une usine à livre inquiétante

Inkitt, la plateforme littéraire qui veut nous gaver de livres générés par intelligence artificielle

© Image générée par OpenAI

Cette plateforme allemande semblable à Wattpad propose à ses 33 millions de jeunes utilisateurs de lire des romances coécrites par Claude et ChatGPT.

« L’Alpha abandonné », « Le compagnon astral », « Le loup blanc solitaire » ou bien encore « La femme obsessionnelle ». En scrollant une fois sur la plateforme Inkitt, on sait où l’on se trouve. La librairie en ligne basée en Allemagne et spécialisée dans la romance reprend plus ou moins le même fonctionnement que l’américaine Wattpad, à savoir la mise à disposition gratuite de milliers d’histoires écrites par de jeunes auteur.es qui se lancent.

Avec plus de 33 millions de lecteurs pour plus d’un demi-million d’auteurs actifs, la startup lancée par Ali Albazaz cartonne au point d’avoir levé 34 millions de dollars en janvier 2024. Son objectif ? Devenir le « Disney » du XXIe siècle, c’est-à-dire une usine culturelle aussi bien littéraire qu’audiovisuelle avec la production de miniséries diffusées sur sa plateforme Galatea TV et sur les médias sociaux. Et pour atteindre ce but, Inkitt n’hésite pas à recourir aux larges modèles de langage comme Claude ou ChatGPT.

L'usine à « livres » qui surveille la lecture

Comme le résume fort bien un article de TechCrunch, l’application utilise « l'IA et la science des données » pour sélectionner les histoires les plus convaincantes, les « peaufiner » puis les distribuer et les vendre sur sa deuxième application payante, Galatea. Derrière ce qui pourrait déjà ressembler à une hérésie pour de nombreux artistes réfractaires à l’IA se cache en fait un système d’exploitation des auteurs assez hallucinant, qui est raconté en détail par la journaliste Vauhini Vara sur Bloomberg.

Son enquête révèle que la plateforme a mis en place un dispositif de surveillance de l’attention des lecteurs permettant de déterminer quelles sont les habitudes des utilisateurs, mais aussi les passages précis d’un chapitre qui ont retenu leur attention, ou pas. En se basant sur ces données, l’entreprise est en mesure de « guider » l’écriture des chapitres et des livres suivants. C’est ce qui est notamment arrivé à Manjari Sharma, une jeune auteure qui a connu un bon succès avec son premier livre Fat Keily, adapté en livre payant ainsi qu’en mini-série.

@watchcandyjar

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Cette dernière raconte que son premier ouvrage a été publié une première fois sur Galatea avant d’être repris par un directeur éditorial aidé par des LLM, qui a identifié les passages les « moins intéressants » du roman et proposé des pistes d’amélioration. Ces suggestions sont ensuite envoyées en A/B testing sur la plateforme, ce qui signifie que les lecteurs ne lisent pas vraiment le même livre. À la fin, c’est la version la plus « performante » qui vient remplacer les passages modifiés.

« Claude, écrit moi une romance avec un loup garou »

L’usage des LLM ne s’arrête d’ailleurs pas à la réécriture. Après le succès du premier tome, l’éditeur a demandé à Manjari d’écrire les suites, « en quelques semaines ». Face à la difficulté de la tâche, elle confie cette écriture à des ghostwriters proposés par la plateforme, qui vont pondre deux autres livres en son nom à l’aide d’IA. Interrogée sur le changement de style et de qualité des suites, Dami Ekpe, vice-présidente du contenu chez Inkitt, explique que les idées d’intrigues ont bien été générées par LLM, puis envoyées à un ghostwriter indépendant, lui-même aidé par l’IA, préalablement entraînée au style de l’autrice.

Étant donné la nature relativement « récurrente » et homogène des structures de romance, l’IA est parfaitement capable d’aider à la génération (peut-on encore parler d’écriture ? ) de chapitres censés alimenter l’avidité des lectrices. Mais cette course à la production assistée par IA finit par se faire au détriment des auteurs, qui dénoncent, dans l’enquête de Bloomberg, une forme d’exploitation avec des droits plus bas que la moyenne (6 % des revenus générés sur la plateforme payante contre 25 % dans des maisons d’édition classiques et 5 % des droits pour une adaptation vidéo).

Le patron d’Inkitt ne compte pas s’arrêter là. Il imagine le futur de l’édition avec différentes productions, plus ou moins écrites par des humains, mises à jour régulièrement en fonction de l’actualité et des changements culturels, voire entièrement générées par une batterie d’auteurs artificiels. Pour pallier le manque de valeur de ces écrits artificiels, Albazaz envisage de transformer les utilisateurs de la plateforme en prompteurs pouvant générer des livres par l’écriture de quelques points clés de l’intrigue. Ces récits seraient ensuite distribués avec des noms d’auteurs, eux aussi artificiels, mais faisant office de marques, de points de repère humains pour les lecteurs. De quoi faire frémir les auteurs véritablement humains, qui voient dans cette histoire la disparition de leur métier… ou le point de départ d’une superbe dystopie qui s’écrit en temps réel sous nos yeux.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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commentaires

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  1. Avatar Blabla75 dit :

    "25 % dans des maisons d’édition classiques". Pas en France en tout cas à moins d'être une pointure internationalement connue... la moyenne doit être plus proche de 10%

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