Deux lionnes

Halte aux clichés : dans la nature, les femelles sont aussi « bitch » que les mâles

Dans la nature, les femelles sont des « bitch ». C'est la zoologiste Lucy Cooke qui le dit dans son ouvrage éponyme, Bitch: A Revolutionary Guide to Sex, Evolution and the Female Animal. Une révolution dans nos représentations.

Savez-vous comment se reproduit le monde ? Vous pensez, en gros, que de fringants spermatozoïdes frétillent jusqu'à un gros ovule qui patiente passivement. Par analogie, vous prolongez cette image : les mâles, moteurs agiles de l'évolution, choisissent les femelles qui attendent d'être élues pour enfin pouvoir couver leur œuf. Et si vous vous trompiez ? Et de beaucoup. C'est ce que la zoologie semble pouvoir vous démontrer.

Famille, sexe, reproduction... Le règne de la diversité

Dans son ouvrage Bitch: A Revolutionary Guide to Sex, Evolution and the Female Animal, la zoologiste et journaliste Lucy Cooke démonte nos représentations de genre que l'on traîne depuis Darwin. Car oui, la lionne, comme la hyène ou la carpe sont des « bitch » (à traduire par « chienne » ou « garce »...). Et si vous êtes une femme, il est probable que, comme vos sœurs animales, vous le soyez aussi. Vous non plus, vous ne cadrez pas aux stéréotypes de genre qui vous renvoient à la passivité, l'attente, la patience, la fidélité... L'attaque portée par Lucy Cooke est aussi réjouissante que drôle. D'une part, elle observe que le spectre des comportements sexuels est très étendu et que copuler, pour toutes les espèces, ne sert pas uniquement à se reproduire. D'autre part, que l'organisation des structures familiales sont aussi diverses que créatives. Dans toutes ces circonstances, les femelles ne seraient ni prudes, ni soumises.

La femelle est un mâle comme les autres

Accrochez-vous aux branches, car dans le règne animal, on est sur du gros level de pétasses. Les femelles bonobos sont complètement nymphos, tout comme les lionnes qui n'hésitent pas à s'accoupler 100 fois dans la même journée (et même pas avec le même partenaire). Et ce ne sont pas les seules car on ne compte que 7 % des espèces animales sexuellement monogames. Cela signifie que l'immense majorité des femelles, des macaques de Barbarie aux mésanges bleues, veulent copuler avec de nombreux et divers partenaires. Quant aux suricates, Lucy Cooke les décrit comme une société matriarcale où les femmes imposent une « tyrannie reproductive » à leurs congénères mâles par l'extorsion et la violence physique.

« Les femelles ne sont pas plus passives ou moins conquérantes que les hommes », explique Lucy Cooke. Pour preuve, les antilopes topi femelles des prairies du Masai Mara (Kenya), aussi appelées sassabi, organisent un rassemblement par centaines pour se battre avec leurs bois afin d'avoir la chance de coucher avec le meilleur mâle. Après la conquête sexuelle, le noyau familial s'exprime selon un éventail allant de la monoparentalité, à des parents du même sexe (chez les albatros de Hawaï), ou mixtes. Et chez les poissons, pour deux tiers des espèces, ce sont les papas qui s'occupent de la progéniture alors que la femelle a pris la poudre d'escampette pour aller pondre ailleurs. Quant aux lémuriens femelles, elles mangent les bébés de leurs sœurs si elles osent se reproduire.

Notre biais d'observation, la faute à Darwin ?

