Des parents excédés par leur petite fille

Urgent : Parents en quête de conseils cherchent coach parentalité

Booster la fertilité, accompagner la grossesse et le post-partum, faciliter le sommeil de bébé : le coaching dans le domaine de l’accession à la parentalité n’a jamais été aussi prospère. 

À la naissance de son premier enfant, Vanessa, 34 ans, s’est pensée « épargnée ». Les premiers mois, sa fille dort la nuit, et la jeune mère l’emmène partout dans son écharpe de portage. Mais passé cinq mois, ça se gâte. « Du jour au lendemain, c’était l’horreur : elle ne voulait plus dormir, elle restait éveillée plusieurs heures par nuit », se rappelle celle qui travaille dans la communication et a créé « You suck mom – le podcast des mères qui craignent ». Avec son conjoint, ils dorment pendant plusieurs mois moins de quatre heures par nuit, et sont épuisés. Malgré de multiples rendez-vous chez le pédiatre, Vanessa ne trouve pas de solution pour endormir sa fille, jusqu’à ce qu’une amie lui parle d’une coach en sommeil. D’abord sceptique, elle se laisse tenter. En quelques semaines, son bébé dort la nuit – et elle aussi. 

Coach en parentalité pour soutenir les parents

Le terme de « coach » est progressivement entré du côté des nouveaux parents : en ligne, on trouve du coaching pour les premières étapes de la parentalité, de la conception à l’accouchement, en passant par la grossesse et le post-partum. Caroline Rinaudo est une de ces coachs, alias @fitmumfrance sur Instagram, plus de 47 000 abonnés. « Sur mon compte Instagram, je parlais de mes séances de sport pendant ma grossesse, et ça a pris de l’ampleur. J’ai eu beaucoup de demandes de la part de mamans ou de femmes enceintes qui ne se sentaient plus en adéquation avec ce qu’on leur proposait en salle de sport », raconte-t-elle. Après avoir accompagné plus de 8 500 femmes, Caroline Rinaudo a désormais sa propre plateforme en ligne, où elle propose sur abonnement des séances de sport adaptées aux mères et aux femmes qui s’apprêtent à l’être. 

Cette offre de coaching liée à la parentalité, Anne-Marie Curat, présidente du Conseil national de l'Ordre des sages-femmes, en a remarqué la recrudescence depuis un peu plus de trois ans. « Je pense qu’après la période Covid, cela a multiplié ce qui se passait sur les réseaux sociaux, qui servent de vitrine pour ces personnes », juge-t-elle. Une intensification de l’offre d’accompagnement non médical qui se fait dans un système de santé en souffrance ayant un impact fort sur les sages-femmes. « Elles sont en souffrance aussi, il y a un manque d’attractivité et de reconnaissance », ajoute la sage-femme. Pour Gérard Neyrand, sociologue et spécialiste de la parentalité, auteur de Critique de la pensée positive. Heureux à tout prix ? (septembre 2024, Éditions Érès), l’émergence du coaching se fait dans une mutation des rapports parents/enfants depuis les années 1970 et une remise en cause des modèles classiques de famille. « Les modes d’éducation donnent aux parents une grande importance, mais en même temps ces derniers sont à la recherche de nouveaux repères », explique-t-il. En parallèle, on devient parents de plus en plus tard, et ces nouveaux parents se retrouvent noyés d’informations parfois contradictoires. 

Accompagner les nouveaux parents, hors du médical 

Quand Pauline Pellissier, journaliste, se lance dans son parcours de PMA, elle réalise à quel point c’est un marathon. « On a la chance d’avoir un accompagnement médical, mais en dehors de ça, c’est un peu froid. Les médecins ne peuvent pas être dans l’accompagnement émotionnel, ils sont sous l’eau », développe la coautrice de Génération infertile ? De la détresse au business, enquête sur un tabou (Éditions Autrement). C’est ce qui pousse selon elle les parents, et particulièrement les mères, à se tourner vers des « médecines douces » ou d’autres formes d’accompagnement, loin du cadre médical. Et Anne-Marie Curat le confirme : « On constate une volonté de reconnexion des patientes à leur vécu, à leurs émotions. Il y a une défiance vis-à-vis du système médical, et une demande croissante de démédicaliser la grossesse. » En parallèle, la sage-femme note la désaffection des maternités par les sages-femmes en raison des conditions de travail pénibles. « Les coachs s’engouffrent dans cette brèche. »

