Secrets de fabrication : comment Taïwan parvient à lutter contre les fake news de la Chine

Dans la guerre informationnelle, Taïwan est en première ligne, submergé par les fake news de son voisin chinois. Pour se défendre, l’île a des solutions aussi variées qu’originales. Un exemple à suivre ?

Taïwan, petit État insulaire situé à moins de 200km de l'est de la Chine, en connaît un rayon en matière de guerre informationnelle. La désinformation est perçue comme un virus qui menace de se propager. On parle d’infodémie, autrement dit, d’une pandémie de l’information. Organisations citoyennes, mèmes viraux, ou cours de deepfakes..., tous les moyens sont bons pour sensibiliser les citoyens à développer des anticorps contre les fake news.

Premier ministre et papier toilette

Pendant la crise du Covid, un message alarmant circule sur Internet. Avec la production intense de masques, Taïwan risque une pénurie de papiers toilette, car ils nécessitent les mêmes matériaux. La rumeur enfle, jusqu’à devenir une préoccupation nationale. Pour y répondre, le gouvernement choisit une méthode originale : l’humour.

Des élus taïwanais ont engagé des humoristes afin de créer un message plus viral que l’inquiétude.

Le résultat fait mouche : un mème mettant en scène le fessier du premier ministre chauve de Taïwan, avec la description : « Chacun n’a qu’une paire de fesses. … » Autrement dit, « il y aura du papier toilette pour tout le monde. … » Au lieu de conspuer les rumeurs ou de les débunker, le gouvernement a choisi de créer des informations encore plus contagieuses. Et quand c’est drôle, ça marche.

Une armée citoyenne

Les citoyens taïwanais sont souvent en première ligne pour lutter contre les infodémies. Co-facts est une plateforme collaborative de fact-checking développée par les hacktivistes de l’organisation g0v. Sur Co-facts, n’importe quel citoyen peut fact-checker une info présente sur Line, un réseau social populaire. Une fois le fact-checking réalisé, le chatbot programmé par Co-facts s’ouvre en même temps que l’article concerné et apporte du contexte à l’information d’origine. Mais ça n’est qu’un exemple des nombreuses initiatives citoyennes dans le genre. Pendant les élections présidentielles, c’est l’organisation MyGoPen qui a débunké les suspicions de triche dans un bureau de vote.

Debunking versus Prebunking 

Avec les I.A génératives, Taïwan anticipe la multiplication des deepfakes et veut y répondre de manière proactive, avant que les dérapages se multiplient. Un combat porté par Audrey Tang, la Ministre des Affaires numériques de Taïwan depuis 2022. Elle a démontré qu’elle était en avance sur tout le monde en préconisant la méthode du “prebunking”. On connaît le débunking, cette méthode qui consiste à prouver, après parution, le caractère fallacieux d’un contenu. Le prebunking veut sensibiliser à ces sujets les citoyens pour que chacun soit en mesure d’identifier les contenus problématiques.

Pour ce faire, Audrey Tang s’est filmée en train de construire un deepfake d’elle-même, afin de montrer à quel point le processus est facile à réaliser. Des études récentes confirment que pour protéger les citoyens des fake news, il peut effectivement être utile de les exposer intentionnellement à de la désinformation. De quoi donner de la légitimité à la méthode du prebunking. Audrey Tang se félicite de ces initiatives : « Le résultat est qu’en 2024, lorsque nous avons vu des deepfakes pendant notre campagne électorale, ils n'ont pas eu beaucoup d’effet, parce que depuis deux ans, les citoyens ont déjà développé des anticorps dans leur esprit. »