
EuraTechnologies à Lille, a déjà créé 4 000 emplois. Portrait de Raouti Chehih qui travaille à revitaliser la région qui l'a vu grandir.
Raouti Chehih
Lille – quartier Est. Ici, se dresse la tour d’une ancienne usine textile. À ses grandes heures, elle employait 4 000 salariés. Et puis, elle a fermé. Et tout a disparu…
Raouti Chehih a grandi là. Dans le Nord. Son père algérien était mineur, et pour ses onze enfants, il avait un rêve : leur donner un avenir. Diplôme d’urbanisme en poche, en mission aux États-Unis, Raouti découvre Internet au début des années 1990. Une claque ! « Je comprends que cela va tout modifier et que c’est ça que je veux faire. » Le reste sera affaire de rencontres et de volonté.
Quand il croise Pierre de Saintignon, élu politique PS, celui-ci lui parle réhabilitation du territoire : les emplois ont disparu, il faut les recréer. Le projet d’EuraTechnologies est en germe, reste à le construire. « Nous avions besoin de lever 30 millions auprès des collectivités locales. Nous n’avions que nos convictions à leur présenter : transformer notre économie industrielle et ouvrière héritée du xixe siècle pour la faire passer au xxie siècle grâce au numérique. » L’histoire est belle, mais dans les années postbulle, « l’économie du PowerPoint » suscite au mieux du scepticisme, au pire une franche hostilité. Il faudra prêcher sept ans avant que la rénovation de l’usine ne puisse commencer en 2006. Pendant les travaux, dans des bâtiments provisoires, 23 premières entreprises s’installent. « Mais nous voulions bâtir un écosystème plus large, et convaincre de grands groupes. » Microsoft d’abord, puis Capgemini rejoignent l’aventure, ainsi que des laboratoires de recherche, des écoles… En 2009, pour l’inauguration, 60 sociétés et 800 personnes s’installent. « Ce soir-là, on a remis en marche l’horloge du bâtiment. C’était le symbole de ce que nous voulions faire. »
L’ensemble repose sur des fonds publics. « Nous avons eu trois soutiens indéfectibles : la métropole européenne, la région Nord-Pas-de-Calais et la ville. Aucune autre structure n’aurait pris un tel risque avec pour seule ambition de faire émerger une nouvelle génération d’entrepreneurs. » Et Raouti sait de quoi il parle. « Je suis le fruit de ce type de pari. S’il n’y avait pas eu l’école publique, les aides sociales, les allocations familiales, je ne serais pas là. On fait beaucoup de bashing sur les manquements de l’État, mais on oublie que notre modèle permet à des gens de se révéler. »
À présent, l’objectif d’EuraTechnologies évolue. « Nous nous devons d’assurer à nos investisseurs un retour sur investissement, comme nous l’aurions fait avec des acteurs privés. » Le bilan des cinq premières années est bon : 200 entreprises et 4 000 emplois créés, 90 projets en cours d’incubation, plusieurs millions d’investissement réalisés, et une structure qui participe au changement de la métropole en tissant des liens étroits à l’international. Mais elle dépend encore à 56 %, de l’argent public, et son modèle pourrait pivoter pour continuer de créer des emplois. Objectif : 10 000 emplois et 500 entreprises. Histoire de donner corps aux promesses du départ, et démontrer que l’économie numérique s’ancre bien dans le réel.
Cet article est paru dans L’ADN 8 – Raouti Chehih est un de nos 42 superhéros de l’innovation. Pour commander votre revue, cliquez ici.
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