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Pour imaginer le monde du travail de demain, plongeons dans le passé !

© Fauxels - Pexels

Les nouvelles formes d’organisation du travail sont déjà là. Pourtant, selon Pascal Picq, nous ne sommes toujours pas sortis de l’ère industrielle. Le paléoanthropologue donne quelques pistes pour entrer dans l’ère de la révolution numérique.

À quoi ressemblera le monde du travail en 2030 ? Qui travaillera ? Comment ? Et où travaillerons-nous ? C’est pour tenter de répondre à ces interrogation, ou du moins d’esquisser un début de réponse, que la Cité de l’Économie et des Métiers de Demain impulsée et développée par La Région Occitanie / Pyrénées Méditerranée, a invité le paléoanthropologue et maître de conférences au Collège de France à venir s’exprimer le 14 juin 2022. L’auteur de l’ouvrage Les chimpanzés et le télétravail - vers une (r) évolution anthropologique (Ed. Eyrolles, 2021) est venu transmettre sa vision du monde du travail à l’heure de l’économie de l’innovation. 

“Nous n’avons pas modifié les conséquences sociales et économiques de l’ère industrielle”

Bonjour les Sapiens et les Sapiennes”, s’exclame Pascal Picq en préambule. Cette piqure de rappel primitive nous ramène au fondement de l’histoire de l’Humanité : elle évolue constamment. Et l’une des grandes questions que pose la théorie de l’évolution est la suivante : comment se fait notre évolution et comment faire face à l’avenir qui n’est pas défini ? Le paléoanthropologue met d’abord en garde face aux prospectivistes. “Jeremy Rifkin annonçait la fin du travail. On a jamais autant bossé dans le monde ! ”, prévient-il. Alors pourquoi de grands intellectuels et chercheurs peuvent-ils se planter à ce point ? Réponse de Pascal Picq : “ils évaluent le monde à venir à partir de critères du monde que l’on va quitter.” Sommes-nous pour autant condamnés à subir l’évolution? Heureusement pour les Sapiens et Sapiennes, la réponse est non. Et cela, Charles Darwin l’avait bien compris : la meilleure réponse possible face à un avenir dont on ne connaît pas les contours, c’est la diversité. 

Le problème, c’est que nous ne sommes toujours pas sortis de l’ère industrielle, ère au cours de laquelle la diversité n’était pas franchement le maître mot. “Elle a été une transformation profonde de nos sociétés mais nous n’avons pas modifié après un siècle et demi, les conséquences sociales, économiques et politiques liés à ce mode de production”, explique Picq. 

Des figures comme Erasmus Darwin, Matthew Boulton ou encore James Watt ont changé la société en inventant les moyens de production qui ont conduit à la révolution industrielle. Selon le paléoanthropologue, cette révolution n’a pas été faite avec la révolution numérique. Pire encore, nous ne l’aurions même pas encore entamé. Pourtant, les nouvelles formes de travail sont déjà là, preuve en est avec le télétravail qui existe depuis les années 1970 grâce à l’apparition du téléphone et du Minitel. Mais comment les mettre en œuvre au service d’une nouvelle organisation globale du travail ? 

Le télétravail : une évolution majeure qui n’est pas à la portée de toutes et tous

Après le premier confinement, alors que la majeure partie des travailleurs et des travailleuses avaient été mis au chômage partiel ou en télétravail, les entrepreneurs se sont interrogés, inquiétés même : les collaborateurs vont-ils revenir ? Comment maintenir la cohésion au sein de l’entreprise ? Même chose du côté des collaborateurs qui ont pu prendre conscience de problématiques liées à leurs conditions de travail. Mais pas seulement. De nombreux problèmes physiologiques ou psychologiques se sont manifestés, “car nous sommes des êtres sociaux”, rappelle le maître de conférences. 

Alors, à quel moment doit-on se retrouver entre êtres humains, et quand peut-on se passer les uns des autres ? Pour répondre à cette épineuse question, Pascal Picq propose de nous pencher sur nos cousins : “les chimpanzés se rassemblent pour les activités sociales ou professionnelles de haute importance et se séparent pour les tâches plus prosaïques.” La question des tâches est donc essentielle selon le paléoanthropologue, qui ajoute : “quelles sont les tâches pour les machines, les tâches pour les humains et les tâches hybrides ? ”.

Autre problématique importante, celle des différences culturelles. Ce n’est pas parce que l’on semble connaître une évolution technologique considérable avec le télétravail qu’il faut faire abstraction de l’anthropologie. Comme le rappelle Pascal Picq, selon les pays, on peut se confronter à des problèmes culturels. En France, 84% des entreprises ont demandé à leurs collaborateurs de revenir au bureau. Le chercheur poursuit la métaphore du primate : “la France est une société de macaques, napoléonienne et autoritaire. En Angleterre, on est à 54% car c’est un pays où l’on a tendance culturellement à déléguer et à faire confiance à distance.

