuis 10 ans, Luc Speisser a compris que les marques doivent se réinventer. « Nous sommes dans une remise en question constante : la disruption n’est plus l’apanage des challengers qui veulent devenir leader ». Il faut réinventer le monde et les marques qui l’entourent, « et ça nous va très bien. Nous partons des gens pour challenger la norme ». Une culture qui découle de la personnalité de Walter Landor. « Quand il a créé l’agence, le business marchait très bien. Très vite on lui a demandé de trouver des bureaux et de quitter l’appart où il bossait avec sa femme. Il voulait que les gens comprennent que sa marque se réinventait en permanence, tout en contribuant à la vie de San Francisco. Plutôt que de s’acheter un bureau à la Mad Men, il a préféré investir un vieux ferry. C’est très significatif : un bateau bouge, avance, il n’est pas sur la terre sans en être très loin. On est un peu ailleurs… ». Il transforme ce bateau en lieu d’expérimentation, où il reproduit les allées des supermarchés pour comprendre les consommateurs, fait de la vidéo, et invite même les Rolling Stones. « C’est devenu notre emblème. Il n’y a pas de règle, on se réinvente sans cesse. Et tant mieux : nous sommes dans un monde où les marques n’ont pas besoin de gens qui ne font qu’appliquer des méthodes et des recettes ».
Pour lui, la marque n’est pas qu’un sujet de la communication ou du marketing, mais bien de l’entreprise. « Avant, les marques étaient des cathédrales intouchables et figées. Aujourd’hui elles doivent être agiles. Les gens qui les conçoivent aussi ». Agences, entreprises et organisations doivent travailler de concert, de façon décloisonnée pour créer des promesses pertinentes. « Nous travaillons avec toutes les directions : RH, R&D, commerciales, services, lieux… ». Réunir tout le monde permet une adhérence autour d’une promesse forte et tenable. « Il faut de la transversalité : les gens qui sont dans le quotidien du client doivent pouvoir être présents ».
A l’agence, on ne parle pas de « service providers » mais de « trusted advisers ». Pour Luc Speisser, quand une marque choisit un partenaire, le « ventre mou » n’a pas sa place. « Soit les gens achètent moins cher parce que c’est suffisant et que ça fait l’affaire, soit ils achètent du premium ». Il choisit la deuxième option et séniorise les équipes, à tous les niveaux. « Le réseau est très intégré : 20% des effectifs de chaque bureau viennent d’un autre bureau du réseau, sans compter les échanges réguliers plus courts qu’il y a tout le temps ». Cela permet aux gens de se connaître. « Nous sommes un métier de personnes, il faut qu’ils se voient et qu’ils se comprennent. Rien ne remplacera ça, pas même les réseaux sociaux ».
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