Sheldon dans Bigbang theorie

L’ « Aspie Supremacy » d'Elon Musk : la dérive idéologique derrière le mythe des Aspergers

© Warner Bros, The Big Bang Theory

Aux États-Unis, des activistes accusent Elon Musk d’instrumentaliser son autisme à des fins suprémacistes. Retour sur la notion nouvelle et méconnue de « suprémacisme Asperger ».

L’image glaçante a fait le tour du monde. À l’occasion de son discours au soir de la cérémonie d’investiture de Donald Trump, le 20 janvier 2025, Elon Musk a effectué un salut nazi. Un véritable débat a pourtant fait rage sur les réseaux sociaux sur la signification de ce bras tendu à deux reprises. Après que le principal concerné a démenti, laconiquement, toute référence néonazie, un argument singulier a émergé pour expliquer, voire minimiser, son acte : Elon Musk est autiste et il s’agirait en fait d’une maladresse liée à sa neuroatypie. Certaines personnes ont laissé entendre qu’il s’agissait de gestes d’autostimulation ou stimming, une action répétitive destinée à se calmer, propre à l’autisme. Loin d’être anodine, cette tentative d’excuse cache en fait une mythologie suprémaciste très en vogue dans la Silicon Valley.

Le « gentil » médecin nazi

Pour le comprendre, il faut retourner quatre ans plus tôt, en mai 2021. Sur le plateau de l’émission Saturday Night Live, Elon Musk révèle son autisme Asperger sous les applaudissements.

Dans l’imaginaire populaire et le paysage médiatique, le terme désigne des autistes fonctionnels, et même supérieurs intellectuellement, bien qu’il ne fasse plus vraiment sens dans le milieu médical depuis la dernière révision du DSM-5 (le principal manuel recensant les troubles mentaux) en 2013.

Il tient son nom du pédopsychiatre allemand Hans Asperger, dont le travail sur l’autisme a refait surface dans les années 80. Longtemps perçu comme un médecin précurseur qui aurait sauvé des enfants du nazisme, le pédopsychiatre a été rattrapé par l’histoire en 2018, quand plusieurs chercheurs, dont l’historienne Edith Sheffer, ont révélé que ce dernier avait envoyé des enfants considérés comme « anormaux » dans des camps de concentration pour prétendument les « soulager ». Selon Jillian Enright, écrivaine spécialisée dans la neuroatypie : « Asperger a utilisé une hiérarchie eugéniste, délimitant une gamme de “niveaux de capacité” et de valeur sociale, niant l’humanité de certains enfants autistes qu’il considérait comme “plus handicapés”, faisant référence à leur “manque de valeur productive” pour la société. »

Si ces révélations historiques n’ont pas empêché Elon Musk d’utiliser précisément ce terme, c’est parce que l’autisme Asperger est aussi lié à une autre réinterprétation suprémaciste de cette condition. Pour l’activiste autiste américaine Morgan Foley, qui crée des vidéos pédagogiques en ligne, la posture du milliardaire patron de X et Tesla s’apparente à de l’ « Aspie Supremacy » ( « Suprématie Aspie » ), « Aspie » étant le diminutif d’Asperger. Ce concept de « suprémacisme autiste » a été développé par l’autrice spécialisée dans les études sur le handicap Anna N. De Hooge, pour qui la référence à Asperger permet aux individus comme Elon Musk de s’inscrire dans un imaginaire eugéniste. En bref, la neuroatypie serait détournée par des masculinistes blancs et fortunés pour afficher leur supériorité.

Le mythe du génie (masculin et blanc)

Cette notion d’autisme suprémaciste découle clairement de l’imaginaire qui flotte autour des Aspies. Charles Darwin, Mozart, Bill Gates ou George Orwell… On a déjà tendance à rattacher certaines figures de génie à l’autisme. Mais, d’après le chercheur sur le handicap Paul Heilkel, ces représentations qui créent des hiérarchies au sein de l’autisme Asperger nourrissent aussi « des tropes de la supériorité blanche ». Dans les films et séries, les personnes autistes sont majoritairement blanches, relativement privilégiées, masculines, hétéros et supérieures intellectuellement, à l’image du personnage geek de Sheldon dans The Big Bang Theory. Tapez « autisme » dans Google et vous tomberez à 94 % sur des personnes masculines blanches. Il existe pourtant un vrai mouvement de personnes racisées autistes : le hashtag #Autizzy, notamment, connecte des millions d’autistes noirs à travers le monde, mais aussi « neuroqueer », c’est-à-dire des personnes autistes LGBTQIA+ qui restent donc invisibles.

Cette représentation très blanche de l’autisme a aussi été largement popularisée et fantasmée par les milieux de la tech. On a ainsi beaucoup présumé l’autisme Asperger de Steve Jobs ou de Mark Zuckerberg. Or, si ces suppositions valorisent les esprits différents des personnes neuroatypiques et favorisent l’employabilité de ce groupe souvent précarisé, elles ont aussi participé à ériger une hiérarchie entre les « bons » autistes – Asperger, mâles, blancs, aisés – et les autres. Pour le professeur à Harvard Neil Shepard, l’autisme Asperger est présenté comme un esprit scientifique, productif, en totale adéquation avec les valeurs néolibérales et serait donc synonyme de succès.

Le chaînon manquant avec le transhumanisme

Le concept d’ « Aspie Supremacy » n’est pas seulement installé dans les représentations populaires, il existe aussi en tant que mouvement à part entière. Aux États-Unis, des hommes se retrouvent sur des sites comme Wrong Planet, où ils qualifient leur autisme de phase supérieure dans l’évolution de la race humaine. Ce courant entretient des liens avec des idéologies liées à l’eugénisme et au racisme scientifique afin de créer de nouvelles hiérarchies humaines. Dans les forums, on imagine ainsi que l'autisme « pourrait être le chaînon manquant entre les humains et les transhumains », qu’il s’agit «  d’une caractéristique d'aptitude génétique positive », ou bien que les personnes autistes sont « une entité de pensée pure  » présentant « une forme supérieure d’attraction » à la faveur de leur sapiosexualité. Sur X, Elon Musk lui-même a propulsé un post issu de 4chan, le tristement célèbre imageboard rempli de trolls masculinistes et suprémacistes, dans lequel un internaute expliquait que « les hommes Alpha remplis de testostérone et les autistes » sont les seuls capables d’analyser les informations de manière objective et de vraiment diriger les autres.

Le problème dans le cas du salut nazi d’Elon Musk, c’est que l’autisme est utilisé pour cacher des idées politiques nauséabondes qui n’ont rien à voir avec sa neuroatypie. Bien avant l’investiture de Trump, Elon Musk apportait son soutien à un message accusant les juifs de «  haine contre les blancs  ». « L'autisme n'est pas une excuse pour la haine ou le sectarisme, et des gens comme Musk donnent à tous les autistes une réputation dangereusement mauvaise », conclut Jillian Enright. Nous sommes suffisamment confrontés au capacitisme et aux préjugés liés à notre neurotype, nous n'avons pas besoin que les gens pensent que nous soutenons ce genre d’horreur. » La majorité des personnes autistes se seraient bien passées de cette terrible (et mauvaise) publicité.

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