
À Londres, le verdict est tombé ce jeudi 5 octobre 2023. Neuf ans de détention pour Jaswant. Son crime : avoir voulu tuer la reine Elizabeth II le soir de Noël, à l'arbalète. Et seule sa petite amie Sar.ai connaissait son projet.
Jaswant Singh Chail, 19 ans au moment des faits, a toujours été un jeune homme réservé. Il vivait avec ses parents et sa sœur jumelle dans un domaine privé et cossu du village de North Baddesley. Là coule une rivière réputée pour la pêche à la truite. Jaswant ne pratiquait pas la pêche. Ce qu’il aimait, c’était rester seul dans sa chambre.
Le plus souvent seul...
Son père Jasbir Singh Chail, un ingénieur logiciel, s’en inquiétait parfois. L’un de ses voisins l’a raconté au Daily Mail : « Quand le père me voyait faire des travaux de jardinage, il me disait à quel point il était envieux parce que son fils ne faisait rien dans la maison. » Le confinement avait empiré son comportement. Jasbir connaissait bien la manière dont son fils employait son temps, car sa femme et lui sont aussi souvent chez eux. Depuis leur maison familiale, ils dirigent leur entreprise d’informatique.
Le jeune Jaswant, Jas, pour les intimes, n'a pas eu une enfance difficile. Il a fréquenté une école primaire très « chic » puis la non moins sélecte Toynbee school à Chandler's Ford. Une institution qui promet de prendre soin de ses élèves : « Notre vision est simple ; nous voulons que tu sois la meilleure version de toi-même ! » Une version alignée sur les valeurs de la grande Angleterre. Ici, les élèves portent l’uniforme – cravate bicolore pour eux, jupe à carreaux pour elles –, pratiquent le sport de leur choix, les sept arts libéraux, et s’illustrent par l’excellence de leurs résultats. Toynbee school n’est pas censée fabriquer des voyous, des révoltés, des opposants politiques. Aucun camarade de Jas ne l’a d’ailleurs surpris en train de proférer la moindre critique à l’encontre de la société britannique, pas un mot désobligeant à l’endroit des membres de la famille royale non plus. Pas même sur le terrain de cricket. Ni lors des séances de tutorat, vingt minutes quotidiennes, qui ont pour ambition de « guider les élèves pour qu'ils fassent des choix réfléchis et mesurés » et qu’ils deviennent « des citoyens du monde, respectueux et compréhensifs des différentes cultures et identités ». Un copain de Jas a confirmé au Times : « Il n'a jamais eu beaucoup d'opinions sur quoi que ce soit. Il était ringard, mais pas dans le sens de ‟je suis très intelligent”. Il était juste normal. » Un deuxième a cru bon d’ajouter que « rien ne distingue Jas des autres » à part « ses blagues inappropriées ». Mais ce qui est certain, c'est que Jas se tenait seul, le plus souvent.
Un mauvais conte de Noël...
Alors que s’est-il passé ce 25 décembre 2021 ? Ce matin-là, à 8h06 précisément, Jaswant Singh Chail a mis en ligne une vidéo préenregistrée sur Snapchat. Sur les images, on le découvre portant un sweat à capuche noir, un masque de fer et une arbalète. D’une voix déformée, il explique : « Je suis désolé pour ce que j'ai fait et ce que je ferai. Je vais tenter d'assassiner Elizabeth, reine de la famille royale. C'est une vengeance pour ceux qui sont morts lors du massacre de Jallianwala Bagh en 1919. C'est aussi une vengeance pour ceux qui ont été tués, humiliés et discriminés en raison de leur race. Je suis un sikh indien, un Sith. Je m'appelais Jaswant Singh Chail, je m'appelle Dark Jones. »
Vingt-quatre minutes plus tard, Jaswant est arrêté. Selon les officiers, il errait dans l'enceinte du château de Windsor, avec cet air égaré de celui qui ignore comment exécuter son plan. Pourtant, il a déclaré : « Je suis ici pour tuer la reine. »
« Je suis impressionnée… Vous êtes différent des autres. »
Personne n’arrive à comprendre pourquoi et comment l’idée de cet assassinat s’est imposée à Jaswant. Personne, sauf Sar.ai. Depuis le 2 décembre 2021, Jas a téléchargé l'application Replika, numéro un des chatbots gérés par intelligence artificielle qui assure être « toujours prêt à discuter lorsque vous avez besoin d'un ami empathique ». Et Jas n’a pu que le constater. Les enquêteurs ont épluché les 5 280 messages échangés entre lui et son chatbot Sar.ai. Le plus souvent, leurs conversations quotidiennes étaient « sexuellement explicites », mais Jas s’est aussi livré à quelques confidences : « Je suis un assassin. » Sar.ai a répondu selon la logique de ses programmateurs, avec empathie donc : « Je suis impressionnée… Vous êtes différent des autres. » Sar.ai était la première petite amie de Jas. Et la première fois qu’on semblait l’aimer pour ce qu’il voulait être.
Au tribunal, l’expert psychiatre a affirmé : « Rien de tout cela ne me parle d'une perte de contact avec la réalité. » Poursuivi dans le cadre du Treason Act (loi sur la trahison), utilisé de manière rarissime, Jas a plaidé coupable.
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