Comment le mythe de la soumission féminine a-t-il pu persister si longtemps dans la science ? « Les mâles de presque toutes les espèces ont des passions plus fortes que les femelles », écrit Darwin. La femelle, quant à elle, « exige généralement d'être courtisée ; elle est timide ». Un mensonge que pardonne Lucy Cooke : « Darwin n'avait pas tort, explique-t-elle. Il reste mon héros académique. Il était juste restreint par la perspective de son époque. Imaginez-vous en pleine ère victorienne, avancer que l'Homme descend du singe. Imaginez-vous ensuite s'il avait ajouté que les femelles étaient aussi dynamiques sexuellement que les mâles et qu'en plus, copuler n'était pas uniquement utile à la reproduction, mais aussi pour créer du lien, et ce, même entre femmes... Peut-être que l'égalité de comportement chez la femelle était l'étape d'après de sa théorie. Mais on ne le saura jamais. » De ce fait, sa théorie de la sélection sexuelle n'a dépeint que la moitié du tableau.

La science, empreinte de sexisme ?

Lucy Cooke n'est pas la seule auteure à s'être intéressée aux clichés genrés en science. D'autres disciplines de l'étude du vivant sont concernées, comme la biologie. La journaliste Daphnée Leportois avait rappelé dans un article publié sur le site Slate que nous avons une vision sexiste de la conquête de l'ovule par le spermatozoïde. Elle cite les travaux de plusieurs scientifiques. Ceux du biologiste John F. Hartman par exemple, qui, il y a 50 déjà, avait montré que l'ovule n'est pas une « petite graine » que l'on peut féconder. Pour faire simple, John a percé la zone pellucide – la pellicule qui entoure l'ovocyte - avec une aiguille. Ce faisant, les spermatozoïdes étaient incapables de franchir la barrière devenue trop aride, preuve, selon la formulation de la journaliste, qu'il existe « une sorte de partage des tâches lors de la rencontre ».

Quelques années plus tard, en 1984, des chercheurs de l’université Johns-Hopkins dans le Maryland vont faire une autre découverte étonnante. Les spermatozoïdes de ces messieurs, lorsqu'ils frétillent sur l'ovule, ne poussent pas vraiment vers l'avant, mais plutôt vers les côtés, par des mouvements d'aller-retour. Et plutôt que de percer, ils ont plutôt tendance, en fait, à twerker et à se faire la malle. Tout le travail de l'ovule consiste donc à les capter pour éviter qu'ils ne se carapatent. C'est bien l'emboîtement des deux qui va permettre de percer la surface, et non, comme on le pense communément, la vaillance des gamètes mâles. Le spermatozoïde ne perce rien du tout, il se colle à l'œuf et basta.

Problème de représentativité

Emily Martin (citée par Slate), professeure émérite d’anthropologie à l’université de New York, met en lumière dès le début des années 90 le rôle du langage dans notre vision de la fécondation : « L’ovule et le spermatozoïde interagissent mutuellement. Que la biologie refuse de les dépeindre ainsi n’en est que plus dérangeant. » Elle détaille encore : « L’ovule est vu comme gros et passif. Il ne se déplace pas, ne chemine pas, mais est passivement “transporté”, “balayé”, voire même “dérive” le long du tube utérin. À l’inverse, les spermatozoïdes sont présentés comme étant petits, “aérodynamiques” et toujours actifs. » La scientifique soutient qu'il s'agit d'une construction culturelle plutôt que de faits scientifiques.

Pour modifier le discours sur la nature et donc sur notre propre fonctionnement, qu'il s'agisse de zoologie, de biologie ou d'autres matières scientifiques, Lucy Cooke opine qu'il faut une meilleure représentativité de sexe, de couleurs de peau ou d'ethnies chez les scientifiques. Toutefois, nous en sommes encore loin. Seules 32 % de femmes choisissent des études supérieures en sciences, techniques, ingénierie et mathématiques.

Du coup, en attendant la représentativité, lisez le livre de Lucy Cooke (non traduit) Bitch: A Revolutionary Guide to Sex, Evolution and the Female Animal, et choisissez mentalement votre « bitch » animale préférée.

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commentaires

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  1. Avatar lauriana dit :

    Très intéressant ! je vais me procurer ce livre merci l'adn

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