Un homme et une femme debout devant un cadavre

« Depuis les élections, j'ai pris un amant »

© The Lobster

La période électorale a été compliquée, et pour eux tout particulièrement.

Depuis la dissolution théâtrale de l'Assemblée, rien n'est plus exactement comme avant. L'air est un peu plus électrique, les silences un peu plus lourds. Au Parlement pour commencer, mais aussi dans le petit appartement lillois de Manon* et Baptiste*, mariés depuis 7 ans. Ici, la tension pourrait se découper au couteau. Ou comment la montée du RN, les bombardements à Gaza, et parfois même les Jeux olympiques, ont contribué à entamer leur relation.

« Cela me fait du bien de jouir avec quelqu'un qui déteste aussi notre Président »

« On s'est retrouvés après le boulot au bar en bas de chez nous pour boire une bière et décompresser. On avait tous les deux eu une longue journée "au bureau", et la terrasse était tout ensoleillée. Et évidemment, vu l'actu, on s'est mis à parler politique, Macron, La France Insoumise... » Manon, 39 ans, institutrice, ébauche une grimace. « Grossière idée. » Un verre, puis deux. Selon Manon, Baptiste avait toujours eu « un petit côté François Fillon » qu’elle avait toujours « réussi à mettre de côté ». Jusqu'à aujourd'hui. « Mais là, il s'est lancé dans une tirade sur les soi-disant incivilités, comme si c'était ça le problème en France aujourd'hui, les poubelles cramées en manif, les abris de bus détruits inutilement (ndlr : avec ses doigts, Manon dessine dans l'air des crochets), les policiers qui ne faisaient que leur boulot... Je l'ai regardé, et je me suis presque senti sortir de mon corps et me dire clairement : « Okay, je l'aime, mais je déteste ça chez lui. La prochaine, je ne vais pas me retenir. Et c'est ce que j'ai fait. »

La prochaine fois, c'est-à-dire lors de sa prochaine rencontre avec Arnaud*, qu'elle connaît depuis 3 ans. En fin de soirée, l'instituteur dont la classe partage un mur avec la sienne lui propose pourtant régulièrement de prolonger la soirée : un verre chez lui, une balade dans le parc à côté... « Pour le dire clairement, depuis les élections, j'ai pris un amant. Tout ce qu'Arnaud me disait pendant cette période m'a tellement énervée, dégoûtée, qu'il m'a semblé vain et absurde de me refuser ce truc. C'est ce qu'il me fallait pour supporter ce genre de sorties. Mais s'il y en trop dans le genre, je sens que les 5 à 7 (ndlr : dans la voiture de l'instituteur ou à l'Ibis du coin) vont se multiplier. » Pour l'instant, tout ceci lui « réussit plutôt bien », Manon n'a pas prévu d'arrêter sa liaison. Elle tient fermement à leur vie, leur fille de 8 ans, leur appartement décoré de leurs souvenirs de voyage : une estampe ramenée de leur séjour à Bombay, quelques coquillages de la plage de Saint-Malo. « Mais sérieusement, cela me fait du bien de jouir avec quelqu'un qui déteste et méprise aussi notre Président. »

3h du matin, une assiette vole, une porte claque

Toutes les histoires ne se terminent pas dans le même frisson orgasmique. Pour Thibaut*, cuisinier, et Estelle*, notaire à Dijon, la tension est passée de 0 à 100 en quelques jours seulement. « Ce n'est pas qu'on ne partage pas le même avis, c'est qu'Estelle n'a pas d'avis sur de nombreux sujets qui me tiennent à cœur. Parce que la politique ne l'intéresse pas. Ou alors de très loin. Et avec tout ce qui se passe, je ne le supporte plus. » Entre eux, les fissures commencent avec le génocide en cours à Gaza. « Je me souviens de mon angoisse, de ma colère, de ma profonde tristesse, et c'était très dur de ne pas pouvoir en parler avec ma copine, avec qui j'habitais. Au bureau, entre deux réunions, je suivais le déroulé des opérations, les bombardements d’hôpitaux... Je rentrais chez moi noué, et quand j'essayais d'aborder le sujet, Estelle faisait la sourde oreille, j'avais l'impression d'être face à un mur. » La pression monte encore d'un cran avec les récentes élections. Inquiet et remonté, Thibaut ressent l'envie de rejoindre un collectif militant qu'il suit depuis longtemps sur Twitter.

