Une femme métisse avec le masque Apple Vision

Apple sait que le Vision Pro n’est pas prêt pour le grand public, alors pourquoi le lancer ?

C’est toute la stratégie derrière ce casque de réalité augmentée, euh pardon « cet ordinateur spatial ». 

Ceci est une révolution. Mais en petit comité. Pour le lancement de l’Apple Vision Pro, disponible en précommande depuis vendredi dernier et livré aux États-Unis à partir du 2 février, la marque à la pomme la joue discrète (toutes proportions gardées). Aucune conférence en grande pompe, façon nouvelle iPhone, ne sera organisée pour présenter ce casque de réalité augmentée (même si Apple préfère parler d’ « ordinateur spatial » ) permettant de consulter ses applis simplement avec le regard et un pincement de doigt, enregistrer des vidéos en 3D, visionner des films et des souvenirs de manière immersive, ou regarder des dinos traverser votre salon. 

C'est fini les lancements en fanfare

Cette mise sur le marché relativement discrète s’explique par une raison simple : Apple sait que son produit n’est pas prêt pour le grand public. Et pour cause : le marché de la réalité virtuelle et augmentée stagne depuis des années. « Il existe bien des équipements fonctionnels, qui sont bien plus que des prototypes, et qui sont suffisamment performants pour être utiles pour les consommateurs les plus enthousiastes. Il existe des jeux et quelques autres applications (le fitness), mais il n’y a pas d’adoption de masse », résume l’analyste et auteur de newsletter Benedict Evans. Et malgré le forcing de tous les géants de la tech pour nous faire adopter ces technologies, le marché ne s’améliore guère. En 2023, l’industrie n’a vendu que 8 millions d’équipements de réalité virtuelle, contre 10 millions en 2022 avec un taux d’abandon très fort. 

Certains observateurs estiment qu’Apple devrait vendre 400 000 exemplaires du Vision Pro, contre 12 millions d’Apple Watch en 2015. L’équipe marketing avait, il faut dire, mis le paquet alors : des exemplaires des montres connectées avaient été distribués à des célébrités comme Beyonce, l’objet était apparu dans des magazines de mode comme Vogue, et avait fait l’objet d’un évènement streamé sur le tout Internet, se rappelle le New York Times. Bon, l’Apple Vision Pro a tout de même eu le droit à une publicité léchée diffusée pendant la National Football League, et un partenariat avec Disney. Et la recette de cultiver la rareté pour attirer les acheteurs semble déjà prendre : puisque l'Apple Vision Pro est déjà annoncé en rupture de stock dans de nombreuses villes des États-Unis, rapporte Forbes.

Avant, Apple croyait savoir ce que voulaient les consommateurs, maintenant un peu moins

Autre changement dans l’angle d’attaque d’Apple : la convocation de développeurs-testeurs pour éprouver le produit en amont de son lancement, et le modifier en fonction. Avant cela, la marque faisait peu appel à ce type de « focus group », étant persuadée qu’elle savait ce que voulaient les consommateurs avant même qu’eux le sachent, observe le New York Times. Cette stratégie « humble » est donc assez nouvelle pour l’entreprise. Et même après lancement, le produit se destinera toujours à de premiers clients-développeurs, capables de s’approprier l’objet et de développer des applications compatibles. Ce n’est que dans un second temps, lorsque le produit sera moins cher (son prix est de 3500 dollars aujourd’hui – celui de l’iPhone était de 600 dollars à son lancement) et plus au point qu’Apple s’adressera au grand public. 

Benedict Evans compare à ce titre le lancement de Vision Pro au Macintosh, dont le prix était de plus de 7 000 dollars (en tenant compte de l’inflation) et dont personne ne comprenait trop l’intérêt. Pour lui, Apple fait une projection dans le futur. Un peu comme s’il avait lancé l’iPhone en 2002, plutôt qu’en 2007, à un prix bien plus élevé. 

Plus malin que Meta ? 

L’enseigne se démarque du lancement du métavers de Meta. En 2022, l’entreprise de Mark Zuckerberg était, au contraire, bien décidée à imposer à tous une nouvelle manière d’aller sur le Web. Sauf que la suite, vous la connaissez, la conférence en grande pompe et le prix relativement bas du Meta Quest (à partir de 300 euros pour le Meta Quest 2) n’ont pas réussi à convaincre le grand public de l’intérêt de ce nouvel Internet en réalité virtuelle. À voir, si la tactique d’Apple, d’y aller à petits pas en engageant d’abord les développeurs (et d’éviter à tout prix les mots maudits “réalité virtuelle” et “métavers”), fonctionnera mieux.  

Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.

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