
Les instagrameurs se contemplent dans leur version Yearbook américain, et les twittos s’amusent à mettre leurs bios en image. Des outils d’IA génératives prêts à l’emploi permettent de créer de nouveaux jeux, et façons d’exister en ligne.
Sur X (ex. Twitter), l'un des petits jeux du moment consiste à entrer sa bio dans Bing et à voir ce que l'IA génératrice d'images intégrée au moteur de recherche concocte pour vous. L’idée est ensuite de partager le résultat, qu'il soit réussi ou non. Les images versent généralement dans le cliché. Pour ma bio, par exemple, qui inclut "journaliste tech", j’obtiens systématiquement l’image d’un jeune homme brun à lunettes. Sur Instagram, d'autres préfèrent s'imaginer en lycéens américains des années 1990, en générant des photos d'eux-mêmes façon "Year Book", affichant tous le même regard un peu vide. Sur TikTok, on s'amuse à transformer son portrait façon studio Ghibli, ou Barbie, toujours grâce à l'intelligence artificielle.
Les avatars personnalisés des boomers, en plus cool
« La fascination du contenu autogénéré par rapport à soi n’est pas si nouvelle, remarque Laura Goudet, maîtresse de conférences en linguistique anglaise à l’université de Rouen et spécialiste d’analyse de discours en culture numérique. On le constatait déjà il y a quelques années avec la réalisation d'avatars animés sur iPhone, qui avait fasciné tout le monde à leur sortie. Aujourd'hui, réagir à une publication avec un avatar personnalisé est associé à une pratique de "vieux". Je vois dans ces images de soi générées par IA son pendant plus cool. Je le vois aussi comme un moyen de parler de soi à peu de frais. »
La mise en scène de soi sur les réseaux sociaux s'agrémente désormais d'intelligence artificielle générative. Cette technologie, popularisée par ChatGPT, Dall.E, Runway ou encore Midjourney, permet d'obtenir une image, une vidéo ou un texte à partir d'une courte description.
Tous nos modes d'expression en ligne sont concernés. Il y a quelques jours, Meta annonçait une fonctionnalité sur WhatsApp et Messenger permettant de créer des autocollants à partir d'un texte. Les premiers testeurs de la fonction se sont amusés à générer des images un peu osées : un Karl Marx à forte poitrine, un Justin Trudeau fesses à l'air, un Luigi brandissant un flingue...
Sur Hugging Face, une plateforme offrant des milliers de modèles en accès libre, on trouve toutes sortes d'outils permettant de créer en quelques secondes des images répondant à des consignes précises. Par exemple, l'un d'entre eux permet d'obtenir une fausse notice IKEA pour à peu près n'importe quoi. Hot Shot, l'un des outils populaires sur la plateforme actuellement, génère quant à lui des GIFs à la demande. Contre une courte description, vous pouvez obtenir une image animée traduisant exactement ce que vous souhaitez exprimer. Quelques créations d'utilisateurs sont visibles sur la page d'accueil : Steve Jobs en train de se moucher, Elon Musk sous la douche, ou un chat dégustant un burrito...
Un rituel de plus
Depuis le lancement de modèles faciles d'accès comme Midjourney et Stable Diffusion en 2022, il est simple de créer une image par IA. L'apparition de consignes, sous forme de jeux sur les réseaux sociaux, et d'outils plus "bornés" (c'est-à-dire programmés pour créer un type d'image particulier : GIFs, portraits...) popularise cette technologie, en lui donnant surtout une fonction sociale.
Ces images artificielles produites en masse auront-elles le même pouvoir d'évocation que les mèmes et GIFs classiques, tels que Travolta l'air perdu, Bernie Sanders en moufles, ou l'acteur Kayode Ewumi se tapotant le crâne du doigt ? Certaines images créées par l'IA ont déjà intégré la pop culture du web. La vidéo Harry Potter by Balenciaga, montrant les personnages de la saga habillés pour la fashion week sur fond de musique techno, a été vue plus de 11 millions de fois, avant d'être copiée et détournée. Idem pour une vidéo IA montrant Will Smith savourant des spaghettis, recensée quelques jours après sa diffusion par le site Know Your Meme, référence en matière de culture numérique.
L'outil devient le mème
Sans prétendre atteindre la viralité d'un mème, ces nouveaux artefacts permettent de s'exprimer et de communiquer en ligne d'une nouvelle manière. Créer une image sur un thème donné est un nouveau rituel du web, venant s'ajouter à une liste déjà longue, précisément définie par une étude publiée en 2022. Les chercheurs Tommaso Trillò, Blake Hallinan et Limor Shifman y répertorient toutes ces actions en ligne qui nous permettent d'afficher certaines valeurs : réaliser un challenge de danse TikTok pour démontrer son excellence ou sa créativité, se moquer d'une "Karen" pour montrer sa conformité en ligne, poster des vidéos avant/après sa transformation physique (ou la rénovation de sa maison) pour afficher son contrôle... On pourrait ajouter : créer son GIF ou sa photo Yearbook pour afficher sa créativité.
Pour Laura Goudet, c'est la pratique de ces outils qui devient "mémetique", plus que l'image elle-même. Une évolution par rapport aux précédentes générations de mèmes, où les outils de création étaient d'abord réservés aux connaisseurs, ayant des compétences techniques, avant de se populariser via des banques d'images dans lesquels les internautes venaient piocher.
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