
35 ans après sa première sortie, le manga culte de dark fantasy Berserk fait l’objet d’une nouvelle édition chez Glénat. L’occasion de constater que son esthétique est aujourd’hui omniprésente.
Notre maison brûle et nous regardons ailleurs, mais nous regardons les maisons de nos très anciens parents du Moyen Âge brûler tout aussi vivement. Voici comment pourraient répondre les adeptes de dark fantasy à Jacques Chirac, plus de deux décennies après son discours de Johannesburg devenu historique. Ces amateurs d’images sombres, de passé apocalyptique, de sonorités inquiétantes et de pensées morbides, très contemporaines et pourtant inspirées par cette période allant du Vᵉ au XVᵉ siècle, occupent désormais une place prépondérante dans la culture populaire.
Le retour de Berserk
Rien d’étonnant à présent de se retrouver, début juin 2025, sur le parvis de la gare Saint-Lazare, à Paris, entouré d’un atelier de forgeron, d’un emplacement de divination, d’une diseuse de bonne aventure, de structures de pendaison… Cette esthétique de la dark fantasy, à comprendre comme une approche du Moyen Âge sous ses angles sombres et lugubres, s’est taillé l’une des parts du lion de la pop culture. Et, donc, le vent dans le dos, la Fnac et Glénat peuvent célébrer en grande pompe la sortie de l’édition « Prestige » de Berserk.
Cela fait sens, car ce manga de Kentaro Miura, lancé en 1989 et rafraîchi avec la parution de deux tomes spéciaux en juin 2025, est considéré comme une référence majeure de la dark fantasy. Il jouit d’une popularité hors norme et a ouvert grand la porte et les esprits vis-à-vis de ce genre. Ludivine Pecher, responsable éditoriale, témoigne clairement de ce très fort attrait du public : « Nous avons senti une grosse demande autour de cette esthétique et de ce titre, dont on a déjà vendu plus de huit millions d’exemplaires depuis son lancement. »
Dark Fantasy partout, espoir nulle part
Le milieu du jeu vidéo a naturellement emboîté le pas, et la liste des productions où la difficulté se dispute à la noirceur et à la douleur ne cesse de s’allonger. Le célèbre Elden Ring a ouvert la voie, au point de se voir en cours d’adaptation cinématographique par A24. Fear & Hunger, dont la complexité diabolique a bâti la notoriété, fait aussi partie des titres connus. Enfin, Duskbloods, du studio japonais FromSoftware, est annoncé pour 2026 sur Nintendo Switch 2.
Évidemment, ce déploiement s’est vu renforcé par l’arrivée et la prise de force des réseaux sociaux contemporains, avec TikTok en fer de lance. Sur la plateforme, une quantité faramineuse de vidéos aux teintes noirâtres, violacées et brunes montrent des chevaliers mélancoliques, des tours de châteaux perdues dans la brume au lointain et de mystérieux protagonistes masqués et inquiétants.
L’un des exemples les plus marquants du succès de la dark fantasy sur le réseau social reste le titre Hide du musicien Dorian Concept. Ce morceau, dont les notes ont quelque chose du souvenir enfantin et inquiétant, a très fortement percé en 2023 et 2024. Des millions d’utilisateurs se le sont approprié. Mais, au-delà des instrumentistes et vidéastes humains, il convient aussi de noter la propension de l’IA à accompagner ce déploiement. En un tour de manche, collégiens, lycéens et jeunes adultes rejoignent ainsi la cohorte de ces cavaliers perdus, en s’inspirant d’une esthétique qui dominait les années 80 et qui revient donc de manière éthérée, presque fantasmée.
Car, en réalité, voici le ressort principal de l’essor de la dark fantasy. La situation des limites planétaires invite à ce voyage temporel. La peintre toulousaine Alison Flora, exposée du 22 mars au 20 juillet 2025 au Frac Île-de-France (Berserk & Pyrrhia), le dit : « Loin d’être un simple effet de mode, cette esthétique répond à un besoin ancien de l’humanité, à savoir créer des mondes parallèles face à l’angoisse du réel. Dans un monde profondément anxiogène, la dark fantasy, et plus largement le merveilleux, devient essentielle. »
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