
Après le succès du Jeu de la Dame sur Netflix, les échecs se sont offert de nouveaux ambassadeurs grâce aux formats courts et à YouTube.
Depuis quelques mois, Achille trouve agréable le RER francilien pour rejoindre son entreprise de consulting. Jusqu’ici, le trentenaire grappillait quelques minutes de sommeil supplémentaires ou scrollait, le regard éteint, les réseaux sociaux. Désormais, il a son nouveau rituel : deux ou trois parties d’échecs en ligne et des résolutions de problèmes sur le jeu vieux de 1 500 ans.
« Je m’y suis mis quand j’ai vu des potes commencer à devenir addicts, raconte ce jeune actif légèrement dégarni. Je trouvais ça has been, mais à force d’en parler avec eux, j’ai vu des vidéos d’échecs. Et j’ai eu envie de me lancer. »
Achille a surtout été impressionné par la vitesse de réflexion de Julien Song, qui détaille sa pensée dans des parties qu’il partage. Entre ses tournois face aux plus grands joueurs du monde, il lance régulièrement des séries pédagogiques pour débutants. Son explosion vient surtout d’Instagram et TikTok, où ses contenus courts aux millions de vues décryptent aussi bien une série de coups que son quotidien de joueur.
Le grand maître Inoxtag
Julien Song apparaît aussi chez des influenceurs plus classiques. En février 2025, Inoxtag a fait appel au jeune maître international pour commenter un tournoi de personnalités, mêlant Maxime Biaggi, Domingo ou Hugo Décrypte. Une deuxième édition est prévue. Alice Brunswick y participera. Cette influenceuse aux 70 000 abonnés sur Instagram n’était « pas destinée aux échecs », selon elle. Sur ses réseaux, elle prône la poursuite de “quêtes secondaires”, qui paraissent inatteignables à première vue : un marathon, lire davantage et progresser aux échecs. « Le côté inaccessible du jeu m’a intéressé, raconte-t-elle. Je pensais que c’était un jeu un peu austère et je me suis rendu compte qu’on peut vraiment s’amuser, sans chercher à devenir la meilleure du monde. »
La jeune créatrice de contenus passe désormais trois heures chaque jour à s’entraîner. Et raconte ses difficultés, ses doutes et ses victoires dans des formats courts et dynamiques. « Tous mes amis y jouent maintenant et j’ai reçu plein de messages d’abonnés qui me disaient qu’ils s’y étaient mis grâce à moi », savoure-t-elle. « Il y a une vraie mode des échecs en ce moment, en ligne ou dans la vraie vie. » Le succès de son club de chess-running, une course en groupe suivie de parties d’échecs, en est la preuve.
Une image élitiste gommée par les réseaux
Les chiffres prouvent cet engouement, lancé par le succès du Jeu de la Dame en 2020. Mais, depuis trois ans, l’explosion n’en finit plus, avec le passage de 50 000 à 80 000 licenciés, record historique en France. Plus de la moitié a d’ailleurs 12 ans ou moins.
« Mais depuis deux ans, on touche de nouvelles populations », tempère Eloi Relange. « On voit arriver des 30-40 ans qu’on ne voyait pas avant parce qu’on ne commence traditionnellement pas les échecs à cet âge-là. Mais, avec les réseaux, on se lance sans être très fort et sans honte. »
Car les échecs se jouent désormais partout, sur son ordinateur ou son téléphone. Chess.com, leader du marché en ligne, compte 200 millions de membres, et participe pleinement à cette démocratisation. « Le fait que ce soit si accessible, ça a vraiment gommé l’image élitiste du jeu », juge Eloi Relange. « La réalité, c’est que c’est devenu un jeu très populaire, joué par tous les âges et toutes les catégories socioprofessionnelles. Et les réseaux sociaux ont vraiment leur importance là-dedans avec tout un écosystème. » En témoigne Achille, notre joueur du métro, qui n’a jamais joué sur un vrai échiquier mais progresse grâce aux contenus en ligne.
« Je regarde régulièrement des vidéos d’ouvertures (les premiers coups d’une partie) pour ensuite les tester sur Chess.com. Il y a plein de situations de jeu que je vois sur TikTok, que je réussis moi-même en partie et qui me font progresser. Et ça me donne encore plus envie de jouer. » L’effet boule de neige reste en revanche cantonné à la gent masculine avec seulement 20 % de licenciées. « C’est un peu plus en ligne », juge Eloi Relange, même si aucun chiffre ne le confirme.
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