
Alors que l’idée d’interdire l’accès aux réseaux pour les moins de 15 ans se précise en Europe, on a voulu savoir ce que ça fait de grandir sans plateformes sociales au collège. Témoignage.
En stage d’observation au sein de la rédaction, Camille nous a raconté qu’elle n’était pas encore sur les réseaux sociaux et qu’elle attendait avec impatience de pouvoir y accéder. En tant que représentante minoritaire dans sa classe d’âge, Camille est allée à la rencontre d’autres camarades afin de recueillir leur témoignage et de confronter son expérience.
« C’est quand que tu as les réseaux, Camille ? » Voilà la phrase que j’ai le plus entendue au collège. J’ai 13 ans, bientôt 14, et je ne suis pas sur les réseaux sociaux, comme 24 % des jeunes en France en 2025, d’après l’étude Born Social parue en septembre 2025. Mes parents m’ont interdit l’accès aux plateformes sociales, car c’est un peu la « tradition de la famille » : comprenez ici que l’accès aux plateformes sociales n’est pas autorisé avant le Noël de 3e. Mes ami(e)s, en revanche, ont eu les réseaux sociaux assez jeunes, comme 76 % des jeunes en France en 2025. Snap, TikTok, Insta, ils s’y sont connectés depuis la sixième, voire depuis le CM2 pour certains.
Mieux dormir mais perdre sa meilleure copine
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, je n’ai pas l’impression de l’avoir mal vécu, même si ça ne laissait pas mes camarades indifférents. Au début du collège, tout le monde me vannait gentiment. On me disait que « j’étais en retard » ou « que j’étais une alien ». En dehors de ces remarques, j’observe des petites différences : j’arrive à mieux m’organiser et j’ai l’impression d’avoir plus confiance en moi, car je compare moins mon corps à celui des autres. J’ai aussi l’impression que mon cycle de sommeil est plus régulier que celui de mes ami(e)s. À chaque fois que mes potes dorment en cours, c’est parce qu’ils ont passé la nuit à scroller ou à discuter.
Cette absence a toutefois joué un rôle dans l’éloignement que j’ai vécu avec ma meilleure amie. Sa connexion aux réseaux et son implication dans les tendances ont créé un fossé entre nos centres d’intérêt et la culture que l’on pouvait partager. Quand je venais dormir chez elle, elle passait beaucoup de temps sur les réseaux et me montrait des références que je n’avais pas, sans vraiment me les expliquer. Quand on mangeait ensemble, elle s’imposait un régime avec de la nourriture qu’elle jugeait « saine » pour être une « clean girl ». Elle voulait absolument voir les films tendances sur les réseaux au cinéma, même si elle n’aimait pas ce genre de films ou que ce n’était pas trop de son âge, comme Les Trois Mousquetaires de Martin Bourboulon, qu’elle est allée voir alors qu’elle déteste les films de cape et d’épée.
Après toutes ces années sans réseaux sociaux, je suis à la fois impatiente et un peu inquiète de pouvoir utiliser les réseaux librement. J’ai l’impression que je vais être un peu comme tout le monde et, en même temps, je crains de perdre ma personnalité ou bien d’être plus fatiguée et moins concentrée. Heureusement, l’excitation de voir, d’apprendre et de faire de nouvelles choses prend le dessus sur mes inquiétudes.
Je veux discuter plus librement avec ma copine au Québec
« C’est mes parents qui ne me laissent pas avoir les réseaux, parce qu’ils estiment que je n’en ai pas besoin et que c’est dangereux pour mon âge, et je suis plutôt d’accord avec eux, donc il n’y a jamais eu de tensions sur ce point-là », raconte de son côté Aube, une fille de 14 ans qui a déménagé du Québec en France l’année dernière. Si cette absence de présence en ligne ne lui a pas coûté en amitiés, elle ressent elle aussi ce petit décalage avec le groupe : « Mes amis s’en fichent un peu que j’aie les refs (les références) ou pas, donc je ne me sens pas exclue, explique-t-elle. Mais je sens quand même une différence avec ceux qui sont connectés, notamment les filles qui se maquillent de différentes manières ou qui font des achats compulsifs, comparé à moi qui ne me maquille pas du tout et qui n’achète rien. » Pour le moment, elle ne sait pas quand elle pourra se connecter aux réseaux et, si elle déclare ne pas être vraiment pressée, elle a quelques attentes. « Je ne pense pas que cela va m’apporter quelque chose ou me rendre plus heureuse, explique-t-elle. En revanche, j’aimerais trop avoir Insta pour discuter plus librement avec ma meilleure amie qui vit au Québec et voir plus simplement ce qu’elle fait, au lieu de discuter sur WhatsApp, où j’ai un contrôle de temps et où elle est moins connectée. »
« La situation m’énerve un peu »
Cette interdiction d’accès aux réseaux n’est pas toujours aussi bien acceptée. C’est ce qui se passe avec Anouk, 14 ans, qui s’impatiente devant les précautions prises par sa mère. « Mes parents trouvent que c’est très dangereux pour mon âge et ils ne veulent pas que je tombe sur des personnes mal intentionnées ou que je devienne accro en scrollant des heures et des heures », indique-t-elle. « La situation m’énerve un peu, car je n’ai pas envie de me disputer avec ma mère et, en même temps, ça complique les choses avec mes copines, poursuit-elle. Les trois quarts ont les réseaux Insta, TikTok, Snap, donc je ne peux pas trop communiquer avec elles et la plupart des refs, je ne les ai pas, donc ça exclut un peu quand même ». Résultat, Anouk est très pressée de pouvoir enfin se connecter : « J’ai envie de pouvoir partager des trucs avec mes amies, suivre de nouvelles connaissances sur leur Insta ou bien être dans le groupe Snap de la classe, que tout le monde préfère au groupe WhatsApp. J’ai envie d’avoir les références, de partager des photos, des vidéos, de discuter avec mes ami(e)s, de faire les flammes, etc. »




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