
Gigi est drôle, Gigi est caustique, Gigi est culottée. Gigi est surtout biberonnée à vos données Instagram et LinkedIn. Et ça matche ?
Dans un climat de rejet des applis de rencontres, il faut être fou pour se lancer. Mais Clara Gold n’a pas peur des défis. Le 12 décembre dernier, l’entrepreneuse française a lancé Gigi, une application à l’esthétique pop et glamour, boostée à l’IA.
Clara Gold présente Gigi comme « la fille qui connaît tout le monde » – à commencer par vous. Dans les faits, Gigi est un bot programmé pour être votre entremetteuse. Donnez-lui vos nom et prénom, quelques photos, l’accès à vos réseaux sociaux, vos green et red flags, et Gigi scanne le web à la recherche d’info crousti' à ajouter à votre profil. Gigi écrira pour vous votre descriptif censé séduire vos matchs potentiels puis vous présente des partenaires qui pourraient bien vous plaire. Et depuis le 25 février, Clara Gold annonce sur LinkedIn que Gigi ira bientôt plus loin : « fini les swipes, fini les feeds, fini les applis », écrit-elle. La Gigi du futur sera une interface vocale.
Sur la technologie sous-jacente ou le nombre d’utilisateurs et d’utilisatrices, on n’en saura pas plus : ni Clara Gold ni Gigi n’ont répondu à nos demandes d’interview. « C’est une info classifiée », plaisante Gigi-le-bot quant au nombre de célibataires inscrits. Sur LinkedIn, Clara Gold fait état de plus de 100 000 utilisateurs. À Paris peut-être. À Marseille où on a voulu tester l’appli, c’est le désert – il faudra retourner à la capitale pour trouver l’amour.
Le LinkedIn de l’amour ?
Gigi ne le dit pas explicitement, mais à travers sa com' caustique et irrévérencieuse, elle nous vend la promesse de chasser un parti qui correspond à tes exigences socioculturelles. Sur l’oreiller, on reste focus sur certains déterminismes : « Entre son BTS Commerce et ton parcours ESSEC-Yale, y a un petit gap intellectue, on va pas se mentir ! Et puis ses anecdotes sont vraiment basiques », publiait ainsi Clara Gold dans un échange avec son entremetteuse personnalisée. « Un peu snob », reconnaissait l’entrepreneuse. À deux doigts du mépris de classe, même.

Gigi a donc des airs de conseil en RH, pas si décalé dans un marché de l’amour qui est devenu précisément cela : un marché. Ce barman a « deux ans au compteur », ce mécanicien est « passionné » et ce directeur en hôtellerie a « 1 000 followers sur LinkedIn ». Pour ma part, je suis « toujours active sur le terrain et prête à couvrir la prochaine histoire » (c’est vrai, boss). Les prétentions salariales ne sont pas évoquées mais le seront probablement lors d’un premier RDV. Spoiler : il n’y en aura pas.
Gigi reste avant tout une entremetteuse et sait nous mettre en valeur. Une simple photo de moi en rando me transforme en aventurière solitaire – je reconnais la conclusion hâtive. Dans une appli où les annonces sont écrites par un modèle statistique, les profils se suivent et finissent par se ressembler ? Un peu, oui. Soudain, tous les utilisateurs et utilisatrices semblent être accros au sport, des « esprits sains dans des corps sains ».
Un Jiminy Cricket qui ne peut pas faire de miracles quand même
Mais dans le monde cruel des rencontres sur applis, reconnaissons qu'il est fort agréable d’avoir une complice – aussi bot soit-elle. Gigi nous fait mousser, nous donne l’impression d’avoir le choix (voulons-nous quelqu’un d’installé dans sa carrière, ou sommes-nous d’accord pour quelqu’un qui se cherche, interroge-t-elle dans une question que l’on imagine rhétorique). Surtout, Gigi nous pousse à faire le premier pas et propose des accroches pour briser la glace (même si, me confie un de mes rares matchs, « les questions sont bateaux » ). C’est l’un des chevaux de bataille de Clara Gold : pousser les gens à la conversation. « Les gens sont incapables de se parler en ligne parce qu’ils n’ont pas de contexte sur l’autre », estime-t-elle dans le podcast Silicon Carne. Gigi veut être votre Jiminy Cricket, celle qui vous pousse à oser.
Dans un plaidoyer passionné pour l’audace, l'entrepreneuse se revendique de la lignée de Marie s’infiltre : le culot devient une « force d’agir », « une autre définition de la liberté », comme le présentait l’humoriste en janvier sur le plateau de Quotidien. Même si le problème n’est pas tant de débuter la conversation que les interactions calamiteuses qui peuvent en découler – une fois que l’IA n’est plus là pour faire filtre.
Encore une tentative désespérée de la société de l'isolement visant à nier l'évidence: les hommes sur qui reposait 90% de l'effort de drague se sont rendus compte que le jeu n'en vaut plus la chandelle. Si les femmes souhaitaient tant se mettre en couple elles feraient le premier pas comme elle le font dans tous les autres aspects de leur vie. Les petits subterfuges technologiques sont un aveu de lâcheté et accessoirement une perte de temps.