VRChat : Mais qui sont ces gens qui jouissent sur nos VR ?

VRChat : qui sont ces gens qui jouissent dans le metavers ?

Parfois, on cherche l’amour. Parfois, on cherche juste une connexion. Et parfois, on cherche une manière de se reconstruire. Bienvenue dans le monde souvent mal compris de l’intimité dans le métavers.

Sur VRChat, ce réseau social libertaire auquel on accède surtout en réalité virtuelle (VR), on peut tout faire : une sieste sur une étoile, une fête dans un volcan, une balade à dos de baleine… et, bien sûr, on peut faire l’amour. L’ERP (erotic roleplay, pour jeu de rôle érotique) y est partout, même si personne n’en parle vraiment.

« Il y a une forme d’hypocrisie avec le cul sur VRChat. Tout le monde en fait, ou sait que ça se fait, mais beaucoup ont du mal à en parler. Or, un métavers pour qu’il marche, il faut qu’il y ait du sexe », explique Aenora, 30 ans, créatrice de contenus érotiques « not safe for work » (NSFW) dans VRChat. Utilisatrice depuis plusieurs années, elle fait partie de la communauté dite des « furries » – ceux qui se choisissent des avatars de créatures fantastiques anthropomorphisées. « Si mon personnage a des caractéristiques trop humaines, ça me sort du jeu. C’est à la fois trop bien fait, et pas assez pour que j’y croie. Alors que des queues de renard, des fourrures, des griffes, ça ouvre d’autres fantasmes ! » Mais quel plaisir inconnu y trouvent vraiment les utilisateurs ? « Je suis mariée avec ma femme, j’ai une vie qui me plaît, précise la créatrice. Mais c’est vrai qu’il y a un truc d’ego dans les jeux de rôle érotiques. C’est amusant de constater le pouvoir que j’ai sur l’excitation des autres – je ne fais pas de jeux sexuels pour jouir, mais pour expérimenter ce rôle de puissante, de domina. » La plateforme lui a permis aussi de s’affirmer dans sa transidentité. « Avant, j’avais tendance à porter des avatars avec des attributs féminins outranciers, mais je n’ai plus besoin de ça, je me précise dans mon enveloppe. »

Que veux-tu être ?

La première chose que l’on nous enjoint de choisir dans VRChat, c’est notre « enveloppe ». Qui ou que veux-tu être ? Une chose est sûre, le narcissisme occupe une bonne place. Les joueurs adorent contempler leur nouvelle apparence. Aenora a passé plusieurs années à parfaire ses avatars (textures, couleurs qui réagissent à la musique, fluidité des mouvements, réalisme des parties intimes…). Si, officiellement, les pratiques sexuelles sont interdites (il faut chercher longtemps dans la charte VRChat l’article 8.4.C), le site fait largement preuve de tolérance. « Il y a encore quelques années, rien n’était fait dans le jeu pour que les personnages puissent simuler de vrais rapports physiques ou pénétratifs. Il n’y avait pas de collisions, on passait à travers », s’amuse Aenora. Mais depuis, le « dynamic penetration system » est apparu – autrement dit, les avatars peuvent simuler des interactions sexuelles réalistes – jusqu’aux plus petits détails. « On peut même éjaculer, squirter… », confie Julien, 21 ans.

Lui a découvert la sexualité à travers VRChat. « J’ai toujours été très renfermé. Au lycée, je n’avais jamais tenu la main de personne ni embrassé une fille ou un garçon. Je sais que je ne suis pas attirant. » Son premier ERP ? « C’était avec une personne plus âgée. Elle m’a aidé, on est allés doucement. Ça m’a permis de réparer un traumatisme d’agression sexuelle que j’ai vécu enfant. J’ai pu apprivoiser mon corps, mon désir, faire confiance à l’autre. » Depuis, Julien comme Aenora ont investi dans du matériel : une « vaginette » qui réagit aux mouvements et interactions de l’avatar pour l’un, et toute la panoplie Lovense (société de technologie sexuelle spécialisée dans les jouets télécommandés) pour l’autre.

Technologies de l’intime

En VR, l’intime peut être ressenti par le biais [sv1] de trackers corporels, d’accessoires haptiques, qui reproduisent le toucher, et de la dildonique, panoplie de sextoys connectés et activables via le réseau… Mais pour Aenora, « on peut largement s’en passer, c’est avec le cerveau qu’on joue ». La louve a développé une chorégraphie imparable : « J’arrive à chauffer les gens par des interactions, des effets de proximité… » Auxquels s’ajoute l’environnement sonore, notamment lorsque l’on s’essaie au whispering, sorte de chuchotements intimes qui génèrent de vrais frissons. Mais s’il y avait un objet à garder, Aenora l’admet, « ce serait la pince à tétons connectée ».

