
À contre-courant du mythe du dépassement de soi et de l’injonction à entreprendre, ils transforment leur quotidien en une source de fascination et de réconfort pour des millions d’abonnés.
6 h 15 : une bouffée d’aérosol contre l'asthme avant de se brosser les dents, et le voilà prêt pour une bonne journée de travail. Bienvenue dans la vie très, très banale de Connor Hubbard, aka Hub’s life. Cet américain de 29 ans, employé de bureau dans une entreprise d’assurances à Dallas, filme son quotidien et romantise la routine de son job ennuyeux sur les réseaux sociaux. Et la recette fonctionne : la vie ordinaire de Connor Hubbard passionne 1,3 million d’abonnés sur Instagram et près de 815 000 sur TikTok.
SUV-boulot-dodo
Embouteillages, plats réchauffés au micro-ondes, ascenseur de service… Le Texan n’épargne aucun détail de son quotidien à sa communauté. En revanche, son talent est de rendre chacun de ces gestes terriblement apaisants, réconfortants même. Dans une ambiance ASMR, il affiche un visage parfaitement neutre, sans aucune parole. Il joue ainsi avec les codes de la série Severance, dans laquelle une puce cérébrale dissocie vie professionnelle et personnelle, créant deux identités distinctes. « 12 h : je sors de la salle de Severance », écrit-il sans que l’on sache s’il s’agit d’une blague.
Vivre comme dans Severance
Les abonnés de Connor se divisent en deux catégories : ceux qui pensent qu’il vit un rêve, et ceux qui estiment au contraire qu’il se trouve dans une boucle temporelle infinie et cauchemardesque. « Le son du clic de la feuille de calcul Excel est tellement réel… », s’angoisse un abonné. « C’est la vie la plus merdique que j’ai jamais vue », commente Jason qui juge qu’une telle existence « aspire l’âme ».
À l’inverse, de nombreux abonnés trouvent dans ces vidéos une vraie source de joie et de réconfort. « Le mec a littéralement une vie de rêve », écrit un fan. Dans un monde en proie aux crises, où tout le monde devient solopreneur, la sérénité au travail affichée par Hub’s life semble en effet salvatrice pour une partie de son public. Beaucoup de ses abonnés (souvent des hommes, dans la trentaine) se disent hypnotisés par ces petits instants sublimés. D’autres assurent même pleurer d’émotion en regardant ses vidéos.
« C’est OK, si tu ne voyages pas partout dans le monde »
Avant de devenir “Monsieur Normal”, Connor Hubbard a pourtant tenté l’aventure entrepreneuriale comme vidéaste indépendant, attiré par la liberté d’une vie en free-lance. Mais il s’est vite ravisé : sa passion était moins amusante lorsqu’elle était devenue son boulot. Depuis, il dissémine inlassablement les mêmes messages à travers ses vidéos : « C’est OK, si tu ne voyages pas partout dans le monde », écrit-il dans une story où on le voit pénétrer dans l’ascenseur du bureau.
L’influenceur salarié désabusé, une figure de plus en plus en vogue
Sur les réseaux sociaux, les adeptes de la vie normale se multiplient. Les hashtags #officeroutine ou #growingup sont, par exemple, repris par Georgia Wellman, la version féminine de Hub’s Life qui filme, elle aussi, son SUV-boulot-dodo. Elle propose des vidéos ASMR relaxantes, du type « en allant au travail avec moi ».
En France également, quelques influenceurs s’y mettent. Dans un ton plus cynique et désenchanté, michou_bidoo documente son quotidien en entreprise, à l’opposé des influenceurs de LinkedIn qui soignent leur image. Le jeune homme se définit comme un « esclave corporate sans la moindre ambition professionnelle ». « Certes, j'ai un job de bureau sans intérêt, mais au moins ça m'apporte de la stabilité », résume-t-il dans une vidéo. Avant de conclure : « On ne peut pas tous faire un métier passion. »
Attention, l'expression « C’est OK, si tu ne voyages pas partout dans le monde » peut se comprendre de 2 façons totalements différentes :
- c'est ok, à condition de ne pas voyager partout dans le monde
- c'est ok de ne pas voyager partout dans le monde
La virgule envoie vers le premier sens, le contexte de l'article vers le second.
Alors ? on fait des jeux de mots ?
En vrai, sah l'humour, quand j'ai lu le titre, j'ai eu la barre tellement la vanne était bonne.