Portrait de Maia Mazaurette

Maïa Mazaurette : la sexperte qui pèse dans le game

La journaliste Maïa Mazaurette écrit à propos du sexe – au Monde ou chez GQ - et porte sur la chose un regard qui en dit long sur le reste. Portrait d'une plume pas comme les autres, par Emre Sari.

Maïa Mazaurette vient d’apparaître en gros plan sur l’écran de mon ordinateur. Le logo Skype lui entame presque le front. « Désolée, je suis un peu serrée dans ce café », se justifie la journaliste, auteure et dessinatrice, visiblement mal assise. D’habitude, elle se montre bien plus à l’aise sur un sujet pourtant inconfortable pour beaucoup : la sexualité. Quinze ans qu’elle dépeint la société sous cet angle, d’une voix bien à elle, marrante souvent, choquante parfois, bienveillante toujours. Entretien à distance depuis un café de Philadelphie aux États-Unis.
Tu as écrit de la science-fiction, un genre littéraire qui s’offre un détour vers le futur pour parler du présent. Quand tu écris sur le sexe, est-ce que tu fais un détour vers autre chose ?

MAÏA MAZAURETTE : Là, je regarde autour de moi : l’effet de la caféine sur une érection, les voitures dans la rue, l’alcool, la cuisine… En fait, je ne vois quasiment aucun sujet impossible à relier à la sexualité. Mais souvent, il y a une grosse confusion entre sexe et sexualité. Parler de sexe tout seul, on en a fini au bout de trois secondes, si c’est pour expliquer quatre positions et trois techniques. Moi je suis experte en sexualité. Je parle de symbolique. Ça va de la séduction au couple, au divorce, à la fin de vie, à la maladie : des choses très intimes mais pas forcément en rapport avec les organes génitaux. Le sujet devient rigolo quand on aborde ses intersections avec l’art contemporain, la politique, la psychologie. Récemment, j’ai entendu parler de liens avec les sorcières, de spiritisme. Des gens cherchent Dieu par le sexe. J’ai envie d’explorer toutes les ramifications. Je m’intéresse en particulier aux questions du vivre-ensemble. Comment on fait, tous ensemble, pour vivre notre vie sexuelle et notre libido ?

J’imagine que tu ne te fais pas que des amis en traitant de tels sujets.

M. M. : Toutes les semaines, des gens écrivent au Monde pour leur demander de me virer. Et j’ai déjà reçu deux ou trois menaces de mort... En fait, il y a deux types de personnes qui râlent. D’un côté, les puritain.e.s, genre « la famille pour tous », genre « c’est du sexe, on ne doit pas en parler ». De l’autre, ceux et celles qui voient toute démarche médiatique sur le sexe comme commerciale. C’est vrai que mes articles sur QG ou Le Monde sont presque toujours dans les plus lus. Mais les annonceur.se.s ne sont pas attiré.e.s. Ni Marc Dorcel, ni Pornhub, ni même des concepteur.rice.s de sextoys ne vont jamais mettre un centime pour s’afficher sur mes blogs. Et les autres sont parfois réticent.e.s à être face à ma chronique.

Si je comprends bien, tes papiers intéressent, mais dérangent aussi beaucoup.

M. M. : C’est le paradoxe des lecteur.rice.s. Ils veulent qu’on leur parle de sexe, ils vont cliquer, ils  vont lire… Et ils vont râler... Et ils vont cliquer dessus la semaine suivante. Par exemple, chez GQ, des gens demandent des infos sur la taille d’un pénis. Mais quand je leur donne des chiffres quantifiés par des kilomètres d’études scientifiques, ils rejettent : « Oui-mais-moi-mon-pénis-il-est-pas-comme-ça. » Quand je parle de choses très très fondamentales, comme l’existence de l’homosexualité chez les animaux, j’en ai qui disent : « Non-l’hétérosexualité-c’est-la-norme ». Les gens nient la science. Tout ça parce que la sexualité dont je parle n’est pas la leur.

