
Le #jailtok sur TikTok cumule près de 2,9 milliards de vues. Et au Royaume-Uni, on trouve que ça commence à faire beaucoup.
Le 4 mars dernier, le Parlement britannique discutait d’un projet de loi s’attaquant directement au "Jailtok", ces contenus montrant la vie derrière les barreaux que des détenus publient sur Tiktok et Instagram
Qu’ils soient emprisonnés ou non, ceux qui partagent ces vidéos ou ces photos prises dans des établissements pénitentiaires s’exposeraient désormais à des peines de prison ainsi qu’à des amendes. Les parlementaires anglais entendent également responsabiliser les plateformes en les obligeant à retirer plus rapidement ces contenus.
Ce projet de loi intervient après une année marquée par le scandale des vidéos TikTok dites “HMP Butlins”. “HMP” signifie His Majesty’s Prison – les prisons de Sa Majesté – tandis que Butlins fait référence à une célèbre chaîne de stations balnéaires anglaises. Et pour cause, ces vidéos TikTok, supprimées depuis mais qui cumulaient des millions de vues, montrent des prisonniers hilares en train de prendre des shots de Tequila à Noël, de fumer des joints dans les parties communes ou de jouer avec un casque de réalité virtuelle depuis leur cellule. Dans une des vidéos publiées par The Sun, un détenu affiche même fièrement une collection d’Iphone à faire pâlir un trader de la City.
Selon le ministère de la Justice britannique, ces cas ne sont pas isolés puisque le nombre de contenus préjudiciables découverts en ligne par le HMPS (His Majesty's Prison Service) a été multiplié par trois entre 2022 et 2023.
Des vidéos de détenus pas si anodines
Et ces vidéos ne sont pas sans conséquences, certaines mettent en danger la sécurité du personnel pénitentiaire en dévoilant leur visage ou même leur identité tandis que d’autres montrent des détenus s’en prendre violemment à d’autres détenus sur fond de guerres de gang.
Le 26 février 2024, lors des débats au Parlement anglais, le député conservateur Paul Howell a rappelé également que ces contenus publics étaient susceptibles d’alimenter le traumatisme vécu par des victimes ou leurs familles. Le représentant du comté de Durham a cité notamment l’exemple de Zoey McGill, une mère de famille qui a découvert, en 2024, une vidéo sur TikTok de l’assassin de son fils en train de rapper. Dans cette vidéo publiée par le Daily Mail, le jeune homme, en T-shirt Versace, dit être un “G” – un gangster – qui se moque de la justice et de sa peine, le tout sur un beat UK drill.
Un projet de loi qui pose question
Mais supprimer tous ces contenus paraît illusoire. Si les plateformes affirment travailler main dans la main avec les autorités, elles peinent à endiguer le phénomène qui connaît une grande popularité en ligne depuis de nombreuses années.
Le #jailtok sur TikTok cumule près de 2,9 milliards de vues et certains comptes Instagram, qui reçoivent et publient des vidéos et photos venues des prisons du monde entier, réunissent des centaines de milliers d’abonnés. C’est le cas notamment du compte @prison000 qui, entre le tuto d’un français pour faire de l’alcool dans sa cellule et une photo de détenus pakistanais jouant au badminton, publie des vidéos de prisonniers anglais depuis la France. De quoi donner du fil à retordre aux autorités britanniques…
Enfin, cette chasse au “Jailtok” outre-manche pose question à l’heure où le pays connaît une surpopulation carcérale sans précédent et un manque criant de personnel. Outre les soirées arrosées et les tutos de cuisine, ces contenus permettent bien souvent d’alerter l’opinion publique sur les conditions de détention. Récemment, les vidéos publiées par les détenus de l’Alabama sur TikTok ont permis de documenter auprès du ministère de la Justice américain le manque de soin, la surpopulation et la violence endémique dans les prisons de l'État.
Si elle est votée, cette loi pourrait permettre de museler d’éventuels lanceurs d’alerte alors même que le Guardian révélait en octobre dernier que les juges anglais avaient été invités à retarder l’emprisonnement de criminels, y compris des violeurs. Objectif : ne pas surcharger les prisons de Sa Majesté, déjà au bord de l’implosion…
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