
Ciblage émotionnel des ados, liaisons dangereuses avec la politique… Meta fait tout pour censurer le livre corrosif de son ancienne employée, Sarah Wynn-Williams, paru le 13 mars dernier.
Vous connaissez l’effet Streisand ? Ce « phénomène médiatique involontaire » qui « se produit lorsqu'en voulant empêcher la divulgation d’une information que certains aimeraient cacher, le résultat inverse survient ». C’est ce qu’a obtenu Méta avec Careless People, le livre de Sarah Wynn-Williams, ancienne cadre de Facebook.
En réussissant à interdire jusqu’à nouvel ordre la promotion de l’ouvrage, le géant californien a braqué la lumière sur ce brûlot. Careless People, à traduire par « Des gens insouciants », occupe en ce 19 mars 2025 le troisième rang des meilleures ventes de livres d’Amazon. Au menu de l’autrice néo-zélandaise : liaisons dangereuses avec la sphère politique, annonces publicitaires poussées auprès d’ados lors de leurs « moments de vulnérabilité » ou ego trips du PDG, confirmant le fameux « I’m CEO, Bitch » de la carte de visite de Mark Zuckerberg. Sélection de quelques pépites.
Bain de foules
Ancienne diplomate, Sarah Wynn-Williams est intronisée directrice des politiques publiques de Facebook en 2011. Elle y officie jusqu'à fin 2017. Pour elle, son boulot va consister surtout à « accompagner en jet privé une flanquée d’adolescents à qui on aurait donné des superpouvoirs et une tonne d’argent. »
En 2014, la cadre suit Zuckerberg en Asie pour un voyage de trois semaines. Son patron va demander qu’on organise pour lui « une « révolte » ou un « rassemblement pacifique ». « J’imagine que c’est pour tester à quel point la plateforme est efficace, y compris hors ligne », analyse-t-elle.
Il veut être « entouré de gens ou gentiment bousculé, assailli », ce qu’il obtient dans un centre commercial à Jakarta. Gargarisé par l’expérience, Mark Zuckerberg déclare en sortant de la foule « That. Was. Awesome. » La réalité veut que le PDG a simplement squatté un rassemblement suscité par la visite du président élu indonésien d’alors.
Jamais avant midi
Alors que Mark Zuckerberg doit parler aux Nations Unies, Sarah Wynn-Williams tente d’obtenir le meilleur moment pour placer son discours. Et elle l’obtient, ce sera juste entre l’intervention du président argentin et celle du premier ministre au Royaume-Uni. Mais la politique de son patron en matière de rendez-vous est très stricte: « pas de rendez-vous avant midi ». L’assistante de Zuckerberg recale la proposition de Wynn-Williams sur le motif que « les Nations Unies ne sont pas suffisamment importantes pour que Mark consente à assister à un évènement avant midi. »
Sarah Wynn-Williams rapporte également comment en 2015, le président colombien Santos accepte d’accompagner sur scène le patron de Facebook pour promouvoir Internet.org, sorte de Facebook léger destiné aux pays émergents. L’équipe de Santos explique que le président est très pris par des négociations avec les FARC mais qu’un créneau en matinée a été trouvé. Mais rebelote : No appointments before noon.
Gérer les posts violents ? Flemme…
Pour boss, Sarah Wynn-Williams a Joel Kaplan, un ancien haut fonctionnaire républicain, qui a officié auprès de George W. Bush. Problème : le vice-président des affaires publiques mondiales a des lacunes géographiques. « Joel est surpris d’apprendre que Taïwan est une île. Souvent lorsque nous parlons de sujets importants dans un pays latino-américain ou asiatique, il s’arrête et me demande où se situe le pays en question. »
En pleine crise en Birmanie, à Wynn-Williams qui l’enjoint d’embaucher quelqu’un pour modérer la flambée de posts racistes et violents ciblant les Rohingya sur la plateforme, Joel Kaplan aurait bloqué l’embauche puis dit de « passer à autre chose ». En 2022, Amnesty International a pointé dans un rapport accablant le rôle de Facebook dans la montée du climat de haine lors des massacres de 2017.
Faire de la lèche aux présidents
Pour intégrer le marché chinois, Meta est prêt à tout. Il aurait été question de développer des outils technologiques – de modération et de censure – pour se mettre en conformité avec l’ « ordre social chinois ». Si le projet a été abandonné, le réseau a toutefois accepté de fermer le compte d’un dissident vivant aux États-Unis.
Sarah Wynn-Williams raconte également comment à un dîner d’État, Zuckerberg demande en mandarin au président chinois Xi Jingping s’il lui ferait l’honneur d’accepter qu’il nomme son enfant à naître, Xi. Le chef d’État refuse. Zuckerberg réussit tout de même à se faire prendre en photo lors d’une « anormalement longue poignée de mains entre Xi Jingping et lui, et provoque une quasi-crise diplomatique en postant la photo sur les réseaux. On ne voit que le président de dos.
Et traquer les dissidents et les gamines…
Parmi de nombreuses anecdotes savoureuses, certaines sont nettement plus perturbantes donc. On finira sur cet accord passé avec une entreprise de cosmétiques par lequel Meta s’engage à capturer les moments de vulnérabilité émotionnelle des filles de 13-17 ans. Lorsqu’elles effacent un selfie, la plateforme leur proposera une annonce vantant un produit de beauté. L’affaire a été dénoncée en 2017 par un journaliste australien. Ambiance.
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