Trump et Netanyahu sirotant un cocktail devant une piscine après un bon génocide

Pourquoi l’extrême droite surinvestit les images grotesques générées par IA ?

La sortie d’un film généré par IA faisant la promotion de la « Riviera de Gaza » voulue par Trump interroge le rapport du pouvoir fasciste à l’art.

Des enfants malheureux ou ensanglantés dans des décombres qui fuient devant des hommes en armes se transforment en joyeux bambins marchant le long de plages paradisiaques bordées par un panorama urbain semblable à Dubaï. Non, vous ne rêvez pas, c’est « Trump Gaza », le rêve du président américain mis en images grâce à l’intelligence artificielle.

Comme un rêve fiévreux

Dans un post publié ce 26 février sur Truth Social, le président Trump a donc montré sa vision de ce qu’il a nommé « la Riviera de Gaza », un projet évoqué lors de la visite du premier ministre israélien Benjamin Netanyahou le 4 février dernier à la Maison-Blanche. Au-delà de l’absurdité de cette idée qui projette la déportation massive de 2 millions de personnes, la vidéo générée par intelligence artificielle a de quoi nous laisser pantois.

Comme dans un rêve fiévreux, on y croise des danseuses du ventre barbues (sans doute une hallucination de l’IA), une version wish d’Elon Musk en train de manger du houmous, des ballons flottant ou des statues dorées géantes à l’effigie de Donald Trump, le président en train de danser avec un top model dans un club, ou bien en train de siroter un cocktail à côté de Netanyahou non loin d’une piscine. La musique, générée elle aussi sur la plateforme IA Suno, vante un « Trump Gaza, qui apporte la lumière et qui présente un futur brillant ». Difficile de faire plus indécent.

L'extrême droite adore l'IA

Donald Trump n’est pas la seule personnalité politique à apprécier au premier degré cette imagerie lisse et étrange que génère l’intelligence artificielle. Javier Milei, le président d’extrême droite libertarienne d’Argentine, utilise depuis longtemps des images et des vidéos artificielles comme outils de propagande. Il se présente fréquemment sous les traits d’un lion féroce (ou comme le chef d’une meute de lions) armé d’une gigantesque tronçonneuse et a même publié une vidéo mettant en scène ses opposants politiques sous la forme de zombies évoluant dans un pays en ruine.

En Grande-Bretagne, Ashlea Simon, la codirigeante de Britain First, produit des images d’hommes musulmans riant de filles blanches tristes dans les transports en commun. En France, c’est Éric Zemmour qui se targue d’avoir posté le 24 juin dernier « la première vidéo politique française entièrement réalisée avec l’IA », mettant en scène un Macron inquiétant et tout un tas de citoyens blancs ne voulant plus « avoir peur en rentrant chez eux le soir ».

Impossible de terminer cette petite sélection sans citer Elon Musk, qui publie régulièrement des images de lui-même grimé en cyber-centurion romain en croisade pour « éliminer le virus woke ».

Une telle récurrence d’usage pose question. Pourquoi les personnalités d’extrême droite utilisent-elles massivement la synthographie et la vidéo générée par IA pour communiquer ? Le premier élément de réponse, le plus évident, se situe dans la facilité d’accès aux outils de génération d’image. Dans la pure application de la doctrine de Steve Bannon, qui recommande d’inonder l’espace médiatique de « merde » , l’imagerie IA peut être produite et diffusée de façon massive. Elle ne nécessite pas d’intermédiaire artistique et permet de véhiculer de manière suffisamment précise les idées à communiquer.

Une nouvelle esthétique fasciste

L’aspect disruptif et accélérationniste de cet outil est un autre critère à prendre en compte. Si l’intelligence artificielle est adoptée par des artistes et des graphistes, la technologie est aussi perçue comme un danger pour ces métiers et tout l’écosystème créatif. S’ajoute à cela un ogre énergétique (et financier) qui repose sur le scrapping massif et gratuit du travail produit par des milliers d’artistes. Dans un essai intitulé IA : la nouvelle esthétique du fascisme, l’écrivain britannique Gareth Watkins estime que c’est justement cet aspect « dangereux », voire « cruel » qui attire l’extrême droite : « Si l’art consiste à établir ou à briser des règles esthétiques, alors l’art de l’IA, tel qu’il est pratiqué par la droite, affirme qu’il n’y a pas de règles, mais l’exercice pur et simple du pouvoir par un groupe sur un groupe extérieur. Il affirme que la seule façon d’apprécier l’art est de savoir qu’il fait du mal à quelqu’un. Cette blessure peut être directe, ciblée sur un groupe particulier (comme la propagande de l’IA de Britain First), ou elle peut être dirigée contre l’art lui-même, et par extension, contre quiconque pense que l’art peut avoir une quelconque valeur. »

L'arme du grotesque

Enfin, il faut dire un mot sur l’esthétique bien souvent grotesque de ces images synthétiques. Pour Gareth Watkins, l’extrême droite dominante actuelle fait preuve de ce qu’on pourrait qualifier de « conservatisme postmoderne ». Dans sa volonté de se débarrasser des idées des Lumières comme la raison et l’argumentation, la droite postmoderne a embrassé l’absurde trollesque que l’on retrouvait surtout sur des forums comme 4chan. De la même manière qu’un Elon Musk va user par deux fois du salut nazi pour ironiquement « offrir son cœur » à la foule, la vidéo de « Trump Gaza » nous montre une réalité grotesque et absurde dont l’objectif final est « d’éroder les fondements intellectuels de la résistance à la cruauté politique. »

L’écrivain et hacker Aaron M. Brown va au bout de cette logique dans sa newsletter Katabase. Ce dernier estime que les systèmes IA ne peuvent pas créer d’art, mais peuvent seulement reproduire de l’esthétique en se débarrassant des artistes, et c’est justement ce que recherche ce camp politique. « L’esthétique creuse est intimement liée à la montée du fascisme », explique-t-il. « Les fascistes n’ont pas de morale […] Ils prennent toutes leurs décisions pour des raisons mythologiques ou esthétiques. C’est pourquoi ils aiment l’IA moderne. Pour eux, elle représente la victoire de l’esthétique sur l’art. Le triomphe final des apparences superficielles sur le sens humain. »

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    Je remercie les auteurs de cette analyse argumentée Reste la question : comment peut s’organiser la résistance des artistes ?

  2. Avatar Anonyme dit :

    Très bon article. Il faut prévenir des dangers

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