Une figurine seule à gauche et un groupe de figurines à côté

L'invidualisme est mort ? Vive l'ère du collectif post-individualisme !

© Etatics

Ce n’est plus seulement le nombre de vos abonnés qui compte, mais l’influence de votre communauté. « Un nouveau niveau de chimie qu’on découvre à peine », selon le très stimulant Yancey Strickler.

Cet ancien journaliste musical connaît bien la force du collectif. Kickstarter, la plateforme de financement participatif, c’est lui qui l’a cofondée en 2009. Convaincu que nous ne sommes que dans les premières phases d’une évolution d’une créativité décuplée par Internet et les effets de groupe, Yancey Strickler a également cofondé Metalabel en 2022, « un nouvel espace où les créatifs coopèrent au lieu de rivaliser. » Mais en parallèle de sa vie d’entrepreneur, Yancey pratique ses premières amours. Il écrit et produit des essais très éclairants sur la culture numérique, créant des concepts comme le « bentoisme », la « dark forest of the Internet », et plus récemment le « collectif post-individualisme ». Depuis ses bureaux new-yorkais, il nous en dit plus sur ce dernier concept qui anime tous ses projets – et demain, toute la société ?

Vous trouvez vraiment que notre époque nous permet d’être plus créatifs que jamais ?

Yancey Strickler : Bien sûr. D’ailleurs le concept même de créativité est très récent. Il a été inventé dans les années 50 via des fonds du département de la défense des USA. Les leaders américains cherchaient des personnes qui pensent différemment car ils étaient inquiets de la compétition avec l’union soviétique. Ils ont donc étudié les artistes et sont arrivés avec cette théorie, cette idée de créativité, que certaines personnes ont et qui leur permet de voir des choses nouvelles. Ils ont vu ça comme une sorte de génie pouvant être enseigné, et l’écriture créative est entrée dans le système éducatif américain. On a voulu élever des citoyens créatifs pour la première fois, comme un objectif national, et ça a outrageusement bien marché. Mais personne ne réalise ça, et nous sommes toujours dans cette trajectoire.

Dans cette survalorisation du génie individuel de chacun, vous écrivez que nous entrons dans l’ère du « post-individualisme », où c’est le groupe auquel on appartient qui compte. Est-ce la fin de l’individualisme ?

Y. S. : Ça rejoint ce que j’ai écrit sur la « dark forest of the Internet », qui dit qu’on ne se sent plus à l’aise pour partager notre vrai moi sur des canaux publics. À la place, on se retire dans des canaux plus privés où on peut être plus vrais, ou au contraire plus jouer sur les identités. Et ce genre d’isolement engendre des différences, de la même manière que les îles Galapagos ont chacune leur propre écosystème, leur propre biodiversité. Chaque groupe de discussion, chaque communauté, chaque « dark forest » est son propre écosystème. Ça casse la monoculture. Et les structures sociales que nous créons là-bas, le changement des modes de pouvoir qui s’y joue, seront selon moi la force sociale dominante du 21ème siècle. Des petits groupes de personnes alignées par Internet. Mais ça reflète une vérité profonde en nous : Internet n’a pas créé ça, il l’a révélé.

Internet nous révélerait à la fois de nouvelles communautés et nous permettrait de mieux documenter notre intimité ?

Y. S. : J’ai toujours pensé que le terme métavers était faux, parce que “meta” veut dire en dehors. Je préfère parler de « mésavers », pour “à l’intérieur”. Parce que les choses qu’on écrit sur Reddit, ou dans un groupe de discussion, sont des choses qu'on aurait autrefois juste pensées de manière privée, ou à la limite qu’on aurait écrites dans un journal personnel. Mais Internet permet à ces pensées privées d’être partagées, et elles sont ensuite connectées avec les mêmes pensées privées d’autres personnes. C’est comme un nouveau niveau de chimie qu’on découvre à peine et personne ne peut anticiper les directions que ça va prendre.

Le collectif post-individuel que vous décrivez répond-il aux mêmes dynamiques que celui d’un banc de poissons qui semble agir comme une seule entité ?

Y. S. : Je pense que chacun d’entre nous est déjà quinze poissons en même temps (rires). Donc tout le monde avance un peu en stop motion, en fonction des groupes dans lesquels on retourne. Mais on va commencer à réaliser le pouvoir qui existe pour nous quand on fait partie de ces petites conspirations, que ce soit à un petit niveau avec son groupe d’amis, faire partie de Qanon ou être une Swifty et avoir permis à Taylor Swift de rester numéro un en écoutant sa musique tous les jours, ou être fan de K-pop, etc. Aujourd’hui, ces communautés sont très importantes pour les gens, pour leur sentiment d’identité. Ce sont des interactions que les gens cherchent indépendamment d’un retour financier. Elles sont basées sur l’amour, sur le statut, sur le sentiment d’appartenance.

Ce sont ces dynamiques que vous essayez de stimuler avec Metalabel ?

Y. S. : On essaye d’anticiper un monde où on est tous membres de différents petits groupes et différentes cultures. L’idée derrière Metalabel est de réfléchir comme un vieux label indie old school, composé de personnes ayant la même esthétique, venant du même endroit, ou de la même scène. Soyez prêts pour ce monde avec un million de nations.

On va donc voir plus de collectifs artistiques post-individuels émerger à l’avenir ?

Y. S. : Dans les trois à cinq ans, on va voir plus d’artistes de toutes catégories s’autolégitimer par le fait d’appartenir à des structures que ces artistes ont créées entre eux. Au lieu de tous être en compétition les uns contre les autres pour avoir son propre solo show, pourquoi ne créerait-on pas une putain d’institution dans laquelle on a tous notre propre solo show ?

Au-delà de l’artistique, peut-on imaginer un futur avec des collectifs post-individuels ayant acquis leur souveraineté ?

Y. S. : Tout à fait, et ça existe déjà dans les cryptos. On peut l'imaginer si 4chan avait un conseil de gouvernement (rires). Il y a cet exemple du collectif Trust de Berlin, ils font des super talks en ligne, et très souvent les personnes sont représentées par leur avatar. C’est très fréquent de voir une licorne et un alien parler ensemble de marxisme (rires). Au-delà de ça, il y a aussi l’exemple de Banksy qui va finir par révéler qu’il est en fait six personnes.

Comme l’inventeur du Bitcoin, Satoshi Nakamoto…

Y. S. : Exactement.

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