
Après l'Ukraine, les start-up de défense trouvent de nouveaux débouchés aux Caraïbes. Et les financiers de la DefTech se frottent les mains : la guerre de Donald Trump a fait exploser leurs valorisations.
En septembre 2025, Donald Trump lance l'opération Southern Spear. Objectif annoncé : anéantir les navires impliqués dans le trafic de drogue dans les Caraïbes et le Pacifique Est. Deux mois plus tard, les États-Unis ont déployé leur plus importante présence militaire dans la région depuis la crise des missiles de Cuba de 1962 à base de porte-avions, de chasseurs F-16, et d'une douzaine de navires dotés de systèmes autonomes. Mais ce n'est pas tout. C'est aussi un terrain idéal pour tester de nouvelles technologies. Et conforter la fortune de quelques-uns.
Les nouveaux maîtres de la guerre
« La lutte contre les stupéfiants a déjà généré de nouvelles sources de revenus inattendues », déclarait au Wall Street Journal Aubrey Manes, directeur de mission chez Vannevar Labs. La start-up a le vent en poupe : valorisée 575 millions de dollars, elle affiche une croissance de près de 200 % au cours des 2 dernières années. Spécialisée dans le renseignement, elle était censée « construire le premier rang de la défense pour concurrencer la Chine. » Mais l'opération Southern Spear a avantageusement déplacé son centre de gravité dans la zone Pacifique.
Même constat chez le géant de la DefTech Shield AI. Ses drones de surveillance, capables de survoler les océans pendant plus de 13 heures, auraient permis une saisie d'environ 27 tonnes de cocaïne en novembre dernier. Shield AI avait connu un net ralentissement de ses activités à la suite du retrait des États-Unis d'Afghanistan et d'Irak. Mais le trafic de stupéfiants ouvre une nouvelle ère : les garde-côtes américains auront bientôt une douzaine de patrouilleurs V-BAT de la marque, grâce à un contrat de 198 millions de dollars négocié en 2024. Anthony Antognoli, responsable du programme, attribue au V-BAT plus d'un milliard de dollars de saisies de stupéfiants depuis le début de l'année. Ce drone pourrait, selon lui, accomplir le travail de dix patrouilleurs.
Chez Overwatch Imaging, fabricant de caméras aéroportées, même enthousiasme. « Nous sommes très efficaces pour repérer les petites embarcations », a déclaré au WSJ Greg Davis, son PDG. Son matériel a été installé sur les navires de la Quatrième Flotte de l'US Navy dans les Caraïbes, ainsi que sur des drones décollant de Californie pour patrouiller dans le Pacifique Est.
Les start-up étrangères s'engouffrent aussi dans la brèche. Rakia Group, structure cyber-gouvernementale israélienne, vient de créer une filiale US pour proposer ses outils d'IA de cyber-renseignement : cartographie de flux du dark Web, messageries cryptées, signaux maritimes. Ses outils permettent de repérer les navires dont les mouvements ne correspondent pas aux registres. À la frontière mexicaine, l'armée américaine déploie également Moodro, start-up ukrainienne, pour neutraliser les drones des cartels sur un rayon de 16 km. « Nous concentrons d'abord nos investissements en Ukraine, mais l'intérêt américain est vif », confirme au WSJ son fondateur Michael Obod.
Le gouvernement mise sur la sécurité : 165 milliards sur la table
Pendant que Trump coupe à la tronçonneuse dans les budgets fédéraux, les dépenses de défense et de surveillance explosent. Son projet de loi de finances, le One Big Beautiful Bill Act (H.R. 1, adopté le 4 juillet 2025, alloue 165 milliards de dollars supplémentaires au Département de la Sécurité intérieure sur dix ans. Au menu : 6 milliards pour les technologies de surveillance à la frontière mexicaine, 1 milliard pour le Pentagone (lutte antidrogue et surveillance des frontières), 4 milliards pour l'acquisition de nouveaux patrouilleurs des garde-côtes, et 350 millions pour la robotique et les systèmes autonomes. « Il y a des priorités et des fonds, déclare Mark Cancian, conseiller au Centre d'études stratégiques et internationales et colonel des Marines à la retraite. Pour les entreprises, c'est une bonne chose. »
Un complexe militaro-entrepreneurial financé par les géants de la tech
Le gouvernement américain n'est pas le seul à investir. Si le narcotrafic est censé prendre cher, c'est la DefTech qui remporte la mise. 2025 sera une année record avec 7,7 milliards de dollars levés en capital-risque DefTech, soit une croissance de + 141 % sur un an. C'est le secteur le plus bouillonnant derrière l'intelligence artificielle et 10 nouvelles licornes sont apparues sur ce marché en 2025. Par ailleurs, quelques gros investisseurs raflent la mise : cinq fonds contrôlent plus de 70 % des méga-deals de la DefTech. Tous confortent les intérêts financiers de proches de Donald Trump : Founders Fund (Peter Thiel), Andreessen Horowitz, 8VC (Joe Lonsdale, cofondateur de Palantir), Shield Capital et Lux Capital. Joe Lonsdale conseille le programme DOGE d'Elon Musk, David Sacks (ex-PayPal Mafia) est devenu « AI & Crypto Czar » à la Maison Blanche.
Et l'Europe dans tout ça ? Les dépenses militaires des États membres de l'Union européenne ont bondi de + 17% en 2024, une croissance supérieure à celle des États-Unis (+ 5,7%). Mais les Américains restent 2,7 fois plus puissants (997 milliards contre 370 milliards de dollars) et financent encore 65 % du développement de la DefTech européenne. 23 frappes, 87 morts, 10 milliards de dollars levés : les frappes soupçonnées de viser à affaiblir le gouvernement du Venezuela et condamnées par l'ONU comme « violations du droit international » sont décidément une très bonne affaire.







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