
Avec Hazbin Hotel et Helluva Boss, l'animatrice Vivienne Medrano a donné vie à ses personnages qui, depuis cinq ans, génèrent une attention virale et industrielle autour du monde.
« Hell’s Greatest Dad », « Poison », « Just Look My Way »... Depuis quelques mois, vos proches fans de séries d’animation ne jurent – pas toujours de manière assumée – que par ces clips musicaux mettant en scène des personnages ultra-colorés à l’esthétique queer et au langage peu châtié. Ces vidéos qui cumulent plus de 100 millions de vues sur YouTube ne viennent pas des dernières productions Disney mais de Hazbin Hotel, une série animée diffusée depuis janvier 2024 sur Prime Video et qui a dominé les classements d’audiences de cette année.
Cette comédie musicale suit l’histoire de Charlie, princesse des Enfers, qui ouvre l’hôtel éponyme pour racheter quelques âmes perdues, tout en subissant le joug des forces angéliques qui viennent purger l’outre-monde tous les six mois. Outre ces clips musicaux à succès, la série produit, dans son sillage, une nébuleuse de contenus générés par les fans – analyses, montages, tutos de cosplay, redoublages – qui ramassent eux aussi des millions de clics à chaque diffusion.
De l’animation qui comprend la fan culture
Pour comprendre un tel succès, il faut tout d’abord se pencher sur la créatrice de cet animé, Vivienne « VivziePop » Medrano. Cette Californienne de tout juste la trentaine a désormais deux séries animées à son actif, dont l’autre est publiée sur un compte YouTube suivi par dix millions d’utilisateurs. Cette dernière a fait ses dents sur la comédie horrifique d’animation, a griffonné ses futurs personnages stars sur le réseau social Tumblr et le site de partage de dessins DeviantArt, vrai totem de l’Internet du début des années 2000. Elle réalise un clip pour la star de la pop Ke$ha (qui le lui rendra bien en doublant l'un de ses personnages) et fait un tour aux Gobelins. Elle fonde son studio d’animation, SpindleHorse, et lâche le pilote d’Hazbin Hotel fin 2019. L’Internet mondial se passionne sur le champ pour Charlie, Alastor, Angel, Husk et tout ce casting au juron facile. La vidéo approche les cinq ans et les 115 millions de vues, et elle n’est pas tout public : drogues, travail du sexe, relations toxiques sont des thèmes récurrents.
Fan fiction basée sur les romances
Forte de cette expérience, elle sait exactement quoi donner à son public pour l’inciter à participer. Quiem, 23 ans, est l’un de ses fans et il a parfaitement compris cette stratégie. Il loue une œuvre universelle et le parcours d’une artiste qui, d’après lui, « a défoncé une porte » dans l’animation pour adultes afin de présenter des personnages très majoritairement queers qui vivent en dehors de cet état de fait. Il analyse aussi un cercle vertueux chez les fans : « Il y a énormément de personnages dont on peut s’emparer, plein d’arcs narratifs dans lesquels se reconnaître, et les designs sont simples et plaisants, donc n’importe qui peut les redessiner, c’est sans fin », explique-t-il. Sur son compte X, il fait vivre un couple de personnages issus de la série et lui a même créé un tarot dédié. Cette pratique de fanfiction est clairement le moteur d’Hazbin Hotel et se centralise autour des « ships », un terme d’argot dérivé du mot relationships qui désigne les relations romantiques imaginées par les fans entre différents personnages. Ils permettent d’ouvrir le robinet à dessins et discussions de fans en quantité industrielle, avec les hashtags cryptiques #Stolitz, #StaticMoth ou #HuskerDust, à ne pas taper sur Twitter au travail.
A24 débarque
Après avoir conquis les fans, A24, label en vue, a récupéré la licence. La série verra le jour quatre ans plus tard, laps de temps pendant lequel les personnages vivront et seront nourris par les fans. Et en attendant, VivziePop publie Helluva Boss (plus de 600 millions de vues sur YouTube), son autre série autoproduite, dans laquelle un diablotin conjugue son travail de tueur pour damnés avec sa vie amoureuse rocambolesque. Actuellement dans sa deuxième saison, elle détonne par son animation foisonnante et son ton pansexuel débridé. Elle aussi pour adultes, elle n’est parfois pas très loin d’un BoJack Horseman sous stéroïdes. Tout le monde attend le prochain épisode avec impatience pour connaître les prochains émois de ses personnages principaux. En attendant, Medrano est devenue une marque et un modèle économique rare : en plus d’avoir signé chez un label prestigieux, elle compte 25 000 abonnés payants sur sa page Patreon. Attention toutefois, la concurrence arrive : The Amazing Digital Circus, série web à la trajectoire similaire, sera très bientôt propulsée par Netflix.
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