
En Grande-Bretagne, les larcins en supermarché explosent depuis la pandémie.
Gel des salaires, inflation et sentiment de se faire flouer... En France, le vol à l’étalage a augmenté de plus de 14 % en 2022, indique le ministère de l'Intérieur. Même constat de l'autre côté de la Manche. D'après l'Office for National Statistics, 2023 a été la pire année jamais enregistrée en matière de vol à l'étalage, avec plus de 430 000 cas répertoriés, soit une augmentation de plus d'un tiers par rapport à l'année précédente. Des données qui ne représentent probablement qu’une fraction de la réalité, rappelle The Guardian.
La crise du coût de la vie
D'après le British Retail Consortium, l'organisme représentant presque toutes les grandes chaînes de magasins (alimentation et boissons, mode, bricolage, santé, beauté...), les vols ont plus que doublé, passant de 8 millions à 16,7 millions entre septembre 2022 et août 2023. À elle seule, l'entreprise de type coopératif Co-op a enregistré l'année dernière 330 000 incidents de vol à l'étalage, de violence verbale et de « comportement antisocial » dans ses quelque 2 500 magasins du Royaume-Uni, soit une augmentation de 44 % par rapport à l'année précédente. Très virulente sur le sujet, la société a récemment publié un rapport intitulé « Voler en toute impunité ». Dans l’introduction, Paul Gerrard, directeur des affaires publiques de la coopérative, décrit un « état d’anarchie dans les rues principales du Royaume-Uni qui n’a jamais été vu auparavant. » Face au Guardian, Paul Gerrard met de l'eau dans son vin : « Ce qui se cache derrière cette hausse de 44 %, ce ne sont pas des gens qui volent pour eux-mêmes, mais des gens qui volent à grande échelle pour revendre à des personnes qui ont du mal à joindre les deux bouts. »
Emmeline Taylor, professeure de criminologie et hôte du podcast Retail Crime Uncovered, constate l'augmentation des larcins commis par les criminels organisés, qui volent en gros d'une région à l'autre pour revendre à prix réduit. La professeure note aussi la présence de voleurs ciblant régulièrement les mêmes magasins pour le compte de receleurs, qui s’improvisent gestionnaires d'une sorte de boutique discount pour leur communauté. « Il y a un marché pour les articles vraiment ennuyeux et banals. Les gens ne veulent pas gaspiller l’argent durement gagné pour acheter des choses comme la lessive ou le café », explique-t-elle. Pour Emmeline Taylor, les voleurs de cette seconde catégorie seraient grandement vulnérables, pour cause de toxicomanie ou d'extrême pauvreté. En 2018, un rapport du Centre for Social Justice avance que les dépendances à l'héroïne, au crack et aux substances psychoactives sont à l'origine de 70 % de tous les vols à l'étalage au Royaume-Uni. À noter : 85 % des personnes arrêtées dans le pays sont des hommes, et seulement 4 % de la population carcérale est composée de femmes. Or, 28 % des 19 900 prévenus poursuivis pour vol en magasin en 2021 étaient des femmes.
Perpétuelle recherche du profit : la vengeance
Pour certains, il s'agit seulement de manger. Pour d'autres, de s'offrir une dose de dopamine et de plaisir. Pour d'autres encore, c'est aussi une affaire de principe. Un responsable travaillant dans la tech confesse au média britannique que la « mentalité des entreprises » consistant à augmenter les profits, à augmenter les prix bien au-dessus de l’inflation et à ne pas se soucier de la façon dont cela affecte les gens, « n’a jamais semblé aussi répandue qu’aujourd’hui. Je considère les supermarchés comme des victimes, mais je m’en fous », poursuit-il, affirmant qu’il ne scanne pas toujours tout aux caisses automatiques. « Ils ne se soucient pas de nous. Et c’est une façon très, très mineure, probablement même pas perceptible, de se venger d’eux. » Un étudiant en art ajoute : « Tout cela fait partie d’une mentalité qui consiste à se sentir floué et perçu comme une marchandise ».
Un avis partiellement partagé par Julien, antiquaire de 34 ans. Au micro du podcast Thune, il raconte – dans l'épisode Thune ne voleras point ? – comment il chaparde en magasin jusqu’à 1000 euros de marchandises par mois. Si le jeune homme a grandi sans argent, il gagne aujourd'hui, d'après lui, correctement sa vie. « La chourre quotidienne, pour lui, c’est une habitude, presque un lifestyle. C’est un petit voleur, pas un gros braqueur… Sauf que quand on les additionne, ses petits larcins finissent par faire une sacrée somme », racontent les autrices du podcast. Sur Reddit, certains internautes revendiquent le vol à l'étalage comme une revanche contre les supermarchés et les commerçants, dont les pratiques catastrophiques de gestion des stocks conduisent à un monumental gaspillage alimentaire. Dans l'épisode Gaspillage alimentaire : qui est vraiment responsable ? de sa série de documentaires Sur le front diffusé sur France 5, Hugo Clément enquête sur l'immense gâchis généré par l’industrie agroalimentaire, et ce, alors qu'une part croissante de Français souffre de malnutrition. En 2023, ils étaient 52 % à affirmer ne plus faire trois repas par jour, régulièrement, parfois ou rarement, indique le Secours populaire.
*Méthodologie : sondage réalisé par Ipsos en juin 2023 sur 996 personnes représentatives de la population française.
Participer à la conversation