
Depuis que Trump II a rendu les idées néoréactionnaires mainstream, Dimes Square a perdu de son caractère transgressif. Est-ce que le Dark Maga pourrait virer à gauche ?
« Dimes Square est mort » ! Cette ritournelle revient sans cesse, et elle est sans doute vraie pour ce qui est de sa V1 de 2020. Car cette scène artistique de junkies drogués à la post-ironie d’Internet ne cesse de mourir et de renaître. Mais depuis que Trump est revenu au pouvoir et met en application les idées autoritaires de Curtis Yarvin, la vibe autour du fascisme est un peu passée de mode chez ces avant-gardistes qui aiment ne rien faire comme tout le monde. Se prétendre fan de Hitler a perdu son côté subversif. Même les marques s’y mettent. On l’a vu avec la polémique de l’été 2025 autour de la pub pour les jeans American Eagle présentant l’actrice Sydney Sweeney, si blonde avec ses yeux si bleus, qui risquait un jeu de mots eugéniste : « Sydney Sweeney has great jeans » qui s’entend comme « Sydney Sweeney has great genes. »
Dès le mois de mai 2025, les membres de Dimes Square s'amusaient à prétendre que certains d’entre eux étaient morts : « Chloe Wheeler a brûlé vite et fort. Une actrice, muse, et vecteur de chaos, Chloé n’a jamais choisi entre l’art et la fête. [...] Elle est morte à Los Angeles sur le tournage d’un film expérimental impliquant de la kétamine ». Sovereign House, le QG de la scène, a fermé ses portes, les cryptobros se sont fait arnaquer par Trump, les autres bros sont partis camper à Washington pour tenter de gratter quelques miettes… et des casquettes siglées Dark Woke ont fait leur apparition à New York, sur la tête de membres de la scène se réclamant d’une gauche hétérodoxe. Si les factions les plus radicales sont toujours bien actives, beaucoup ont été surpris de voir une partie d’entre eux soutenir avec force le candidat musulman et démocrate Zohran Mamdani à la mairie de New York, ou supporter la Palestine et l’Ukraine. Si le Dark MAGA était selon toute vraisemblance inspiré par le Dark Enlightenment de Curtis Yarvin et Nick Land, certains tentent désormais de pousser le Dark Woke – un contre-mouvement qui s’oppose au Dark MAGA mais reste tout aussi ironique.
Sweetychat & bulles épistémiques
Incarné à New York par le journaliste Mike Crumplar, le photographe Nick Dove, ou encore le polymathe et fin analyste des cultures numériques Matthew Donovan, le Dark Woke se répand en partie via un groupe chat de 250 personnes créé par Matthew et nommé Sweetychat. Il organise des readings et autres évènements pour tenter de revenir à des idées plus à gauche. Pour y parvenir, Matthew veut s’infiltrer dans ce qu’il appelle des « bulles épistémiques ». Il s’agit d’embrasser la bulle de filtre de droite pour mieux en comprendre les mécaniques, métaboliser ses erreurs de pensée pour les combattre de l’intérieur en révélant leur stupidité. Connaître son ennemi, donc, mieux que soi-même, et utiliser ses armes. « J’étais un soir à Sovereign House, avec la designeuse de mode Elena Velez, quand un gars de droite nous a parlé de cet endroit au Honduras, Prospera, où des gens riches s’exposent à des recherches médicales préliminaires. C’est la forme de décadence la plus hilarante que j’aie jamais entendue. En gros, ils s’exposent juste à des recherches dangereuses. C’est pour ça que j’aime avoir ce type de conversations. Elles permettent de troller les gens ayant des opinions différentes – si tu sais en rigoler. Embrasser la bulle épistémique est fun, il y a beaucoup plus de choses sur lesquelles se faire les dents, plus à apprendre. On vit une époque où les gens ont des perspectives si diverses, plus tu les écoutes, plus tu métabolises, et tu peux mieux challenger ce que les gens racontent. »
Vibe game & retard
Si le Dark Woke reste une sorte de blague, le concept grossit et cherche la provocation pour attirer l’attention, en visant les émotions plus que la raison. Agir sur la vibe ambiante en trouvant une nouvelle aura, un nouveau style : certains à gauche prennent très au sérieux cette nouvelle posture. On voit apparaître les premières traces de leurs actions dans les médias, comme dans cet article de GQ qui se demande « pourquoi les gauchistes se mettent à soulever des poids », ou cet autre article de Vulture disant que les comédiens américains de droite comme de gauche revendiquent le fait d’utiliser le mot « retard », considéré autrefois comme un « n-word », ou encore comme le New Yorker qui voit dans le troll de Dimes Square 1.0 Adam Friedland le prochain « Joe Rogan de gauche ». Le Dark Woke pourrait être une nouvelle stratégie pour pousser la gauche vers la radicalité. Est-ce que cela signifie que Dimes Square est mort ? Rien n’est moins sûr. Mais cela présage de futures joutes entre deux camps qui utiliseront désormais la même culture du mème.






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