
Grâce à son jeu vidéo rétro délicieusement absurde, Oli Frost a ridiculisé un gestionnaire d'actifs accusé d'être un « retardataire climatique ».
Oli Frost est un drôle de touche-à-tout. Ce Britannique d'une trentaine d'années s'est fait connaître en 2018 sous le pseudonyme de Recorda Boi en reprenant des morceaux de hip-hop à la flûte à bec dans l'émission Britain's Got Talent. Après cette performance, l'homme est devenu activiste climatique, mettant notamment ses services au profit de l'ONG Greenpeace. Dans sa vie numérique où il cumule plus de 100 000 abonnés sur Instagram et sur TikTok, il s'est spécialisé dans la satire et la démonstration par l'absurde notamment en écrivant et en interprétant des chansons sur le changement climatique.
Récemment, Frost s'est associé à un collectif pour dénoncer les investissements dans les combustibles fossiles par le secteur de la finance, dans le cadre d'une campagne pour le réseau Toxic Bonds Network. Dans leur viseur plus spécifiquement ? Abrdn, le groupe britannique de gestion d'actifs, auquel il reproche d'être un « retardataire climatique ». « Abrdn investit plus de 3,6 milliards de dollars dans des obligations émises par des expansionnistes des combustibles fossiles. C'est l'un des rares gestionnaires d'actifs européens à ne pas avoir publié de politique d'exclusion du charbon, et c'est globalement le 4e gestionnaire d'actifs le plus exposé aux obligations d'énergies fossiles », a écrit Frost sur son compte Linkedin.
« Peut-être que nous devrions… ne pas faire ça ? »
Alors qu'Abrdn se cherchait jusqu'à récemment un nouveau directeur général, Frost et ses amis, se présentant comme les « Serious People », un groupe d'éco-gamers, ont conçu un jeu vidéo textuel immersif à la manière de ceux des années 1980. Intitulé Asset Manager Quest, le jeu permet de se mettre dans la peau du PDG d'Abrdn. Les règles sont annoncées dès le départ : « Vous êtes le nouveau PDG d'Abrdn. Votre compagnie est bloquée dans le passé et continue d'investir des milliards dans les combustibles fossiles. Un jour, vous vient une pensée : Peut-être que nous devrions… ne pas faire ça ? » À partir de là, le joueur se voit proposer une série de choix. S'il décide dès le départ de mettre en pratique cette pensée, il met alors un terme au jeu.
Tout l'intérêt réside bien sûr dans le fait de montrer que ne plus financer les combustibles fossiles est une décision extrêmement facile à prendre : il suffit de le décider. Dans le jeu, il est possible de revenir en arrière et de finalement faire le choix d'ignorer le problème. Parmi les dizaines de choix qui lui sont proposés, le joueur peut alors devenir pâtissier, s'octroyer un bonus massif, partir vivre en pleine nature ou encore rebrander sa compagnie. À chaque choix à faire, il est systématiquement proposé au joueur de ne plus financer de combustibles fossiles. En fonction de ses choix, le joueur peut se retrouver devant le boss final – le board d'Abrdn – et lui soumettre l'idée de ne plus investir dans les fossiles. Mais s'il prend cette décision, le joueur remporte le jeu et il lui est proposé de partager le jeu au board d'Abrdn pour que « lui aussi puisse remporter le jeu ». Lequel est accessible à quiconque à envie de s'amuser avec l'idée génialement satirique de Frost.
Des employés dans le rôle de leur PDG
Histoire de boucler la boucle, Frost s'est mis en scène dans une vidéo où il poursuit l'objectif de faire jouer Douglas Flint, le président d'Abrdn, à son jeu. Une campagne publicitaire locale faisant la promotion du jeu a été déployée, et le lien pour jouer à Asset Manager Quest a été envoyé par mail à 600 employés d'Abrdn. D'après Frost, Abrdn aurait en réponse fait bloquer le jeu sur les ordinateurs de ses salariés. Suite à cela, Frost a décidé de se rendre au siège d'Abrdn avec dans son dos une sorte de machine d'arcade portable sur laquelle il est possible de jouer à Asset Manager Quest. Si Frost n'a bien sûr pas pu rencontrer le président d'Abrdn, il a croisé un certain nombre d'employés devant le siège de la compagnie dont certains n'ont pas manqué… de jouer à Asset Manager Quest !
La vidéo de Frost se clôt sur un argumentaire dans lequel il rappelle qu'investir dans les fossiles à l'heure des renouvelables est une stratégie irrationnelle et risquée pour les clients d'Abrdn. Frost relève aussi que des concurrents d'Abrdn ont décidé d'exclure ces investissements. L'année dernière, une analyse réalisée par l'ONG Common Wealth avait révélé que les entreprises du secteur fossile ont émis des obligations d'une valeur de 1 900 milliards de dollars depuis l'entrée en vigueur de l'accord de Paris, soit une hausse de + 188 % du total global. « La dure réalité est que les investisseurs fournissent une bouée de sauvetage aux entreprises du charbon, du pétrole et du gaz, en alimentant leur expansion par le biais d’un marché obligataire peu réglementé », avait déploré Camilla Schramek, coordinatrice du Toxic Bonds Network.
Les 1 001 folles idées de Frost
L'originalité du dispositif imaginé par Frost est peu surprenante. Par le passé, l'homme s'est illustré en montant un vrai faux site, LifeFaker.com, qui proposait à la vente des packs de photos « instagrammables » pour permettre à des utilisateurs de faire croire que leur vie était plus « cool » qu'elle ne l'était réellement. Il s'agissait en fait d'une campagne pour alerter sur les risques des réseaux sociaux pour la santé mentale. Dans un autre registre, en 2018, Frost a tenté de vendre ses données personnelles Facebook sur le site de vente aux enchères eBay dans le but de reverser les fonds récoltés à l'Electronic Frontier Foundation, une ONG spécialisée dans la protection des libertés sur Internet. Le Londonien a aussi eu l'idée de Flopstarter, une parodie de Kickstarter dédiée… aux mauvaises idées.
Bref, Oli Frost ne manque pas d'idées pour porter les causes qui lui tiennent à cœur. Il a peaufiné la campagne Abrdn avec Glimpse, un collectif britannique de gens créatifs qui entendent mettre leurs talents au service du bien commun. En 2016, pour faire prendre conscience aux agences publicitaires de leur pouvoir et de leur capacité à véhiculer des valeurs positives, ils étaient parvenus à faire remplacer 68 publicités affichées dans le métro londonien par des photos de chats. Glimpse se cache aussi derrière Choose Love, ce magasin qui ouvre chaque année à l'approche de Noël à Londres et dans lequel il est possible d'acheter des cadeaux pour des réfugiés.
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