Taichung City, Taiwan

Taïwan, la première démocratie à avoir dompté le numérique

© Marc Ivan

La confiance des citoyens occidentaux envers les institutions s’érode. On vous donne quatre actions mises en place à Taïwan pour revigorer la démocratie.

En 2014, le Kuomintang, parti taïwanais alors au pouvoir, s’apprête à ratifier un accord commercial controversé avec son voisin chinois. Problème : les débats concernant le projet de loi se déroulent à huis clos, à l’abri des regards. Pour une partie de la jeunesse taïwanaise, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Des manifestants envahissent le parlement afin de protester contre la politique opaque du gouvernement. C’est ainsi que débute la révolution dites des tournesols et qu’Audrey Tang, hackeuse transgenre s’est distinguée. Celle qui deviendra la ministère des Affaires numérique du pays, débarque avec 350 mètres de câble Ethernet qu’elle installe dans le bâtiment occupé. Ils permettront aux manifestants de diffuser tout ce qui se passe à l’intérieur du parlement sur un écran géant disposé à l’extérieur. La méthode employée par Audrey Tang a un nom : la « transparence radicale ».

Gouvernement 2.0

Depuis plus de 10 ans, les Taïwanais se battent pour rendre le plus accessible possible les services du gouvernement. L’organisation g0v (prononcer gov zéro) a été créée en 2012 par des hackeurs citoyens, les hacktivistes. Le groupe a décidé de “forker” les sites administratifs du pays. À Taïwan, toutes les adresses des sites gouvernementaux se terminent par gov.tw. Grâce au forking, un citoyen n’a plus qu’à remplacer le o par un 0 pour accéder à la version numérique alternative.

Ainsi, g0v a transformé 500 pages PDF de finances publiques indéchiffrables en une carte interactive numérique hyperefficace. Lorsqu’elle devient ministre, Audrey Tang intégrera l’outil à son administration. « Grâce à une transparence radicale dans laquelle nous rendons l'information ouvertement accessible aux citoyens, nous encourageons la société à dialoguer avec les responsables gouvernementaux. Si le gouvernement fait confiance à la société civile, les citoyens finiront par lui faire confiance, mais le gouvernement doit faire le premier pas. »

Masque attaque

Taïwan est l’un des pays qui a le mieux résisté à la pandémie de Covid, avec un taux de mortalité parmi les plus bas recensé dans le monde. Fait notable, l’île n’a vécu aucun confinement durant cette période. Bien avant que le Covid ne devienne un hit planétaire, un citoyen taïwanais relaie sur un forum des alertes provenant de Chine. Le message est rapidement repéré par un membre du gouvernement, ce qui va amener Taïwan à réduire son trafic aérien avant tout le monde.

Si la communication entre institutions et citoyens aide, les hacktivistes du pays vont également jouer un rôle important dans la gestion de la crise. Une centaine d’applications numériques sont mobilisées pendant la pandémie. L’une d’entre elles, Mask App, permet de cartographier la disponibilité des masques sur l'île en exploitant les données dont dispose le gouvernement. La transparence concernant les stocks de masques a permis à la société de mieux les répartir à travers le territoire et a aidé Taïwan à affronter la crise. 

Count the votes

En 2020, de nombreux bureaux de vote américains ont été pris d’assaut par des supporters de Donald Trump, certains scandant des « Stop the count », d’autres hurlant au contraire des « Count the votes ». 

L’érosion de la confiance menace la légitimité d’un certain nombre d’élections dans le monde. En 2024, alors que Taïwan vit une élection à hauts risques avec la pression de son voisin chinois, la transparence radicale est une nouvelle fois sortie de la boîte à outils.

On imagine les hacktivistes inventer un système révolutionnaire de vote électronique. À l’inverse, ce sont bien des bulletins physiques qui seront déposés dans les urnes taïwanaises. Mais pour maintenir la confiance des citoyens envers cette méthode de vote quelque peu archaïque, Taïwan a invité des youtubeurs du pays à filmer l’intérieur des bureaux de vote le jour de l’élection. Chaque youtubeur étant affilié à un parti différent, les citoyens n’ont pu que constater l’absence de triche.

Un café avec la ministre ?

L’agenda d’Audrey Tang, désormais ministre du digital, est assez original. Tous les mercredis, elle ouvre son bureau à des acteurs de la vie sociale afin d’échanger avec eux sur des idées et des projets. Une seule condition est imposée par la ministre : la transcription de la conversation doit être enregistrée et publiée sur internet. La « transparence radicale » ? Oui. On ne change pas une méthode qui gagne.

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commentaires

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  1. Avatar Annie L. dit :

    Audrey Tang a l'air de faire du super boulot 👏 et c'est aussi que c'est une programmeuse de logiciel Libre !

  2. Avatar Titouan dit :

    Plein de sources d’inspiration ! Ils ont air de prendre des décisions bien plus démocratiquement que nous <3

  3. Avatar Zeta 11 dit :

    g0v ce serait cool en France !

    Pour l'instant on peut trouver pas mal de jeux de données sur http://www.data.gouv.fr, et on peut les voir sur des graphiques ou des cartes avec explore.data.gouv.fr et datafrance.info. J'essaie de les utiliser, mais je pense que beaucoup de personnes ne savent pas que ces sites existent (puis il n'y peut-être pas tout ce qu'on cherche dessus).

    Merci M Fersing pour l'article.

    (petite coquille, je crois qu'Audrey Tang est maintenant à la tête du ministère des Affaires numérique, et pas du digital. Le digital c'est ce qui a un rapport avec les doigts, comme les empreintes digitales.)

  4. Avatar Seb dit :

    Hyper intéressant !

  5. Avatar Anonyme dit :

    Les indiens : nous sommes les premiers démocraties !

  6. Avatar Anonyme dit :

    « Tous les mercredis, elle ouvre son bureau à des acteurs de la vie sociale afin d’échanger avec eux sur des idées et des projets. Une seule condition est imposée par la ministre : la transcription de la conversation doit être enregistrée et publiée sur internet. »

    C'est incroyable ! Une manière radicale de lutter contre la corruption, les lobbys et les conflits d'intérêts. Certains de nos ministres devraient en prendre de la graine.

    Si vous souhaitez que l'on vote pour vous, soyez transparents 😉

    D'une certaine manière ça tombe sous le sens : si l'action des ministres est publique, est-ce que toutes les réflexions et tous les débats qui mènent à ces actions ne devraient-ils pas l'être également ?

  7. Avatar François ROY dit :

    Enfin de la cohérence, de l'implication citoyenne, un grand espoir pour nous donner un exemple, à nous démocraties lymphatiques, de la part d'une petite île sous menace d'invasion.

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