« Je ne veux plus me contenter de voter. Je ne crois pas que c'est inutile, mais je pense que cela ne suffit pas. J'aurais aimé partager ça avec elle... J'ai abordé le sujet plusieurs fois. J'ai essayé à maintes reprises de comprendre comment elle voyait les choses. Avant, je pensais qu'elle ne voulait pas parler de ces sujets sensibles pour se protéger, maintenant je crois que c’est tout simplement car elle s'en fout. Sous prétexte de "profiter de la vie", carpe diem ou je ne sais quoi, elle est assez égoïste. » La dernière tentative de discussion a été timidement initiée par le jeune homme autour d'un plat de raviolis aux champignons. La discussion commence à 21h, et se termine à 3h30 du matin. Entre-temps, l'assiette de raviolis qui n'a jamais été terminée a fini en morceau dans l'évier. « Rien de très dramatique, je l'ai posé violemment quand j'ai commencé à faire la vaisselle. Estelle est partie en claquant la porte. C'était il y a 12 jours. On ne s'est pas parlé depuis. Et je crois que c'est mieux comme ça. »

« Je veux aussi qu'on me fiche la paix »

Tout le monde ne peut s’enorgueillir d'avoir gagné au change. Antoine*, 47 ans, ne supporte plus de se faire « asticoter » par sa femme Anne* et leur fils adolescent. « Je comprends qu'on s'intéresse, c'est normal, mais à un moment, on ne va pas passer son temps à examiner ce qu'il se passe dans le monde. Il faut aussi se concentrer sur ce qu'il se passe chez soi. On a aussi nos responsabilités, notre travail... Moi je veux bien me préoccuper du sort des Ouïghours et des ouvriers, mais à la fin d'une longue journée où j'ai été sur tous les fronts, je veux aussi qu'on me fiche la paix », affirme ce cadre sup'. Dans le tramway pour la Défense, il consulte parfois brièvement les actualités sur son téléphone, pour « se tenir au courant » et ne pas être complètement larguée à la machine à café. « Ma femme, c'est une autre histoire. » Par le biais d'un cours de peinture, Anne, fonctionnaire, a rencontré un nouveau groupe d'amis.

« Très sympa, même si je ne sais pas trop ce qu'ils font. » Depuis, Anne, qui avait toujours studieusement suivi les informations « est passé à un autre niveau. » Et c'est « pire » depuis quelques semaines. Avec leur fils, Anne est allée plusieurs fois manifester à République contre la montée de l'extrême droite. « Je ne vois pas à quoi cela sert réellement, on peut voter non ? Nous avons cette chance de vivre dans un vrai pays démocratique. » Et cela ne s'arrête pas là. À l'approche des Jeux olympiques, Anne est aussi de plus en plus remontée. Le soir au diner, elle évoque tout de go grève, blocage, gentrification. « Je veux bien, mais c'est si terrible que ça d'aller voir un match aux JO ? »

*Le prénom a été changé

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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commentaires

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  1. Avatar yuropp dit :

    "une longue journée au bureau" ? Pour deux instituteurs ?
    L'article est-il bidonné ? Ou bien font ils partie de ces "enseignants qui n'enseignent pas", en général pour faire du militantisme "aux frais de la princesse" ?

    • Laure Coromines Laure Coromines dit :

      Il me semble que l'interviewée utilise l'expression désormais usuelle de "au bureau" pour parler de manière générale de son emploi et de celui de son compagnon. À ce titre, ces mots pourraient en effet être mis entre guillemets. De là à crier à la fraude, il y a toutefois un pas de géant.

  2. Avatar Laurie dit :

    Merci pour l'article.

  3. Avatar Anonyme dit :

    Oui mais ma chérie tout le monde ne travaille pas dans un bureau comme toi. On n'est pas censé expliquer à la journaliste la différence entre deux mots.

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