Mélanie Veluire ne se dit pas coach, mais « accompagnante en parentalité et facilitatrice des premiers mois ». Elle a créé Nasama en 2019, en lien avec sa propre expérience de mère. « L’accompagnement est très médicalisé, et heureusement, mais les parents que je rencontre ont besoin de soutien et d’informations. On est accompagnés pendant la grossesse, mais une fois que le bébé est né, on est livrés à nous-mêmes », constate celle qui propose des ateliers pour décrypter les pleurs, pratiquer du yoga parents/enfants ou apprendre le portage. C’est par cette absence de réponses du côté des pédiatres que Vanessa a choisi de se tourner vers une première coach située au Canada. « On se sent perdus, démunis… Il n’y a pas un mode d’emploi sur comment être parent au bout du placenta ! », lance-t-elle. Ce premier entretien à 70 dollars la laisse sceptique, les conseils de la coach lui paraissant absurdes. « Elle nous disait qu’il fallait réveiller notre fille, ou bien dormir avec elle… J’étais un peu déçue », confie-t-elle. 

Doulas, cercles de femmes et programme de préconception

L’une des formes d’accompagnement qui se démocratisent peu à peu, ce sont les doulas, qui vont fournir un soutien moral et pratique aux futurs parents, pendant la grossesse ou l’accouchement. S’il existe des formations pour être doula, il n’y a pas d’encadrement de leur activité par l’État : l’Ordre national des sages-femmes critique leur arrivée dans les parcours de soin depuis plusieurs années. Mélanie, une autre, est une de ces doulas. Elle a créé Projet Mama, un programme spécialisé dans la préconception, mais aussi l’accompagnement de couples ayant vécu une fausse couche. Elle propose notamment des cercles de femmes, où « on laisse la part à la parole ». L’objectif de ces sessions de deux heures entre femmes ? « Rendre toute sa puissance à la patiente, lui montrer qu’elle a cette possibilité de force et de réflexion », explique Mélanie. Ayant elle-même vécu une fausse couche, elle voit ces cercles de parole et d’écoute comme des espaces de soutien entre femmes. « C’est un espace de bienveillance, sans conseil ni jugement, où on peut dire tout ce qu’on a besoin de dire en sécurité », ajoute-t-elle, précisant que son accompagnement n’est pas médical, mais complémentaire. 

« Je ne veux pas donner des directives fixes, je ne suis pas là pour obliger ou forcer à quoi que ce soit. Avec l’expérience que j’ai eue, mon objectif est de transmettre ce qui est manquant, pour que les parents ne culpabilisent pas et qu’ils aient un lieu où poser leurs questions », acquiesce Mélanie Veluire, de Nasama. Elle propose ainsi trois fois par an les Mère-veilleuses, des après-midis dédiées aux mères, où elles peuvent prendre du temps pour elles, entre loisir créatif et activité de détente. « Ce que je trouve bluffant, ce sont les amitiés qui se créent », précise cette maman du pays de Gex, où les nouvelles mères se trouvent parfois isolées. Un besoin d’écoute, d’accompagnement dans cette nouvelle phase de leur vie : c’est aussi ce qu’a remarqué Caroline Rinaudo, la coach sportive. « On dit toujours qu’il faut un village pour élever un enfant. Et je pense que le coach fait partie de ce village », estime-t-elle. 

Entre likes et monétisation, les coachs en proie à des dérives 

Sur les comptes de mamans influenceuses sur Instagram ou dans des groupes Facebook dédiés aux parents, les offres de coaching sont nombreuses, avec des intitulés plus ou moins absurdes : on y parle de se reconnecter avec son « féminin sacré » pour mieux vivre sa grossesse, d’utiliser des pierres ou des plantes pour augmenter ses chances de concevoir… Depuis plusieurs années, la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) met en garde contre la dangerosité de certaines pratiques liées au « féminin sacré », et de la possibilité de dérives sectaires. « J’essaye d’alerter mes abonnés sur ça, notamment en disant que ce n’est pas parce qu’on a des millions d’abonnés ou qu’on est mère qu’on est qualifiée pour coacher » , indique Caroline Rinaudo, qui a un diplôme certifié de coach sportive. D’autant que l’appellation de « coach » n’est pas reconnue par l’État. « En périnatalité, les familles sont assez vulnérables. Beaucoup de femmes se sentent démunies, à l’affût du moindre conseil. Du coup, c’est un créneau pour les coachs… », note Anne-Marie Curat, de l’Ordre national des sages-femmes. Parmi ces accompagnements décriés, celui de l’application MyBuBelly, qui propose, à travers la nutrition, de « choisir » le sexe de son bébé avant même sa conception. Des « méthodes de grand-mère » , nous explique MyBuBelly, adaptées façon coaching disponible tous les jours, même le week-end, pour 149 euros par mois. « Il est observé qu’en fonction des sels minéraux que l’on privilégie dans son alimentation, on peut modifier la conception de la glaire cervicale, et y laisser passer des chromosomes X ou Y », détaille l’entreprise, qui opère aussi un suivi du cycle pour maximiser les chances d’avoir une fille ou un garçon suivant le programme choisi. L’entreprise, créée en 2017, a obtenu beaucoup d’attention médiatique, et a été fortement critiquée par de nombreux professionnels de santé. Aujourd’hui, si MyBuBelly ne souhaite pas communiquer sur ses chiffres, elle affirme que son nombre d’accompagnements se compte en « milliers », et que, selon ses études empiriques, cela fonctionnerait « 9 fois sur 10 ». 

