
On veut tout ! Éviter le sucre, soigner notre microbiote, ne pas faire souffrir la planète. Mais aussi mettre de la couleur dans nos assiettes et nos boissons... Quelques marques tentent de satisfaire ces désirs contradictoires.
Exit les céréales au goût de carton et les pâtés de soja fades. Dans les rayons de Monop' ou sur TikTok, une nouvelle vague de produits au packaging pop réinvente en version « saine » des grands classiques de l’industrie (soda, jambon, céréales, you name it…). Porté en grande partie par des consommateurs de la GenZ, ce « nouveau sain » promet un twist étonnant : réinventer l’univers de l’alimentation « healthy » avec des produits ultratransformés.
Mets des probiotiques dans ton soda
L’un des fleurons de cette révolution culinaire est français (cocorico). La Vie, après trois années de R&D et plus de 5 000 essais en laboratoire, propose un jambon végétal à base de soja, de pois et de tournesol. Sur son site, cette charcuterie veggie affiche fièrement son « véganisme décadent », avec des recettes gourmandes de club-sandwich et de carbo' aux lardons végés.
D’autres marques comme Poppi Drinks, Ollipop, Surreal ou Magic Spoon tentent de changer les perceptions négatives sur le soda et les céréales avec des recettes ultra-réduites en sucre et en glucides, mais enrichies en probiotiques et en protéines.
Plus avec moins
La promesse de ces produits est simple : offrir plus (de goût, de plaisir, de santé) avec moins (de sucre, d'additifs, de nitrites et d'impact sur la planète). Et ça marche, en particulier auprès de la GenZ. La Vie a réalisé une croissance de 131 % depuis le lancement de ses produits en 2019, en ciblant principalement les aînés des zoomers. Le « soda prébiotique » de Poppi, propulsé par une campagne 100 % réseaux sociaux et des icônes GenZ (Hailey Bieber, Kylie Jenner et Billie Eilish, pour ne citer qu’elles) connaît également une croissance à trois chiffres. Et ce, malgré une série de déboires judiciaires mettant en doute les bienfaits de ses sodas pour la santé.
Comment expliquer cette tendance qui bouscule les imaginaires alimentaires ? Élodie Gentina, spécialiste de la GenZ et professeure à l’IESEG, y voit la « patte » d’une génération peu impressionnée par l’innovation. « Goûter des produits hybrides ne leur fait pas peur, pas plus que de changer leurs habitudes alimentaires, contrairement aux générations précédentes », analyse-t-elle. Sur TikTok, le succès de ces vidéos « tests » de consommateurs intrigués à l’idée de challenger le goût d’un faux jambon ou d’un soda bourré de probiotiques en témoigne.
Imaginaire alter Herta
En dépassant la vieille opposition entre « sain » et « industriel », ce nouvel âge du healthy capitalise sur les paradoxes d’une génération aux appétits contradictoires. Des adeptes de malbouffe constamment en proie à la culpabilité alimentaire, des amateurs de viande concernés par la cause animale, et soucieux de réduire leur impact écologique. Avec ces alternatives industrielles au nombre d’ingrédients restreints et plus vertueux, cet « en même temps » de la consommation semble taillé sur-mesure pour les zoomers. Vincent Cocquebert, essayiste et auteur de La civilisation du cocon (Arkhê, 2021) décrypte ce qu’il nomme cet « imaginaire alter Herta » : « On donne à la fois l’impression d’être dans une démarche saine, tout en comblant ce besoin de consolation alimentaire dans lequel la nourriture tient une large place aujourd’hui. »
Ainsi, cette nouvelle « comfort food » ne serait-elle pas le reflet d’une violente pulsion de vie ? Voire un doigt d’honneur pop et régressif aux récits de fin du monde d’une génération touchée à 70 % par une profonde éco-anxiété ? Vincent Cocquebert en doute. « Au contraire, ce marketing se construit précisément autour de ces imaginaires anxiogènes. C’est plus un pas de côté, une façon d’intégrer les anxiétés contemporaines, mais de manière ludique et indolore. Il y a un retour au cocon nourricier : manger bien sans faire ni se faire du mal. »
Participer à la conversation