
Est-ce le digital qui a transformé le rapport à la beauté ou bien est-ce notre rapport à la beauté qui a (re)modelé l’usage que nous faisons du digital et de la technologie dans ce domaine ? C’est la poule et l’œuf. Et donc certainement un peu les deux. Tribune d’Olivier Bailloux, directeur du planning stratégique Publicis Modem.
Pour venir en appui de notre réflexion sur ce sujet nous avons utilisé notre Newsdesk by Publicis Modemã pour écouter les conversations qui se créent sur les réseaux sociaux autour de la beauté, des marques, des produits, des influenceuses, etc. La beauté est un vrai sujet social au sens où elle est au cœur des conversations et alimente un corpus très important de publications qui nous a servi de base d’étude.
Au moment où finalement la plupart des marques de beauté ont décidé d’aller sur les réseaux sociaux, de faire du e-commerce et de parler avec leurs clients en utilisant internet… il nous a semblé opportun de résumer ce qui avait vraiment changé dans la relation marque consommatrices.
Quatre grands changements émergent selon nous :
Le premier est incontestablement un rééquilibrage du rapport de force au bénéfice des consommatrices. Hier les marques monopolisaient la parole, elles imposaient leur image et elles imposaient même leur vision de la beauté. Aujourd’hui le pouvoir des consommatrices fait désormais jeu égal avec celui des marques. Les clientes s’expriment et les marques ne sont pas, et loin s’en faut, leur seul sujet de conversation sur la beauté. Les réseaux sociaux sont devenus pour les publics les plus jeunes une source d’information beaucoup plus riche et fiable que les médias traditionnels. Ainsi, les consommatrices de produits de beauté écoutent les autres clientes et dialoguent avec elles, intègrent leurs avis dans leurs choix et elles ont même pris une certaine distance par rapport aux images imposées par les marques. La stratégie de Dove qui entend incarner la parole des « vraies femmes » est un immense succès en termes de création de conversations. Récemment au Royaume Uni, une publicité YSL avec une mannequin anorexique a déclenché un tir de barrage sur les réseaux sociaux. Les marques doivent désormais considérer leurs clientes comme des alliées et plus exclusivement comme de simples cibles publicitaires.
Le second changement concerne les contenus que les marques diffusent auprès des consommatrices. Hier, les marques de beauté jouaient le rêve, le mystère, le secret, la poésie, la légèreté, la dimension aspirationnelle exclusivement. Elles ont depuis quelques années découvert qu’avec le digital elles pouvaient aussi proposer des choses utiles et aller un cran plus loin dans les contenus. Ainsi l’application mobile de maquillage de L’Oréal MakeupGenius permet de tester des maquillages et par la même occasion de nourrir les conversations des femmes sur la beauté… Et même celles des hommes qui s’amusent à utiliser cette application. Dans un registre différent, Dior Eyes propose une expérience inédite pour accomplir le rêve de beaucoup de femmes : vivre en backstage un défilé de mode et voir les make up artists à l’œuvre. Cette expérience digitale crée également un véritable effet de curiosité en Asie notamment où les magasins qui la proposent à leurs clients voient leur trafic s’accroitre significativement. Développer des stratégies servicielles et des stratégies de contenus est devenu une priorité pour les marques pour trouver une place dans les conversations.
Le troisième changement touche une dimension fondamentale de la beauté : la transmission. Hier la transmission se faisait sur un mode quasi exclusivement top / down. Les marques détenaient les savoirs de la beauté, elles les transmettaient aux conseillères de beauté, qui les transmettaient aux femmes qui les transmettaient à leurs filles. Le digital a permis à un partage horizontal des savoirs de se développer. Ce changement s’opère de façon plus marquée sur les jeunes générations. On est tenté de dire que la génération X était encore dans la transmission verticale, que la génération Y était dans un schéma central qui place l’individu au centre et la génération Z dans un schéma horizontal avec une proximité forte avec ses pairs quels qu’ils soient. Dans le domaine de la beauté cette évolution s’est traduite par une inversion des rapports mères / filles, les mamans cherchant auprès de leurs filles devenues expertes de la beauté des produits nouveaux et des astuces nouvelles. Les influenceuses, bloggeuses et autres youtubeuses ont pris une place considérable dans les conversations et dans la prescription. Les femmes leur accordant plus de crédit qu’aux marques et aux conseillères pour la simple et bonne raison qu’elles les considèrent avant tout comme des consommatrices comme elles. Pour ne pas passer à côté de ce mouvement, les marques doivent chercher à nourrir le partage entre consommatrices elles-mêmes plutôt que de se limiter à entretenir une relation marque / consommatrices.
Enfin, le dernier grand changement porte sur la façon dont s’opèrent les segmentations marketing. Pendant longtemps le domaine de la beauté était structuré simplement à partir de l’âge et de la valeur. Les gammes de produits et leur communication étaient construites en fonction de l’âge des cibles et de leur pouvoir d’achat. Désormais ces dimensions n’ont pas disparu mais elles ont vocation à s’enrichir du niveau d’influence et d’engagement des cibles. Le programme de fidélité de Victoria Secret aux Etats-Unis invite ses membres à connecter leur carte de fidélité à leur profil Facebook pour gagner des points et ensuite être récompensées en fonction de ce qu’elles likent et de ce qu’elles partagent. Les clientes de SallyBeauty sont désormais encouragées à faire profiter la marque de leur niveau d’influence et de leur niveau d’engagement. Ces approches de « social crm » conduisent à reconsidérer et enrichir les segmentations habituelles.
Pour conclure, il ressort que l’écoute des conversations sur la beauté est plus que jamais utile pour les marques de beauté. Pour comprendre les tendances de fonds, pour identifier les signaux faibles et pour s’immiscer dans les conversations avec le ton et les contenus qui conviennent. Les conversations sont un flux continu dans lequel le prévisible (les conversations autour de la fête des mères par exemple) côtoie l’imprévisible (la publication d’une vidéo d’une youtoubeuse comme EnjoyPhoenix qui va faire 700 000 vues en quelques jours et susciter plus de conversations qu’une campagne de publicité d’une grande marque de beauté). Pour aborder avec confiance ces nouvelles pratiques, les marques doivent apprendre à écouter, tout écouter et analyser. C’est la condition nécessaire si elles veulent continuer à être entendues.
Olivier Bailloux
Directeur du planning stratégique Publicis Modem
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