
Nous savons dorénavant qu’il faut préparer les acteurs de l’entreprise à l’Intelligence artificielle mais devons-nous pour autant y préparer nos organisations ?
Les freins actuellement rencontrés par les organisations à déployer l’IA sont nombreux. Si les craintes sont humaines, la réponse peut être organisationnelle et plus particulièrement portée par une "Gouvernance IA" formalisant la marche à suivre et intervenant sur des cas ciblés comme arbitre des décisions.
Préparer les organisations à l’intelligence artificielle
L’IA va rapidement exiger des choix qui vont impacter l’organisation de l’entreprise, notamment au travers de la gestion des risques IA, de la mise en conformité aux nouvelles réglementations sur l’IA ou encore de la nécessité d’adopter des règles d’éthiques pour l’utilisation de l’IA. Ces domaines sont déjà bien identifiés et ne sont pas des freins majeurs à son déploiement mais des conditions requises à son bon fonctionnement.
Afin d’anticiper les freins organisationnels de l’IA, il nous faut mieux en comprendre les impacts et pour cela, revenir à nos 3 familles d’IA : l’IA ciblée, l’IA intégrée et l’IA interactive (3.1). Le tableau ci-dessous résume les principaux impacts organisationnels à anticiper :
Type de décision | Impact de la décision sur le reste de l’organisation | Impacts organisationnels | |
IA ciblées | Existante | Non | Aucun |
IA intégrées | Nouvelle | Non / limité | Optimisation des processus |
IA interactives | Nouvelle | Oui | Refonte complète des organisations & processus Intégration verticale Création de nouvelles entités |
Par définition, les IA ciblées n’ont pas d’impact sur l’organisation, sauf à inciter au passage à l’échelle et comme nous l’avons vu (2.1), le passage à l’échelle est lui-même confronté à ses propres limites.
L’IA intégrée, quant à elle, aura des impacts sur l’organisation – essentiellement des optimisations de processus – avec des interventions humaines (le concept de « human-in-the-loop » est bien assimilé par les acteurs de l’IA) lorsque l’IA est déployée des sujets à fort enjeu. Par ailleurs, l’IA intégrée à des produits va contribuer à redéfinir la R&D ou le marketing produits de nombreuses industries, à commencer par la mobilité comme cela est déjà le cas aujourd’hui.
Il est plus difficile d’anticiper les impacts organisationnels de l’IA interactive. Cependant dans un univers où l’IA est optimisée globalement et non plus au niveau local, les possibilités sont infinies. J’en vois trois à ce stade auxquelles de nombreuses entreprises n’échapperont pas :
- Une refonte complète de l’organisation et des processus induite par une concentration des décisions issues des IA, dans la mesure où les différentes IA répondent à un objectif commun, elles doivent se coordonner
- Une intégration verticale, notamment dans le domaine de la supply chain où les décisions communes vont améliorer les résultats issus d’entités distinctes sur la chaîne de valeur
- Enfin, l’émergence de nouvelles entités, en mode joint-venture, associées pour bâtir des services ou des produits dont les compétences sont localisées dans une multiplicité d’organisations mais dont les décisions opérationnelles associées à l’IA seront prises par une IA globale.
Ces possibilités, théoriques à ce stade, ouvrent évidemment des questions sur l’évolution des grands secteurs économiques, la répartition de la valeur ajoutée entre les différents acteurs du marché ou encore le droit à la concurrence, mais évidemment d’autres évolutions, similaires ou opposées, vont se matérialiser sur un marché qui risque d’évoluer très vite…
Au regard des enjeux à venir, il est clair que les transformations futures devront être portées par la Direction des entreprises. Elles seront menées au sein des entreprises mais également au-delà de ses murs…
Et au-delà de l’entreprise ?
Les impacts de l’IA pour les entreprises européennes ne se décident pas uniquement à leur niveau. Elles évoluent dans un environnement qui dépasse leurs limites. Aujourd’hui, la compétitivité des entreprises sur l’IA se décide aussi bien dans leur sein, qu’à la commission européenne à Bruxelles, mais aussi sur les bancs de l’école, de la primaire à l’université.
Le cas de la RGPD qui fait peser l’intégralité des coûts et des risques sur les entreprises européennes, et bride la capacité des entreprises à s’appuyer sur une partie de leurs données, ce constat observé par la plupart des praticiens vient d’être confirmé par une excellente étude intitulée « Data Privacy laws and firm production : evidence from the GDPR » récemment réalisée par quatre économistes. Le constat est sans équivoque : depuis l’entrée en vigueur de la RGPD, les entreprises européennes collectent et stockent 26% de données en moins que leurs contreparties outre-Atlantique en comparaison avec la période antérieure, de même, elles traitent 15% moins ces données. L’impact sur la compétitivité de nos entreprises dans une économie de la Data et de l’IA est déjà perceptible.
Dans ce cadre, la 15ème recommandation du récent rapport de la Commission de l’Intelligence Artificielle qui vise à « transformer notre approche de la donnée personnelle pour protéger tout en facilitant l’innovation au service de nos besoins » plaide pour l’assouplissement de l’application de la RGPD par la CNIL. On ne saurait sous-estimer l’importance de s’appuyer sur des données – en volume et de qualité – pour bâtir des IA performantes. Le rapport préconise également une ouverture sur les données de santé (10ème recommandation). Cette recommandation doit s’étendre à d’autres secteurs de l’économie et, à commencer par l’électricité et notamment pour les réseaux électriques, ou encore la finance, en particulier sur la finance durable et la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Cet article fait partie d'une série d'articles proposés par Patrick Darmon. Pourquoi et comment l'IA doit devenir une technologie socle de nos entreprises ?
Premier volet : L’intelligence artificielle est-elle soluble en entreprise ?
Deuxième volet : Révolution de l’Intelligence Artificielle… ou simple rêve ?
Troisième volet : L'IA, combien ça coûte et est-ce que cela vaut le coup ?
Quatrième volet : Quelle stratégie adopter pour intégrer de l’IA générative dans son business ?
Cinquième volet : Ne passez pas l’IA à l’échelle ! Passez votre business à l’échelle avec l’IA
Sixième volet : Si vous vous demandez où mettre de l'IA dans votre business, on a un début de réponse
Patrick Darmon est associé chez Fizz venture, cabinet de conseil en data & IA.
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