le casting de la série Shameless

Oubliez le look : comment nos usages numériques sont devenus les marqueurs du temps qui passe

© Shameless

Pour s’apercevoir du changement d’époque dans une série télé au long cours comme Shameless, il faut moins se baser sur les vêtements portés que sur le look des smartphones et les applications installées dessus.

Regarder les premiers épisodes d’une série télé vieille de 10 ans procure toujours un petit effet de dissonance. En général, on s’aperçoit que le temps est passé grâce aux visages plus ou moins vieillissants des acteurs ainsi que par leur look vestimentaire. Mais si le phénomène est d’autant plus frappant pour les séries qui passent des années 90 aux années 2000, il l’est beaucoup moins pour celles qui se déroulent dans les années 2010 et 2020. C’est exactement ce que pointe du doigt l’auteur et tiktokeur Jason Pargin, en soulignant par exemple le manque d’évolution stylistique dans la série The Office, qui se déroule entre 2005 et 2013.

Shameless et l'Amérique des années 2010

Cette même absence visible d’évolution est particulièrement marquante dans la série Shameless, produite par John Wells et diffusée sur Showtime entre 2011 et 2021. L’histoire suit l’évolution de la famille Gallagher, un clan de white trash qui vit dans un quartier pauvre de Chicago. Tout au long des saisons, les six enfants de la famille traversent des épreuves tragicomiques et tentent de s’en sortir avec une mère bipolaire, rarement présente, et un père (joué par l’incroyable William H. Macy) toxique, manipulateur et alcoolique. Si certains éléments de l’intrigue rappellent des situations politiques et sociales américaines, comme la gentrification des quartiers populaires, la montée en puissance des questions LGBTQIA+ ou le traitement des migrants pendant les années du premier mandat de Trump, les vêtements ou les coupes de cheveux n’évoluent pas vraiment au fil des dix ans.

Du téléphone à clapet aux trottinettes électriques

Pourtant, le monde des années 2010 présenté dans la série semble bien évoluer. Sauf qu’à bien y regarder, ce ne sont pas tant les looks que la technologie et les usages numériques qui servent véritablement de marqueurs d’époque. Dans les toutes premières saisons, on peut ainsi voir le personnage de Lip (joué par un tout jeune Jeremy Allen White) utiliser un téléphone portable à clapet. Bien sûr, le premier iPhone était déjà sorti quatre ans plus tôt, mais il n’était pas étonnant de voir encore des gens avec d’antiques téléphones « 9 touches » au tournant des années 2010. Le sympathique couple Kevin et V filme ses ébats en mode sextape et diffuse le tout sur un site web dédié et payant (OnlyFans n’existe pas encore).

Dans la saison 6, qui se déroule en 2016, le même personnage voit son téléphone portable piraté et une photo de sa professeure d’université nue fuiter sur Facebook. Là encore, le choix du réseau social – qui n’était pas encore considéré comme un lieu numérique ringard – marque les esprits. Dans la même saison, Fiona, la grande sœur et mère de substitution de la famille, noie son chagrin en cumulant les matchs sur Tinder, lancé en 2012 et entré en Bourse la même année. Dans la saison 9, diffusée en 2018, toute une sous-intrigue repose sur l’arrivée des trottinettes électriques en libre-service, que le personnage de Carl récupère dans un pick-up et recharge (avec l’électricité des voisins) contre quelques dollars. Mis bout à bout, tous ces petits détails donnent l’impression que c’est finalement l’épaisseur de nos smartphones et notre immersion de plus en plus intense dans le numérique qui rythment véritablement le temps qui passe.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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