Un espace de reconstruction

Beaucoup des récits recueillis font état de traumatismes passés. Des personnes victimes de violences sexuelles dans l’enfance, ou isolées en raison d’un handicap, trouvent dans VRChat un lieu de reconstruction. Aenora confie utiliser le jeu comme une sorte de désensibilisation à la violence d’une société transphobe. « Ça peut paraître paradoxal, mais je cherche des endroits où je sais que je risque de me faire insulter parce que je suis une femme trans. J’y vais pour me préparer à la vraie vie et aux insultes que je pourrais recevoir IRL (in real life). » Une personne autiste raconte : « Je n’ai pas d’amis dans la vraie vie. Dans VRC, je peux être avec les autres. J’entends même des gens ronfler qui dorment en VR, sur les maps "rest & sleep". Ça me fait me sentir moins seul. »

Des amours bien réels

Loin d’être un simple refuge, l’ERP sur VRChat est une manière de se connecter ou d’entretenir des amours sincères. Kapit, 35 ans, déclare[sv1] s’être ouvert à la différence. « Je suis tombé amoureux de quelqu’un que je n’aurais jamais rencontré autrement. On s’est vus quelquefois IRL mais nous échangions surtout dans le jeu, on a construit de vrais souvenirs. » Un autre utilisateur approché dans un bar de nuit (dans le jeu) précise ne faire de l’ERP qu’avec des amis de confiance ou des amoureuses. Chanceux, il fait partie des quelques joueurs qui assurent ressentir des sensations fantômes dans les caresses, parfois des douleurs et même certaines odeurs. « C’est fou ce que ton cerveau peut inventer, là, l’expérience prend une nouvelle tournure. »

Julien avoue quant à lui que la romance ou la sexualité virtuelles sont avant tout une béquille sociale, faute de mieux. « Je préfère l’ERP avec de vraies interactions sociales, plutôt que le porno en VR avec des bots, qui peut être plus réaliste mais pas centré sur le lien à l’autre. Mais dans tout ça, rien ne vaut le corps, sa chaleur, sa texture. C’est un peu comme dire que la masturbation vaut un moment entre humains, ce n’est pas vrai. » Le jeune homme se souvient de sa première fois IRL. « Il est venu chez moi. Je suis tombé amoureux. Et j’ai décroché de VRChat. Mais quand il m’a quitté, j’y suis retourné, et je me suis isolé. VRC est devenu le seul endroit où je peux avoir de l’attention. Mais en même temps, ça ne m’aide pas à sortir de la dépression. Ça fait deux ans que je suis dans ma chambre et que je ne fous rien. »

Une sexualité créative

Pour beaucoup, l’aspect théâtral de l’identité numérique devient un terrain de jeu. Jennifer Gold et Antoine Briot sont artistes, et travaillent à la création de Toxxic, une pièce de théâtre qui questionne le métavers comme espace d’expression et d’aliénation. Équipée d’une combinaison, Jennifer incarne sur scène l’avatar d’une jeune performeuse de fantasmes pour les joueurs. La pièce a nécessité des mois d’immersion dans VRC. « Parfois on est plus proche de la réalité dans ces mondes, comparé à la vraie vie, où l’on porte tous notre masque social », explique Antoine. « Ici, on s’en fout de qui tu es, tout ce qui compte, c’est ce que tu performes, ajoute Jennifer. Pour nous, c’est assez jubilatoire d’utiliser les outils virtuels comme un grand chantier esthétique dans lequel on peut s’éclater. »

Cybertravail du sexe

Certaines créatrices de contenu ont trouvé refuge dans ce cyberespace, loin des risques physiques. Outillées parfois de matériel très coûteux (au moins 3 000 € pour un full body tracking), ces sex workers jouissent d’un anonymat complet et de la flexibilité d’un travail à domicile. Certaines se contentent d’un compte Fansly (type Onlyfan) de leur avatar, avec photos professionnelles et DA léchée – c’est le cas d’Aenora, qui envisage de monétiser ce hobby. D’autres, comme Owome, possèdent leur propre site Web et catégorie Pornhub, avoisinant les 25 000 vues pour certaines vidéos. « La grosse erreur dans cette dichotomie réel/virtuel, c’est de croire qu’il n’y a pas de continuité, alors que pour moi c’est un seul et même ensemble. Tu es constamment en train de fabriquer des souvenirs réels, la seule différence, c’est que tu as des prothèses numériques sur ton corps », poursuit Antoine. Pour Aenora, un problème persiste : celui de la vérification d’âge. « Je ne corresponds avec aucun mineur, je m’arrange toujours pour vérifier leur âge à la voix, ou en discutant. Je n’ose pas imaginer un gamin qui tomberait sur un ERP BDSM…, mais la plateforme est doucement en train de mettre en place un badge d’identification. »

Quant au harcèlement, c’est une réalité. Mais en cas d’inconfort, il existe des garde-fous. Pour Maud Clavier, spécialiste des technologies immersives, et joueuse régulière, « si c’était aussi facile de faire taire une personne IRL que dans VRChat, on serait bien. Un jour, un utilisateur m’a dit "can I finger you", je lui ai juste répondu qu’il pouvait toujours essayer, ça m’a fait rire. Je suis beaucoup plus en crainte des situations physiques ou du harcèlement sur les réseaux type Insta, avec les messages privés qui sont d’autant plus violents ».

Là-bas, la sexualité n’est ni perverse par essence ni salvatrice en soi. Il y a ceux qui s’y perdent mais beaucoup semblent aussi s’y retrouver. Et si cette nouvelle forme d’intimité était un symptôme – celui d’un monde réel parfois trop dur, trop froid, trop normatif ? Et si, au fond, l’important n’était pas tant le véhicule que l’élan – celui qui nous pousse vers l’autre, fût-ce via des corps-pixels et des caresses numériques ?

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commentaires

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  1. Avatar Maitre Tékà dit :

    Très intéressant l’étude, sa montre les différentes possibilité dans cette partie pas toujours connue du métavers

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