Un facteur culturel, anthropologique mais aussi social : le télétravail reste un privilège réservé aux personnes diplômées. “Les personnes de la première et de la seconde ligne, moins diplômées, sont obligées de se déplacer. Quand on pense aux nouvelles formes de travail, ces problématiques interviennent aussi”, rappelle Pascal Picq. 

La diversité au service de l’innovation et du futur du travail 

Pour faire face à ces contraintes, l’on peut se replonger dans le pouvoir innovant de la diversité. Sur l’égalité homme-femme, l’approche de Pascal Picq se veut moins féministe qu’utilitariste. Dans son ouvrage Et l’Évolution créa la femme, il s’intéresse à l’évolution de la lignée humaine et à la place des femmes. “Attention, dans un monde qui est celui de l’économie de l’innovation, plus vous discriminez, plus vous allez vers les emmerdements”, prévient-il. 

Pour affirmer cela, le chercheur s’appuie sur Charles Darwin et sa théorie des diversités. “Il y a une relation directe entre l’équité homme-femme, la diversité et la santé d’une économie”, précise-t-il. Sachant que la discrimination a un coût exorbitant selon Pascal Picq : la discrimination homme-femme représenterait une perte potentielle de 12 milliards de dollards. “Adam Smith l’avait compris, une société qui exploite un autre groupe humain n’innove plus”, indique-t-il. 

Et quid du travail en usine ? N’est-ce pas aussi une forme d’exploitation ? Des pays comme la Chine ou l’Inde qui ont complètement acquis leur transformation numérique n’ont pas arrêté de faire tourner leurs usines pendant la crise du Covid grâce à la robotisation. Les outils numériques sont pour Pascal Picq, la solution pour transformer le monde du travail, les métiers intellectuels comme l’artisanat. “Les métiers les moins qualifiés vont connaître une évolution extraordinaire en termes de formation : 130 millions de jobs vont connaître des transformations importantes en Europe”, annonce le paléoanthropologue. Et Pascal Picq de conclure : “la seule chose dont je suis certain, c’est qu’il y aura toujours du travail.

Pour visionner l'intervention de Pascal Picq au sein de la Cité de l’Économie et des Métiers de Demain, c'est juste ici :

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  1. Avatar Yuropp dit :

    Étudier "le télétravail chez les chimpanzés" (ou chez les bonobo, inventeurs de la "promotion canapé") est intellectuellement satisfaisant. Mais je trouve qu'examiner le télétravail d"il y a deux cent ou trois cents ans ouvre davantage de points de comparaisons pertinents.
    Entre cette époque et maintenant, il y a eu une inversion totale du contenu du télétravail : autant, à l'époque, il était "évident" que tous les gratte-papiers devaient aller au bureau, autant il est devenu "évident" que la place des ouvriers est à l'usine (usine éloignée, hors de portée des grèves de nos syndicats…). Et vice et versa.

    À toutes les époques, pour que le télétravail soit une solution viable, il faut
    1) que le télétravailleur dispose d'une infrastructure suffisante (lieu à l'abri de la pluie et des rongeurs, éventuellement local dédié, moyen de communication pour les entrées/sortie),
    2) que le télétravailleur ait un niveau de compétence éventuellement élevé, mais fixe, son métier n'évoluant pas ou peu,
    3) que le donneur d'ordres ait un moyen de vérifier le travail effectué, tant qualitativement que qualitativement.

    C'est ce dernier point qui a permis l'envolée du télétravail chez les gratte-clavier : avec une liaison modem rapide à coût marginal nul, tout le travail effectué "s'en va" chez le donneur d'ordre au fur et à mesure (le compteur de frappes clavier étant "la cerise sur le gâteau"). Ça marche même avec la sous-traitance : qu'il s'agisse de faire du logiciel en Inde, des dessins animés en France, ou des implantations de circuits imprimés au Maroc, tous les disques durs sont exportés chaque nuit…

    Mais avant cela, c'étaient les tâches de petite industrie qui faisaient l'objet du télétravail : fabrication de dentelle (un métier à dentelle ne prend que peu de place, et une dentelière expérimentée ne consomme même pas d'éclairage), bobinage de fil textile (je me souviens de parent éloignés qui avaient une machine capable de fabriquer une certaine de bobines tronconiques… Au passage, ils avaient construit une aile pour abriter leur machine, avant l'invention du permis de construire). Ou bien, dans le Doubs, fabrication de pièces d'horlogerie de précision durant le "pause hivernale" agricole. Jusqu'aux galériens de Toulon qui, quand ils ne ramaient pas, faisaient du tricot.

    On amène la matière première, et un reprend les produits fini : le contrôle était moins "serré" que maintenant, mais tout aussi strict…
    Les "réclames" pour le télétravail ont été "pensées" par des gratte claviers, persuadés que "tout le monde" vit comme eux (au passage, tout individu dont le "travail" consiste à taper sur un clavier et a téléphoner devrait réaliser que son siège est aussi éjectable qu'une tourelle de T72). Pour les autres, c'est la bétonnière dans le salon, et le câblage de circuit imprimés dans la chambre ?
    Il va falloir une prise de conscience des architectes et de ceux qui les "norment"

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