MyBuBelly n'hésite pas à multiplier les posts sur son compte Instagram aux plus de 9 000 abonnés. « Instagram est comme un site bis : c’est une façon plus claire d’expliquer et de rassurer », indique l’entreprise. Les liens entre réseaux sociaux et coaching en parentalité sont évidents, pour la journaliste Pauline Pellissier : « On est dans une société de reconversion, et celles qui entament des parcours, notamment de PMA, sont obligées de se documenter. Quand leur parcours aura fonctionné, elles vont se reconvertir dans le coaching. Les communautés se développent rapidement sur les réseaux sociaux, et permettent des posts sponsorisés par des cliniques étrangères, par exemple. » Il n’est ainsi pas rare de voir sur Instagram des contenus sponsorisés par le groupe IVI, leader de la procréation médicalement assistée en Espagne, ou de la banque de sperme danoise Cryos. « Les réseaux sociaux se sont appuyés sur cette volonté d’être un bon parent, car l’incertitude pousse à demander conseil », indique le sociologue Gérard Neyrand. Ce dernier y voit une « capitalisation de l’incertitude », avec une offre de solutions, dont le coaching, qui passe par le système marchand. 

Des besoins convertis en business...

Gérard Neyrand insiste sur le développement de la psychologie positive, qui s’intéresse au bonheur de la population, comme « mouvement de fond porté par la société néolibérale et le système marchand ». « Sous une allure douce, on sait très bien que c’est une stratégie marketing, du business », confirme Anne-Marie Curat. Car le coaching de la parentalité et de la maternité est souvent onéreux. Vanessa, la jeune mère, a entrepris d’aller voir une seconde coach pour régler les problèmes de sommeil de sa fille. Elle s’est tournée vers Fée de Beaux Rêves, une entreprise de coaching en sommeil à 400 euros l’accompagnement complet de plusieurs semaines. « Quand on est fatigué, on est prêt à tout. Alors payer une visio 400 balles, je le fais », rit-elle. Les conseils donnés par la coach en sommeil ont permis à Vanessa et à sa fille de retrouver le sommeil. « Mais pour moi, c’est le rôle du pédiatre de donner ces conseils-là, car c’est purement de la physiologie de l’enfant. » Des coûts parfois exorbitants qui se retrouvent, dans des coachings en fertilité ou en « libération émotionnelle », à plusieurs centaines d’euros l’heure. « Il y a un filon qui s’est développé, face à des femmes en détresse qui sont parfois prêtes à mettre pas mal d’argent », résume la journaliste Pauline Pellissier. 

Même si ces pratiques de coaching peuvent sembler anodines, Anne-Marie Curat rappelle que le suivi de grossesse doit être fait par des professionnels de santé, et que certaines pratiques flirtent avec l’exercice illégal de la médecine. « Depuis 2023, une sage-femme référente est nommée pour coordonner tout le parcours de soin. Ce qui veut dire que l’accompagnement médical prévaut sur des conseils de coachs », ajoute-t-elle. Gérard Neyrand estime qu’« il y a certainement de bons coachs, mais beaucoup sont problématiques », soulignant la pression qui pèse sur les mères dans une société encore marquée par les inégalités de genre. À vouloir être le meilleur parent possible, certains y perdent parfois beaucoup d’argent, et une bonne part de leur santé mentale : selon une étude menée par le magazine Cerveau et Psycho en 2023, 5 % des parents seraient en état de burn-out et 8 % présenteraient un risque élevé de l’être dans l’année. 

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
commentaires

Participer à la conversation

  1. Avatar Anonyme dit :

    Article très intéressant. Ce qui est dommageable bien souvent dans ce type d'accompagnement proposé, c'est l'absence de formation sérieuse de ces coachs, trop souvent auto-proclamés. Quand il s'agit d'accompagner des femmes qui viennent de vivre une fausse couche ou un deuil périnatal, par exemple, c'est très problématique. Etre thérapeute ne s'improvise pas. En plus d'une formation sérieuse, il y a aussi une posture, une éthique..

Laisser un commentaire