
Parmi les leviers à activer pour mener à bien la transition écologique, le biomimétisme, qui s'inspire du vivant pour développer des solutions plus durables, apparaît comme plein de promesses. Une méthode d’innovation qui doit néanmoins être accompagnée de règles éthiques claires, comme le promeut l’historien Grégory Quénet.
L’ADN est partenaire du festival Building Beyond. Organisé par Leonard, le plateforme de prospective et d'innovation du groupe VINCI, l’évènement a pour vocation à explorer le futur de nos espaces urbains. Et pour cette sixième édition, qui se tenait à Paris du 17 au 24 juin, la thématique fil rouge, « Le Futur du déjà-là », résonnait fortement avec nos obsessions éditoriales. L’occasion de vous proposer un suivi de l’évènement sous la forme de comptes-rendus de conférences augmentés du regard de nos experts invités.
S’inspirer de la nature pour innover et créer. C’est le principe au cœur du biomimétisme. Ce processus créatif mêle les disciplines pour résoudre des problèmes qui se posent à l’Homme en s’inspirant du vivant. Considéré par le ministère de la transition écologique comme l’un des leviers à activer pour contribuer « à la transition vers une économie verte en France », le biomimétisme est aussi un marché. Un marché qui pourrait peser plus de 18 milliards de dollars dans le monde d’ici à 2028, selon une étude menée par l’institut BIS Research.
L’intérêt de ce champ de recherche multidisciplinaire, Alain Renaudin l’a bien compris. À tel point que ce passionné a créé un évènement pour fédérer le secteur en France : la Biomim'expo. Sur la scène du festival Building Beyond, il a pu partager son enthousiasme pour cette « forme de redécouverte de ce modèle absolument génial qu’est le vivant pour résoudre des problèmes que l’on pose au monde en tant qu’espèce ». En insistant sur la façon dont les océans pouvaient constituer un réservoir d’inspirations à cet égard.
Le biomimétisme inspiré des océans ? Ça fonctionne !
Une vision optimiste illustrée par trois porteurs de projets qui résument parfaitement la diversité de ce qu’est le biomimétisme inspiré par les océans, mais qui n’a pas forcément convaincu l’historien de l’environnement Grégory Quénet : « C’est une notion qui pose plein de problèmes, nous confie-t-il à la sortie de la conférence. Il ne faut pas l'aborder simplement de manière un peu naïve, comme de l'éco-innovation ».
De naïveté, il n’est pas franchement question dans le projet exposé par Annette Esnault-Filet. Cheffe de projet pour l’entreprise de fondations et de technologies du sol Soletanche Bachy, elle a présenté une biotechnologie baptisée Biocalcis. En imitant les processus naturels issus des stromatolites, ces formations calcaires notamment présentes en milieu aquatique peu profond, elle permet de cimenter le sol en place, tout en maintenant sa porosité initiale. Comment ça marche ? « On injecte des bactéries calcifiantes que l’on produit en grands volumes, précise Annette Esnault-Filet. Ce procédé permet d’apporter de la cohésion au terrain sans impacter sa spécificité.»
Utilisé pour la restauration de murs ou encore la lutte contre l’érosion interne de digues, le procédé est déjà déployé à l’échelle industrielle et a fait ses preuves.
Il en est de même pour la pompe cardiaque CorWave. Présentée par la responsable stratégie et affaires scientifiques de l’entreprise française Charlotte Rasser, cette pompe cardiaque est un concentré de technologies.
Quel lien entre les animaux marins et les pompes cardiaques de CorWave ? L’ondulation, qui leur permet de se mouvoir dans un milieu liquide. « Cette force motrice incroyable dans le monde du vivant, peut aussi aider à soigner les hommes », précise Charlotte Rasser, avant de détailler la membrane créée par les chercheurs de l’entreprise. Cette « technologie de rupture biomimétique » constitue le cœur-même de la pompe cardiaque et permet de redonner aux patients un pouls proche de ce que le cœur naturel ferait. Par ailleurs, la membrane s’adapte en temps réel aux besoins du patient.
Une prouesse qui semble avoir impressionné Paolo Tedone, directeur du développement pour ECOncrete, une « joint-venture avec la nature», selon ses termes. Fondée en 2012 par deux biologistes marins, l’entreprise a pour mission de développer « une infrastructure marine plus solide et plus respectueuse de l'environnement ». Pour ce faire, l’entreprise a développé un béton plus respectueux des écosystèmes, et qui permet notamment aux organismes vivants d’y vivre, créant ainsi une forme de symbiose.
Bientôt des esclaves biomimétiques ?
Pour le professeur des universités en histoire de l’environnement Grégory Quénet « cette notion de biomimétisme appliquée aux océans propose une sorte de changement de paradigme : il ne s'agit plus de travailler la mer, mais de faire travailler la mer ». Nous restons cependant, selon le professeur d’histoire environnementale à l’EHESS, dans une logique d’exploitation des écosystèmes : « Depuis l'œuvre de Victor Hugo, Les travailleurs de la mer, nos sociétés ont une vision assez terrestre de l’exploitation marine. On parlait d’ailleurs de labourer la mer au XIXe siècle ».
La question centrale est dès lors de savoir « comment faire pour que ce biomimétisme inspiré des océans ne soit pas une nouvelle phase d'exploitation des ressources maritimes au nom d’une économie dite verte ? ».
« Dans ce qu’il nous a été présenté au cours de la conférence, on voit différentes manières de procéder. Il y a des éléments où l’on copie une forme d'agentivité de ces non-humains pour la reproduire dans d'autres contextes. Et puis il y a des approches où on travaille directement avec ces forces qui existent in situ pour les décupler. Et ce n’est pas du tout la même chose ».
Nul doute que cette dernière approche a la préférence de l’auteur d’une Introduction à l'histoire environnementale. Qui conclut sur ces mots, et cette interrogation fondamentale : « Cette notion de biomimétisme est extrêmement intéressante si elle s'accompagne d'une réflexion sur l'éthique qui va avec. Parce que finalement, s’il n'y a pas que les êtres humains qui travaillent, mais que l’on met à profit les bactéries des stromatolites ou le mode de déplacement des poissons, n’y-a-t-il pas un risque qui est de faire de ces non-humains des esclaves biomimétiques ? ».
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