
Aux États-Unis, les laboratoires spécialisés ciblent la génération Z en usant de « pitch commerciaux louches ».
Elles ont la vingtaine et tombent régulièrement sur les vidéos TikTok de jeunes filles recourant aux services de cliniques de fertilité ou sur des contenus racontant la grossesse par insémination de la star de téléréalité Lala Kent. Inquiète à l'écoute des messages martelés dans ces vidéos, Brenna Carney – Texane de 27 ans que la question de la fertilité n'avait jamais effleurée – s'est ainsi fait orienter en 2022 par son médecin traitant vers un centre spécialisé dans la reproduction. Un cas loin d'être isolé.
Entre 2012 – date à laquelle l'American Society for Reproductive Medicine (ASRM) lève l'étiquette « expérimentale » de la congélation des ovules – et 2020, le nombre des procédures a augmenté de 400 % aux États-Unis, indique la Society for Assisted Reproductive Technology. Initialement, l'ASRM recommandait la congélation des ovocytes uniquement pour les femmes subissant des traitements médicaux affectant leur fertilité. Depuis que l'ASRM a reconnu en 2021 « l'envie de retarder la procréation » pour toutes, les procédures de congélation d’œufs aux États-Unis ont encore augmenté de 20 % en un an. Désormais, les cliniques misent sur des plateformes comme TikTok et Instagram pour attirer une clientèle de plus en plus jeune, et véhiculer un message clair : il n'y a pas de temps à perdre. Et pour cela, les centres usent de ce que Business Insider qualifie de « pitch commerciaux louches ».
La congélation au secours du réarmement démographique
« Ce que nous commençons à voir, c'est une surexploitation de la congélation des ovules en tant que solution technologique commercialisée et potentiellement utile à toutes les femmes, alors que cela devrait être une solution de secours », a rapporté Zeynep Gurtin, sociologue et maître de conférences à l'Institut pour la santé des femmes de l'University College de Londres. Dans une étude de 2020, Emily Tiemann, alors responsable des politiques réglementaires à la Human Fertilisation and Embryology Authority au Royaume-Uni, s'est penchée sur les stratégies marketing des entreprises de congélation d'œufs. Elle rapporte que les cliniques usent régulièrement d'un langage évoquant plutôt l'écosystème des applis de rencontre que celui du monde médical : « tu n'as pas trouvé le bon partenaire », « tu attends Mister Right » et « tu veux prendre le contrôle de ta vie ».
En 2018, Kindbody, une entreprise de congélation d'ovocytes financée grâce au capital-risque, a lancé sa première clinique « boutique » à New York. En 2020, la société a voyagé dans tout le pays à bord d'une camionnette très compatible avec Instagram pour proposer des tests hormonaux gratuits, destinés à vérifier la fertilité et proposer ses services. Une autre clinique de fertilité bien connue, Trellis Health, se surnomme « l'équinoxe de la congélation des ovules », clin d'œil à la chaîne de salles de sport de luxe à 385$ par mois, populaire parmi les millennials. Plusieurs entreprises se sont associées à des stars des médias sociaux pour tirer parti de leur portée. Alex Stewart, une influenceuse âgée de 35 ans à l'époque, s'est vu offrir une réduction importante par le programme de préservation de la fertilité Ova pour partager son expérience avec son public sur Instagram et ses podcasts. De même, Serena Kerrigan, une créatrice de contenu de 28 ans, a décidé de congeler ses ovules avec Spring Fertility à New York après l'avoir approchée pour une collaboration payante sur Instagram, rapporte Business Insider.
« Ne vous sentez pas obligée de vous précipiter dans une relation cette année »
D'autres entreprises ont ciblé les femmes dans la vingtaine, avec des articles sur leurs blogs et sur les réseaux sociaux qui vantent « avoir des enfants à VOTRE rythme » et disent : « Ne vous sentez pas obligée de vous précipiter dans une relation cette année ». En 2022, les startups de technologie de fertilité ont levé 855 millions de dollars, selon PitchBook, soit une augmentation significative par rapport aux 306 millions de dollars levés en 2017. Et au cours de l'année 2023, Kindbody a augmenté ses revenus de 50 % pour atteindre environ 180 millions de dollars.
De concert, cliniques et jeunes influenceuses font fi de quelques paramètres : la procédure est onéreuse, les chances de succès varient considérablement, et l'idée selon laquelle il est toujours préférable de procéder plus tôt n'est pas clairement étayée par la recherche. D'après Jamie Grifo, directeur de programme du Langone Fertility Center au NYU, le meilleur moment pour congeler ses ovules serait, il est vrai, dans la vingtaine ou au début de la trentaine. Notons tout de même que Jamie Grifo est aussi médecin en chef d'Inception Fertility, clinique spécialisée dans les techniques de fertilité. Aux États-Unis, il faut compter en moyenne 8 000 $ par procédure, entre 2 000 $ et 5 000 $ pour les injections d'hormones, et entre 400 $ à 800 $ par année de stockage. D'après Business Insider, la procédure n'est quasiment jamais remboursée, sauf dans le cas d'une chimiothérapie ayant mis en danger la fertilité du patient, et certains employeurs (Meta, Apple...) prennent en charge jusqu'à 20 000 $ pour la congélation des ovules.
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