Il y a quelques semaines, NPR News publiait des documents internes à TikTok : le réseau social booste certains contenus…, en fonction de la tête du client.
Comme beaucoup de réseaux sociaux, TikTok propose à ses utilisateurs des filtres qui « embellissent » le visage — en grossissant notamment les lèvres et les yeux de ceux qui les appliquent. Mais d’après la radiotélévision publique américaine NPR News, l’algorithme de TikTok va plus loin. Il irait jusqu’à booster les contenus de personnes jugées désirables et freiner les contenus de personnes aux physiques jugés moins avantageux. « L’application donne la priorité aux gens beaux », résume le média américain. Dans le même temps, les fameuses « personnes laides », et surtout leurs contenus, sont invisibilisées. En choisissant qui est beau et qui est laid, l’application participe-t-elle à définir notre vision de la beauté physique ?
Renforcer nos biais sociétaux
Plutôt que de définir stricto sensu nos standards de beauté — comme le faisaient et continuent de le faire les magazines féminins, par exemple —, l’algorithme de TikTok les renforce, estime Samuel Nowakowski, maître de conférences en humanités numériques à l’université de Lorraine. « Comme tous les algorithmes, celui de TikTok fonctionne par apprentissage, rappelle-t-il. Son système va donc amplifier nos propres biais sociétaux, pour nous inciter à passer plus de temps sur l’application. » De quels biais parle-t-on ? « Il peut s’agir d’un type de corps, d’une certaine façon de s’habiller…, poursuit l’universitaire. Si TikTok garde la recette de son algorithme secrète, on sait avec certitude que derrière nos écrans, des ingénieurs choisissent en conscience de définir certains corps comme étant ‘la norme’. Il y a toujours une incitation derrière la machine. »
Un même physique féminin est donc sans cesse mis en avant : occidental, blond, grand, mince, aux traits fins… Autant de critères qui, en creux, contribuent à dresser une vision uniforme de la société. « En amplifiant ce qu’il considère être la norme, TikTok renforce la vision d’un groupe dominant par rapport à un groupe dominé », poursuit Samuel Nowakowski. Exit donc, les corps gros, racisés, tatoués… « Faire de nos réseaux sociaux des systèmes marchands rentables contribue à faire disparaître les représentations culturelles et ethniques minoritaires, ajoute l’universitaire. Cette logique trahit la promesse initiale de la connectivité sur Internet : les pionniers imaginaient un mode symétrique, sans centre. »
Un physique unique ?
Dans les faits, rien de vraiment nouveau sous le soleil : année après année, les études se multiplient pour montrer comment d’autres réseaux sociaux, Instagram en tête, créent des complexes (voire de profondes dépressions), chez des jeunes filles qui trouveraient que leurs traits ne sont pas assez fins, leurs corps trop gros… Au fond, quelle différence entre la beauté Instagram et celle promue par TikTok ? « Sur le fond, il s’agit des mêmes critères de beauté, explique Samuel Nowakowski. Simplement, la puissance de feu de TikTok est plus grande parce que l’application parvient à garder captifs des personnes plus jeunes, plus longtemps. »
Ce faisant, TikTok joue un rôle immense dans la définition de notre goût. « Si vous êtes soumis en permanence à un flux d’informations qui vous montre quelque chose, en l’occurrence des corps et des visages jugés attirants, le cerveau aura davantage de difficultés à faire le tri par lui-même, notamment lorsqu’il s’agit d’adolescents dont l’esprit critique est encore en construction », poursuit le chercheur. Autrement dit, plus on est exposé à des images de corps supposément attractifs, plus l’on se conforte dans l’idée qu’il n’existerait qu’un seul et unique type de beauté physique.
L'eugénisme est une forme de racisme et l'algorithme comme les modérateurs se comportent en dictateurs envers les moches et certains handicapés.