
Face à l'épidémie de solitude, des gadgets promettent de combler le vide. Mais pour l’instant, ils ne trouvent pas preneurs.
Le 30 juillet dernier, à l'occasion de la Journée mondiale de l'amitié (oui, ça existe), le développeur Avi Schiffmann lançait Friend, un appareil portable sous forme d’un pendentif. Doté d'une intelligence artificielle, Friend vous écoute en permanence et vous répond par l’envoi de notifications. Schiffmann a décrit Friend comme « une réponse à la solitude que je ressens ». Est-ce la réponse attendue par d’autres ? Apparemment non.
L’épidémie de solitude… un marché à exploiter ?
La solitude gagne du terrain. Rien qu’en France, une personne sur cinq se sent seule, annonce la Fondation de France dans un rapport publié en janvier 2024. Faut-il en conclure qu’un marché de solitaires s’ouvre largement aux entrepreneurs ? Rien de moins évident. Et l'accueil du pendentif Friend ne va effectivement pas dans ce sens. Beaucoup d’internautes ont pensé, ou espéré, que la vidéo de son lancement était une parodie. « Attends, c’est pas un sketch ? », s’est interrogé le youtubeur Marques Brownlee. L'idée d'un « ami artificiel » n'est pas seulement dystopique, elle est aussi d’un cynisme déconcertant, explique la journaliste Kate Lindsay dans la newsletter Embedded. « Pourquoi devrais-je débourser 95 dollars pour un produit créé par l'industrie qui est à l'origine du problème qu'elle prétend maintenant résoudre ? »
On ne compte plus les tentatives technologiques pour créer du lien. Humane, le petit boîtier censé agir « comme votre assistant et votre deuxième cerveau » pour être toujours plus présent à vos interlocuteurs et Rabbit, un boîtier vendu pour devenir « votre compagnon » ont été tous les deux lancés à grand bruit. Mais ces projets ont jusqu’à présent échoué sur le marché. Quant à Meta, après nous avoir proposé des chatbots pour converser avec des ersatz de célébrités, la firme a annoncé leur fermeture. Et selon certains, c’est peut-être une bonne nouvelle.
Humane, Rabbit et Friend... échecs en série
« En psychologie, on distingue l’isolement de la solitude », explique le psychologue Adrien Blanc. L’isolement est à l’origine de souffrances, mais la solitude peut produire de bonnes choses. Seul, on n’est pas en attente, on est avec soi. Ce qui favorise la créativité ». En voulant faire disparaître la solitude, ces technologies se trompent de cible. On ne pourrait même pas dire que ce sont des amis imaginaires. « L’ami imaginaire est une réaction du cerveau qui permet de traiter une période difficile, d'effectuer des ponts vers d'autres états émotionnels. C’est transitionnel. Or une machine ne peut pas s’en aller ». Pour Adrien Blanc, ce genre d’objets présenterait même un vrai risque de dépendance pour les plus jeunes. « Créer un lien affectif n’est pas créer une relation humaine ». Ce n’est pas parce qu’il y a de l'émotion que c’est réel.
Mais ces craintes ne toucheront sans doute pas le créateur de Friend. Dans une interview donnée à Fortune, Avi Schiffmann voit déjà plus loin : « Je crois que discuter avec Friend ressemble à la prière, cela revient à discuter avec Dieu ». On ne sait pas encore si ce nouvel argument de vente va convaincre.
Très intéressant de distinguer isolement, qui fait souffrir et solitude , qui peut être source de créativité "Etre avec soi" Etre aussi en dialogue intérieur. Des ressources qui sont hors de l'économie de marché.