
Votre budget est serré, mais vous souhaitez mobiliser rapidement un photographe, un motion designer ou un vidéaste ? Vous êtes créateur visuel et êtes à la recherche de clients ? A mi-chemin entre apporteur d'affaires et achat d'art, Ooshot entend marier au mieux les marques aux prestataires de contenus visuels. Rencontre avec sa cofondatrice, Valérie Hersleven.
Réunions interminables, procédures inutiles, trop-plein d’intermédiaires… les collaborations entre artistes, marques et agences ont souvent du mal à accoucher autrement que dans la douleur. Forte de ce premier constat, l’ancienne agent de photographes Valérie Hersleven fait mûrir dès 2010 l’idée d’une plateforme dédiée aux artistes visuels et aux marques. À l’opposé de l’agence de talents ou du studio de production, Ooshot se présente comme une plateforme « apporteuse d’affaires » pour photographes, réalisateurs et vidéastes. Indissociable de cette dernière, son offre d’achat d’art propose quant à elle une base de données de plus de 5 000 prestataires visuels dans 47 pays aux annonceurs et à leurs agences.
Dans une interview fleuve, la cofondatrice présente son projet. Elle aborde les enjeux actuels de l’industrie créative, le dédain de certains face à la commande publicitaire et introduit les Ooshot Award, premier prix dédié à la photographie de commande.
© Barbara Kruger
Vous venez de l’univers de la photo et étiez vous-même agent de photographes. Qu’est-ce qui, dans le milieu, vous a poussé à créer Ooshot ?
Valérie Hersleven : J’ai eu la chance d’organiser beaucoup d’évènements durant les Rencontres d’Arles. Je me suis rapidement aperçue que de nombreux obstacles freinaient la création. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire le parallèle avec la digitalisation de l’industrie du voyage. On peut aujourd’hui réserver un billet d’avion sur un smartphone mais booker un créatif en ligne reste compliqué. Il y a des contrats, des bons de commande, des sessions de droit… c’est extrêmement fastidieux. En parallèle, le métier d’agent est en pleine mutation : de représentant d’artiste, il devient « marieur ». L’agent doit aujourd’hui faire en sorte que les relations entre un créatif et un tiers se passent bien.
Je ressassais déjà un peu toutes ces choses, jusqu’au jour où une scène m’a vraiment marquée. J’assistais à une réunion de pré-production pour un shooting avec une agence de publicité. C’était une petite campagne produit. Lorsque je suis arrivée, nous étions une trentaine autour de la table. Nous avons dû aller chercher des chaises pour que tout le monde puisse s’asseoir. Je me suis mise à calculer dans ma tête les salaires de toutes ces personnes… À un moment, l’agence en question a commencé à négocier certains prix. C’est à cet instant que je me suis dit qu’il y avait un problème. Entre marques, agences et créatifs, il y a trop de fuites d’argent, trop d’intermédiaires et un réel problème de fonctionnement et de confiance.
Alec Soth pour Gucci, 2017 - © Alec Soth / Magnum Photos
Comment tentez-vous de rétablir cette confiance ?
V. H. : Notre base de données est constituée de plus de 5 000 photographes que nous « screenons » manuellement, au fur et à mesure. Dans un premier temps, nous cherchons à en savoir plus sur leur style, leurs spécificités, s’ils travaillent pour le secteur du luxe, pour le prêt-à-porter ou la grande consommation, leurs facilités techniques, le matériel qu’ils utilisent... Le comportement professionnel est également un critère clé dans la sélection de nos artistes, c’est très important. Il faut qu’ils soient en mesure de rassurer le client dès la réunion de pré-production. Dans un deuxième temps, ces spécificités sont engrangées par une intelligence artificielle, laquelle vient marier au mieux les attentes des clients aux différents profils de nos prestataires. En fait, nous cherchons à créer un marché sain et prospère. Une marque doit arriver avec un budget et nous devons être en mesure de proposer un prestataire visuel dans la foulée qui s’adapte à la demande.
© Claude Ferrand pour le catalogue Pirelli
Comment est-ce qu’on harmonise les attentes, parfois antagonistes, de l’industrie et de l’artiste ?
V. H. : Notre premier boulot, c’est de donner la parole aux créatifs. J’avais un photographe, Hervé Plumet, qui me disait souvent : « mon plus gros client, c’est la poubelle ». Il voulait dire qu’il n’était jamais en mesure de produire toutes ses idées, ça coûte trop cher. Avec Ooshot, on peut inverser cette dynamique, même s’il faut passer 30% de son temps à travailler sur autre chose que ses projets personnels. Côté clients et lorsqu’une marque fait appel à nous, nous sélectionnons en général trois à cinq prestataires que la marque choisit en fonction de ses besoins et de nos prix : access, classique ou prestige. C’est ce que nous essayons de faire comprendre aux agences en ce moment : si le brief consiste à concevoir des visuels Instagram pour une marque, ce type de shooting ne nécessite pas des milliards de réunions. Lorsque le brief est plus volumineux, là on se pose la question. On peut produire plus ou moins cher, mais avec de nouveaux réflexes !
Unemployed lumber worker - Commande de la FSA (Farm Security Administration ), 1939
© Dorothea Lange © The Dorothea Lange Collection, the Oakland Museum of California, City of Oakland.
Vous avez aussi à cœur de donner un regard nouveau sur la commande photographique. Que signifie le lancement du Ooshot Award ?
V. H. : J’ai assisté en 2009 à l’exposition « La subversion des images » au Centre Pompidou. À la fin du parcours, une petite pièce présentait des photos de commande de photographes surréalistes. J’y ai redécouvert la fameuse photo de Man Ray avec les perles et me suis rendu compte qu’il s’agissait d’une commande passée par une marque de mascara en 1933. Au même moment j’organisais des expositions à Arles. Je ressentais déjà le regard méprisant du milieu de l’art envers les photographes de publicité. Pour moi, les photographes qui répondent à une commande sont aussi des auteurs. Lorsqu’ils travaillent pour une marque, ils deviennent artisans, mais ils n’en demeurent pas moins artistes ! C’est finalement l’année dernière que nous avons lancé l’initiative du concours, un peu sur la base de cette frustration. Il s’ouvre aujourd’hui et se présentera en 2019 sous la forme d’une exposition. Tous les photographes publicitaires peuvent y participer. L’idée est moins de présenter le gagnant que d’éduquer, de séduire les directeurs marketing et leur dire « ayez confiance en la création de ces photographes et commanditez de belles campagnes ! ». Je veux montrer que l’art et l’industrie se parlent, que ce n’est pas une relation malsaine comme beaucoup de gens le pensent. Qu’une fois cadrée, cette relation peut donner naissance à de vraies merveilles.
À NE PAS MANQUER
Le Ooshot Award souhaite récompenser des visions d’auteurs et d’artistes mises au service de marques, d’entreprises et d’institutions. Les images récompensées (lauréat et mentions spéciales) seront exposées au printemps 2019 à Paris. Une dotation de 10 000 euros sera remise au lauréat.
Candidatez en ligne jusqu’au 11 novembre 2018 à minuit !
Une discussion animée par Christoph Wiesner. Intervenants : Oliviero Toscani (photographe), Florian Ebner (Conservateur du Centre Pompidou), Thierry Maillet (Cofondateur de Ooshot) et David Furst (Directeur artistique du New York Times).
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