Walter White, Bojack… ces losers géniaux que l’on a érigés en héros

Walter White, Bojack… ces losers géniaux que l’on a érigés en héros

© Bojack Horseman - Netflix

Vie quotidienne, santé mentale, déboires sexuels et sentimentaux, handicap… la culture populaire a délaissé les récits glamours au profit de fictions hyperréalistes dont les héros collent au plus près de nos vies. Décryptage avec le sociologue Stéphane Hugon.

Ils s’appellent Bojack, Todd, Sam, Walter, Grace et Frankie, Jeff ou Andrew... Ils sont anxieux, alcooliques, dépressifs, infertiles, vieux, introvertis, autistes, gros ou maigres, asexuels ou accros au porno, malheureux en ménage… bref, sont de véritables anti-héros du quotidien et inondent de plus en plus nos écrans. Dans le paysage de la fiction populaire, ils ont volé la vedette à John Wayne et Rambo. À défaut d’être des pros de la gâchette, eux cultivent leur singularité dans leurs émotions et leurs imperfections.

Un « glissement dans l’incarnation du leadership »

Pour le sociologue Stéphane Hugon, cette « mutation » de l’imagerie du héros s’est accélérée ces dernières années, bien qu’elle prenne déjà racine dans les années d’après-guerre. « On a tendance à parler d’époques et de basculements majeurs… En réalité, les choses prennent beaucoup plus de temps qu’on ne voudrait l’admettre. Le philosophe Gilbert Durant parlait d’ailleurs de "saisons de l’imaginaire", de cycles très lents qui se révèlent avec le temps. »

Ces dernières décennies, beaucoup de repères symboliques sont tombés à l’écran. Parmi eux, la figure de l’homme blanc providentiel qui réussit à sauver tout le monde in extremis. « On a eu pendant très longtemps une forme héroïque de la modernité occidentale, poursuit le sociologue, cette figure du mâle solitaire et dominant qui a presque une fonction christique… qui serait prêt à tous les sacrifices pour redresser un monde qu’il juge imparfait. »

Des héros qui ne changent pas le monde 

Aujourd’hui, ce rapport de subordination au héros s’est définitivement essoufflé. Et bien qu’il existe encore des figures « traditionnelles », certaines paraissent plus singulières. Loin de chercher à sauver le monde, le personnage de Deadpool (Marvel) a toujours cultivé la violence, le cynisme et l’humour noir. Dans Breaking Bad, le personnage de Walter White, un prof de chimie présenté comme revanchard et pathétique se découvre une passion pour la production de méthamphétamine... alors qu'il est en phase terminale d'un cancer du poumon. Dans la nouvelle série pour ados I Am Not Okay With This de Netflix, la jeune super-héroïne se présente dès le premier épisode de façon plus que laconique : « je m’appelle Sidney, je suis une ado blanche de 17 ans et je n'ai rien de spécial. »

Bien sûr, les anti-héros n’ont rien de nouveau. Ce qui change en revanche, c’est cette certitude de n’avoir « rien de spécial », de ne pas être habilité à changer le monde. « Cela touche à la transformation de l’imaginaire de la performance, note Stéphane Hugon, à un glissement dans l’incarnation du leadership.» À l’heure où nous devenons les héros de nos propres vies, où les livres de développement personnel abondent sur nos tables de chevet, l’autre doit certes nous inspirer, « mais sans nous écraser », explique le sociologue.  

Et quand le monde semble être bien trop instable pour être sauvé, réussir sa vie, être bon avec les autres ou essayer d’être quelqu’un de bien, apparaissent comme des quêtes plus accessibles.

Après 20 ans de numérique, l'idée de faire de soi une œuvre d’art s’est effondrée.

Se sauver soi-même

Il faut dire « qu’après 20 ans de numérique, l’idée de faire de soi une œuvre d’art s’est effondrée », commente Stéphane Hugon. Magistralement menée durant 6 saisons, la série aux personnages anthropomorphiques Bojack Horseman fait justement partie de ces chefs-d’œuvre où l’égo s’effrite, malgré les likes à gogo des réseaux sociaux

Pur produit d’Hollywood et de sa mécanique de starification, son personnage principal, un cheval alcoolique et toxicomane nostalgique de ses belles années d’acteur doit réinventer sa vie et se repentir de ses erreurs passées. Il n’est pas le seul. Autour de lui, les combats de ses contemporains (dépression, alcoolisme, troubles de la sexualité, stérilité, sexisme, burn-out…) se heurtent les uns aux autres sans qu’il n’y ait jamais de révélation magistrale ou de résolution spectaculaire des conflits. Comme dans la vie, oui.

« Il y a cette idée d’aller à l’encontre de la rhétorique du "nouveau" ou de l’idée de rupture, comme c’est souvent le cas dans le domaine de l’innovation, commente le sociologue. C’est la même chose pour ces héros qui ne bouleversent pas le monde. Ils agrègent les choses, vivent avec leurs faiblesses, sont des êtres poétiques qui ne font pas dans la démonstration de force ou de valeurs, ni dans l’écrasement de l’autre. »

Finalement, ce ne sont plus tant les obstacles ou la quête d'une vérité qui comptent, mais la manière dont le héros trouvera les ressources intérieurs pour y faire face. Comme le dit si bien le trublion Todd Chavez dans Bojack,  « les bois sont effrayants et sombres, mais la seule issue reste encore de les traverser... »

 

Margaux Dussert

Diplômée en marketing et publicité à l’ISCOM après une Hypokhâgne, Margaux Dussert a rejoint L’ADN en 2017. Elle est en charge des sujets liés à la culture et la créativité.

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commentaires

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  1. Avatar Elodie dit :

    Bonjour,
    Article intéressant mais Deadpool est issu de l'univers Marvel et non pas DC Comis et n'est pas du tout un héros puisqu'il est de base un "vilain" et un "anti héros". Il me semble donc que ce ne soit pas du tout le bon exemple pour illustrer votre analyse.

  2. Avatar Elodie dit :

    Je viens de voir que l’article a été corrigé. Derien

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