J’imagine que tu as eu du mal à débuter car peu de médias traitaient des questions de sexe quand tu t’es lancée, à la fin des années 1990.

M. M. : Déjà, en école de journalisme, je me disais que l’on ne parlait pas assez de sexe. J’exagère un peu, mais dans la classe tout le monde voulait être reporter de guerre. ll y avait une idée très très sérieuse du journalisme, très Panama Papers ou Paradise Papers. Les sujets de sexualité sont devenus politiques assez tard. Maintenant, c’est même difficile d’y échapper avec des affaires comme celle de Weinstein. Mais nous, les journalistes spécialisé.e.s dans le sexe, ne sommes pas encore assez nombreux.ses. Il y a Camille Emmanuelle, qui traite pas mal du côté fétichiste ; Agnès Giard, à Libé, qui étudie beaucoup le Japon ; Ovidie, qui se penche sur les questions de pornographie ; Damien Mascret, un ami, au Figaro. On se connaît tous. On se fait régulièrement des dîners. Et je refuse des piges en permanence. Aujourd’hui, avec notre présence dans plusieurs grands journaux, je me dis que l’on a gagné la légitimité. Mais il y a quinze ans, je n’aurais pas parié une cacahuète sur la présence de ces sujets-là dans Le Monde.

En revanche, dans le reste des médias, on fait trop souvent appel à des psychologues pour traiter de sexualité. Dans les féminins, tu as toujours « l’avis du psy », avec souvent le dernier mot. C’est assez horripilant pour moi, parce que en France nous restons très freudiens, et qu’une théorie pareille conclut que tout discours sexuel est une aberration. C’est une idée parmi d’autres, pas la vérité sortie de la cuisse de Jupiter ! Aux États-Unis, ils et elles utilisent plutôt la sociologie et les études à grands échantillons.

Sur Facebook, les deux milliards d’utilisateur.rice.s ne peuvent pas s’envoyer de photos porno…

M. M. : Et sur Instagram, je me fais « flaguer » parce que je propose mes dessins érotiques. Sur ces supports, les conditions sont explicites : parler de sexe est un interdit qui est passible d’exclusion si l’on va trop loin. C’est grave pour moi qui suis expatriée, et qui utilise Facebook pour 99 % de mes rapports humains. Je peux te garantir que je garde toujours ça à l’esprit. Si je me fais virer pour un mois ou un an, je rate l’anniversaire de personnes qui me manquent déjà suffisamment, et je ne peux pas souhaiter bonne nuit à ma mère si elle tombe malade.

Et pour finir, la grande question que tout le monde se pose, comment se passe ta vie privée de journaliste sexo ?

M. M. : De manière extrêmement conventionnelle, avec mon petit ami, aux États-Unis. Les gens imaginent que je passe mes soirées dans des clubs interlopes, alors que je regarde Netflix, et que je lis des polars. Je parle peu de sexe en privé. Quand j’ai fini de travailler, je ne veux plus aborder le sujet. Les discussions entre copines pour raconter toute sa vie sexuelle, c’est hors de question. Après, ça ne veut pas dire que je ne veux pas pratiquer. Mais tu vois, pour reprendre une idée en intersection avec le sexe, la fameuse charge mentale, si je me suis tapée les tâches domestiques toute la semaine, faudra pas trop me demander d’être motivée au lit. Parce que ça me soûle.


Cet article est paru dans la revue 13 de L’ADN :  Sexe et questions de genre. A commander ici.


PARCOURS DE MAÏA MAZAURETTE

Née le 22 juillet 1978, elle est diplômée de l’ESJ Lille en 2001. JRI à FR3 jusqu’en 2004, elle écrit pour Newlook et Playboy de 2004 à 2007, pour GQ depuis 2008. Chroniqueuse sur France Inter en 2012 et 2013, elle écrit pour Le Monde depuis 2015.

À LIRE

Les articles de Maïa Mazaurette les dimanches matin dans Le Monde, et quotidiennement sur gqmagazine.fr et mazaurette.net.

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